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» vous saura un gré infini de cet acte de générosité, et son intention est de vous témoigner sa >> reconnaissance en donnant sa démission de gé» rant de la Tribune dans le plus bref délai possi»ble, et en restant désormais étranger aux factions >> qui attaquent le gouvernement. »

Ma réponse fut celle-ci : « Que M. Bascans vous >> écrive pour confirmer ces déclarations, et je lui fe>> rai accorder ce qu'il demande. » Bientôt la lettre fut écrite par M. Bascans, et je m'empressai de réaliser ma promesse.

Eh bien! qu'arriva-t-il?

Lors de la révolte de juin, M. Bascans, oubliant l'engagement qu'il avait pris de rester dans la maison de santé, en sortit et traversa plusieurs quartiers occupés par les insurgés; puis, appelé comme témoin à décharge par quelques accusés, il fit une déposition fort injuste, fort hostile envers l'administration dont j'étais le chef.

La conduite de M. Bascans aurait pu motiver le retrait de la faveur dont il jouissait; je n'avais qu'un mot à dire pour qu'il fût réintégré en prison, et je le laissai néanmoins dans sa maison de santé. Les rédacteurs d'une feuille dont le titre ne figure pas au nombre de celles que je viens de citer, le Messager, ont eu également à se louer de mes procédés. Ce journal, qui paraît le soir, doit en quelque sorte sa vitalité à l'avantage, exclusif alors, d'être vendu

sur la voie publique et dans les théâtres : c'était une faculté qui donnait une valeur notable à l'entreprise.

J'aurais pu supprimer cette faveur et l'accorder à d'autres qui la demandaient avec instance; ce n'eût été qu'une juste représaille, car le Messager s'est toujours montré l'un des journaux les plus malveillans à mon égard; et pourtant je n'ai jamais voulu porter atteinte à l'espèce de privilége dont il jouissait.

Ai-je besoin de rappeler comment cette feuille m'a prouvé, dans une occasion récente, que sa haine avait survécu à la durée de mes fonctions.

Tandis que l'aigreur, l'injustice de la presse, se révélait chaque jour à mes yeux, et que la connaissance des faits me disposait à refuser mon estime à des écrivains de mauvaise foi, je me sentais d'autant plus enclin à honorer les journalistes éclairés et consciencieux.

Un journaliste, tel que je le conçois, doit apporter dans ses investigations la probité d'un noble caractère, l'indépendance et la force du talent. Homme nécessairement grave, il ne fait obéir sa plume qu'à ses convictions. Je ne prétends pas que l'opinion dont il est le défenseur doive céder à aucune influence personnelle; mais elle ne devrait pas non plus accorder de concessions ni aux passions ni à l'esprit de parti. La puissance du publiciste est moins

dans la supériorité d'une logique spécieuse que dans la droiture de ses moyens, dans la pureté de ses intentions. Ne parlant jamais que des choses dont il a une connaissance exacte, il ne s'exposera pas à commettre de ces lourdes méprises qui peuvent être funestes aux intérêts publics, et qui ne nuisent pas moins à la considération de la presse elle-même. Loin de faire usage de l'outrage et de la calomnie, le journaliste deviendra un censeur d'autant plus redoutable qu'il se servira d'armes loyales, et qu'il sera toujours un fidèle interprète de la justice et de la vérité.

J'aime à le déclarer, à ces traits on peut reconnaître quelques-uns de nos hommes de lettres; mais malheureusement ce n'étaient là que des exceptions honorables; beaucoup de journalistes entendaient autrement leur mission. Et pouvais-je, en conscience, ne pas dédaigner ce que je considérais comme des moyens répréhensibles de servir une cause en foulant aux pieds la justice et la vérité?

Il est facile de juger après l'événement; et les hommes étrangers à toute coterie qui ont lu ce qui précède, moins surpris de la persévérance des journaux à me décrier que de ma raideur dans une lutte de ce genre, me diront peut-être que j'ai eu tort.

Oui, j'ai eu tort, je le confesse, un tort immense, celui de croire qu'il suffisait d'opposer la loyauté

dans l'accomplissement de mes devoirs aux continuelles persécutions de la presse; j'ai eu tort de penser que ma conduite personnelle, toujours généreuse, désarmerait les haines politiques; que les services rendus au pays, le sacrifice de mon repos, l'abnégation de moi-même, parleraient plus haut que les censures passionnées de mes détracteurs, et que bientôt la dignité de mon silence et de mon caractère, appréciée par les honnêtes gens, ferait taire ces clameurs qui ont pu égarer l'opinion de mes concitoyens.

Je ne savais pas que, dans cette persévérante tenacité à me poursuivre, à me présenter sans relâche sous des couleurs odieuses ou ridicules, il y eût un principe de vie plus puissant que la vérité; qu'on s'habituerait à tenir pour chose jugée des imputations, des calomnies mille fois reproduites par des feuilles graves, par des journaux moins sérieux, par des libelles sortis des mêmes passions, distillant le même fiel; je ne le savais pas ! Il a fallu qu'une rigoureuse expérience vint m'apporter cet enseignement; et je l'ai subi, et j'ai épuisé toute l'amertume du calice... mais, frappé dans ma position, dans mes intérêts les plus chers, victime de la basse rancune de mes ennemis, j'ai acquis le droit de faire, en ce qui me concerne, un appel à la raison publique, et d'attacher aux pas de mes persécuteurs le remords et le mépris.

Que si mon langage était trop empreint d'une indignation péniblement contenue, je prie ceux qui me liront de réfléchir à tout ce que j'ai souffert depuis huit ans. Si l'on savait à quel point j'ai été blessé dans mes affections, dans mes intérêts de famille; combien de douleurs, d'humiliations j'ai dévorées en silence, on trouverait bien pâles les termes dont je me suis servi sous de telles impressions!

J'avais quitté une position forte et élevée, où les traits empoisonnés n'avaient cessé de m'atteindre, et que je n'avais conservée que par dévouement à mon pays; je croyais avoir lassé la haine. Malgré cette preuve de résignation, bien rare chez les hommes qui ont pris part à la gestion des affaires publiques; malgré cette renonciation volontaire à une carrière qui pouvait offrir à l'ambition des chances de succès, les calomniateurs sont venus me poursuivre, jusque dans ma retraite, de leur infatigable animosité. Aussi, quelque effort que je puisse faire pour maîtriser toute espèce de ressentiment, il m'est difficile de n'être pas ému au souvenir des tortures que j'ai subies.

Mais qu'on se garde bien de faire une application trop étendue de mes récriminations; elles s'adressent exclusivement aux hommes méchans qui se sont étudiés à me déchirer dans l'intérêt de leurs passions. Si leur malice a pu à la longue en imposer à des publicistes impartiaux, je ne rendrai pas

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