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des factions, c'est moi qui la faisais agir. Je me trouvais ainsi exposé en première ligne aux coups dirigés contre l'autorité.

Les journaux qui se respectent assez pour ne pas descendre aux injures se contentaient de critiquer avec plus ou moins d'amertume; mais comme, d'une part, l'interprétation morale est toujours faite sous l'impression de certaines idées, au profit de certaines doctrines, et que, de l'autre, l'exécution des mesures, l'accomplissement des faits qui choquent ces mêmes idées, ces mêmes doctrines, étaient ordinairement dénaturés, il en résultait une disposition continuelle à blâmer mes actes. Des ménagemens, quelquefois habilement calculés, donnaient plus de poids à une censure amère, presque toujours injuste. Voilà pour les journaux du pre

mier ordre.

Quant aux autres, à ceux qui tour à tour font usage du sarcasme et de l'outrage pour déverser le mépris sur l'objet de leurs faciles colères, ceux-là, m'indiquant à la haine des partis, ne se faisaient faute d'aucune insinuation malveillante, d'aucun expédient ingénieux pour me diffamer au jour le jour. Enfans perdus de la presse sérieuse, qu'on peut désavouer s'ils vont trop loin, et qui lui servent d'auxiliaires obligés, leurs traits acérés et malins, tantôt sous couleur d'ironie, tantôt sous point de calembourg, tordent et déchirent à plaisir

une réputation. Le secret de faire rire aux dépens d'autrui est un art d'autant plus perfide, que cette apparence de naïveté, ce ton de gaieté qui lui est propre, impliquent une sorte de candeur dont on ne se défie guère; et puis nous sommes assez disposés à la moquerie, assez portés à déprimer notre prochain, à ravaler surtout l'homme du pouvoir, pour accueillir volontiers ce feu roulant de jeux de mots, de piqûres, de saillies qui le frappent sans relâche ni miséricorde.

Ainsi, pendant cinq ans, tous les matins, les unes et les autres feuilles, sauf de rares exceptions, ont dirigé contre moi leurs traits dangereux; dénaturant, blâmant mes plus inoffensives actions; me prêtant des énormités; dénonçant ma prétendue conduite arbitraire; flétrissant mes soi-disant injustices avec une persévérance qui n'a point d'exemples.

Il n'est pas de faits controuvés, d'assertions hasardées, d'histoires absurdes, que la déloyauté n'ait imaginés pour me vouer à la haine des honnêtes gens; pas d'épithètes injurieuses que la méchanceté de mes ennemis politiques m'ait épargnées............. Et l'on voudrait qu'un caractère honorable n'en fût point atteint? qu'une réputation bien acquise pût y résister? C'est impossible.

Mais ce n'est pas tout; on ne doit point oublier qu'à cette époque il existait à Paris vingt mille individus actifs, énergiques, appartenant aux opi

nions légitimistes, républicaines et bonapartistes, qui se maintenaient en état de conspiration continuelle contre le pouvoir; et, sans vouloir faire un rapprochement injuste, j'ajouterai que Paris renferme ordinairement plus de sept mille voleurs repris de justice, dont la police surveille et comprime les mauvais penchans et les coupables intentions.

Voilà donc une partie nombreuse de la population intéressée, à divers titres, à troubler l'ordre et à décrier l'autorité qui paralyse ses efforts et qui place les coupables aux mains de la justice toutes les fois qu'ils ont encouru une répression légale. Remarquons encore que les hommes enrôlés sous diverses bannières politiques ont des sympathies et des organes dans la presse départementale; là aussi on écrit sous l'influence des passions; il y a donc action et réaction incessantes pour attaquer et vilipender l'homme signalé comme un ennemi commun à l'animadversion des partis.

Et si l'on réfléchit que le préfet de police est obligé, dans une foule de cas', d'user de son pouvoir, même à l'égard des meilleurs citoyens; de contrarier leurs intérêts privés pour protéger l'intérêt de tous; si l'on s'appesantit, enfin, sur les fàcheuses préventions dont l'institution de la police

1 En matière de police municipale, les procès-verbaux dressés pour des contraventions commises par les habitans s'élèvent à plus de deux cents par jour.

est l'objet, et sur la répugnance que l'on éprouve généralement à prendre sa défense, on comprendra que tout le monde soit disposé à la blâmer, et que personne ne cherche à la justifier.

Comment alors, quand tous les journaux sont d'accord pour assaillir d'accusations un préfet de police, quand ils ont presque tous intérêt à le déconsidérer, à paralyser ses mesures, voudrait-on qu'il ne fût pas victime de l'influence malveillante que tant de causes diverses concourent à exercer sur l'opinion publique?

Encore, si l'on voyait chez tous les publicistes un désir sincère de s'éclairer, un peu de bonne volonté à faire l'aveu d'un tort, d'une erreur; s'ils daignaient vérifier, avant ou après, leur accusation, et constater le résultat vrai de leur examen ; si, quand ils ont attaqué durement, injustement, quand ils ont outragé sans motifs un honnête homme, ils admettaient la défense sans l'accompagner d'une nouvelle agression, sans exiger qu'elle fût conçue en termes adulateurs! Mais combien n'ai-je pas vu d'écrivains foulant aux pieds toute équité, toute retenue; mettant non moins de persévérance à soutenir une allégation inexacte qu'ils avaient mis de légèreté à la publier une première fois; puis, fermant les colonnes de leur journal aux réclamations de la partie lésée ; souvent même argumentant sur le contenu d'une réplique sans la

publier, et y trouvant un texte à de nouveaux sarcasmes, à une diffamation nouvelle !

Certains rédacteurs avaient la prétention de paraître infaillibles aux yeux de la multitude : une méprise rectifiée, un tort confessé loyalement les auraient, disaient-ils, déconsidérés; ils craignaient de perdre leur crédit, leurs abonnés ; et il leur parissait plus libéral de réparer une première injure par une seconde, d'administrer encore du fiel et du poison à la victime de leurs impostures.

per

Pour corroborer ces réflexions inspirées par les faits qui se sont passés sous mes yeux, et surtout par le souvenir de mes douleurs, qu'il me soit mis de présenter un fort petit nombre d'exemples de publications faites en dépit de la vérité, et quelquefois en joignant l'ingratitude à l'infidélité d'une

narration.

Il n'est guère d'agglomération d'hommes, et conséquemment il est peu d'administrations publiques où il ne se soit glissé des individus que leurs penchans vicieux ont entraînés à quelque méchante action. La préfecture de police, malgré le soin scrupuleux que j'apportais à rendre son nombreux personnel digne d'estime, n'a pas été, plus qu'une autre, exempte de cet inconvénient. Dans le laps de temps écoulé pendant mes fonctions, j'ai eu à déplorer quelquefois des actes coupables de la part d'un petit nombre de subordonnés, et j'ai dû sévir.

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