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L'employé convaincu d'une faute contraire à l'honneur était sur-le-champ expulsé.

Un agent fut renvoyé pour cause de malversation. Je l'avais traité avec indulgence par pitié pour ses enfans; au lieu de m'en savoir gré, cet homme alla confier ses doléances à la presse ; et, les jours suivans, ce fut dans les journaux un chorus de récriminations contre l'impitoyable brutalité du préfet de police, qui venait de renvoyer un honnête père de famille pour s'être refusé, disait-on, à l'exécution d'un acte arbitraire... J'ai eu la générosité de ne pas répondre et de laisser ignorer la cause de ce renvoi.

Seul, un jour, dans mon cabinet, j'entends du bruit dans la pièce voisine, et l'on vient me dire qu'un monsieur veut à toute force pénétrer jusqu'à moi, en refusant de décliner son nom; je consens à le recevoir; il entre son regard semblait courroucé; le ton de sa voix était impérieux sans impolitesse. Voici le colloque qui s'établit entre nous :

Je vous déclare, monsieur le préfet, que les choses ne peuvent pas continuer ainsi. - Voulezvous me dire, monsieur, de quoi il s'agit et à qui j'ai l'honneur de parler? Vous savez bien qui je suis. Fatigué, obsédé par vos agens, je ne puis faire un pas sans les avoir à mes trousses. Tout-àl'heure encore, de la place Dauphine jusqu'ici, j'en ai vu au moins cinq cents qui me suivaient. Vous êtes dans l'erreur, monsieur; je ne vous con

nais point, et jamais je n'ai employé cinq cents agens pour surveiller une personne; tous ceux de la préfecture n'y suffiraient pas. Ma maison est entourée, observée sans cesse; je n'y tiens plus! Enfin, monsieur, qui êtes-vous? — Vous ne l'ignorez pas, monsieur le préfet. Je ne puis me montrer sans voir des myriades d'hommes de police. Hier encore, comme j'ouvrais ma croisée, ils se sont mis à crier : Vive l'empereur! de manière à m'étourdir. Je sais bien que je suis l'empereur; mais il est singulier que vous ne consentiez pas à me laisser vivre incognito comme un simple bourgeois de Paris.

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Les traits, les manières distinguées de cet homme ne trahissaient aucun caractère d'aliénation; mais, voyant que j'avais tout bonnement affaire à un fou, je ne voulus pas aggraver son malheur, même parune contrariété. Pardonnez-moi, lui dis-je; je n'avais pas eu l'honneur de vous reconnaître. — C'est possible; mais j'espère maintenant que vous ferez votre devoir et qu'on me laissera tranquille. -Je me conformerai à vos intentions... Et, à ces mots, le pauvre aliéné sortit en me toisant de toute la hauteur du nom qu'il croyait porter. A quelque temps de là il rentrait dans Paris, muni d'un paquet que les employés de l'octroi visitèrent malgré sa résistance. Persuadé que c'était encore une de ces vexations de police dont il se disait victime, il écrivit une longue lettre dans la

quelle il m'accusait d'avoir employé envers lui tous les genres d'oppression; c'était là, disait-il, une atteinte portée à la liberté individuelle; quel citoyen pourrait être désormais à l'abri des persécutions d'une police infâme?... Et cette lettre fut publiée par plusieurs journaux, avec des commentaires brochant sur le tout, en l'an de grâce 1834!!!

L'accueil empressé fait par les feuilles publiques à tout individu porteur d'une note accusatrice contre moi, et l'espèce de sympathie dévolue à quiconque se plaignait de la police, encourageaient à me diffamer tous les intrigans qui voulaient faire parler d'eux et se concilier les bonnes grâces d'un parti politique. Aussi étais-je condamné à lire chaque jour quelque virulente diatribe à mon adresse.

C'est le cas de faire observer que, s'il est peu d'hommes dont on ait autant parlé que de moi de 1831 à 1837, il en est peu aussi qui soient moins connus on m'a montré sous différentes faces; on m'a prêté toutes sortes de défauts; on m'a peint coinme un despote ambitieux, cruel, dissolu, bizarre, ignorant, dissimulé, orgueilleux, avide, hypocrite; on m'a gratifié de toutes les mauvaises passions; enfin, on m'a représenté sous toutes les formes, excepté sous la véritable. L'on chercherait vainement,grâce au ciel, dans les portraits moraux que les partis ont faits de moi, un seul trait de ressemblance avec mes goûts, mes habitudes et mon caractère.

Puisque le but que je me propose est de détruire d'injustes préventions, il me sera bien permis, lorsque tant de gens ont été injustes à mon égard, de me rendre justice moi-même.

Je dirai donc que je crois être franc, loyal, désintéressé; que je me plais à faire le bien, et souvent au-delà de la limite de mes moyens; que mes goûts ont conservé la simplicité des habitudes d'une situation modeste; que mon caractère, quoique susceptible et emporté, est incapable de déguisement; que nul plus que moi ne reste fidèle à ses affections; que j'aime à faire abnégation de moi-même pour ma famille et pour mes amis; que, loin de rechercher l'élévation et les honneurs, je ne me plais que dans une position humble et obscure, préférant à l'attrait du pouvoir une existence paisible et les douceurs de l'intimité. J'ajouterai que mon cœur est exempt de fiel; que je n'ai jamais su haïr, ni même conserver long-temps une légitime rancune contre ceux qui m'ont fait du

mal.

Combien de fois, quoique remplissant avec fermeté un devoir rigoureux, n'ai-je pas fait des sacrifices personnels pour alléger des souffrances, jusque dans les rangs des hommes qui auraient trouvé du bonheur à m'anéantir! Cependant j'ai à peine ce qui est nécessaire aux besoins de ma famille.

La femme d'un détenu compromis dans les trou

bles de juin 1832 vint demander une permission toute exceptionnelle pour pénétrer dans la chambre de son mari, à Sainte-Pélagie ; j'accordai cette permission. Bientôt une faveur plus grande fut sollicitée : il s'agissait d'autoriser le détenu à sortir auprès de sa famille; j'y consentis. Cette dame m'ayant ensuite exposé la situation pénible de ses enfans, j'eus le bonheur de lui faire accepter quelques secours avec tous les ménagemens convenables. Son mari fut touché de mes procédés, et, peu de temps après, il m'envoya un dessin fait par lui, qu'il me dédiait en me témoignant sa reconnaissance. Ce me fut une nouvelle occasion de venir à son aide.

de sa prison sur parole, pour aller auprès

Qu'on juge de ma surprise lorsque je trouvai, quelques jours plus tard, la signature de ce même prisonnier au bas d'une lettre violente et diffamatoire, écrite collectivement par plusieurs détenus, et insérée dans le journal la Tribune.

Les journalistes qui ne m'épargnaient aucun déboire, qui saisissaient avec tant de hâte la moindre circonstance propre à me susciter des ennuis, ont eu quelquefois besoin de moi; il en est même qui ne se sont pas fait faute de recourir souvent à mon autorité. L'un de ces messieurs, jouissant d'une assez haute influence dans la presse, vint me prier de faire expulser du royaume un étranger, réfugié politique, dont il avait à se plaindre grave

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