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mes, m'a donné beaucoup de peine, beaucoup d'ennuis, m'a fait perdre un temps considérable, que je pouvais employer utilement dans d'autres entreprises.

Elle a été la cause unique d'un incident malheureux, dont j'ai beaucoup souffert, et à l'occasion duquel la malveillance ne m'a pas épargné.

J'ai raconté précédemment que la mission confiée à mes soins par le maréchal Gérard m'avait retenu à Londres jusqu'au 17 octobre 1830, et que mon retour à Paris avait eu lieu le 19 : c'était un dimanche. A mon arrivée, j'eus la douleur d'apprendre que mes représentans s'étaient vus dans la triste nécessité de refuser le paiement d'une somme de cinquante mille francs, montant des traites fournies sur ma maison par un sieur Rosey, de Rouen. Le tireur devait en faire les fonds à l'échéance; mes employés y comptaient, et le jour où le sieur Rosey devait remettre ce capital, il suspendit ses paiemens.

Cet événement imprévu ne permit pas à ma maison d'acquitter les traites dont il s'agit à l'époque de leur exigibilité, c'est-à-dire le samedi dix-huit octobre; mais aussitôt mon arrivée, le dimanche dix-neuf, je réalisai quelques valeurs, et dès le lendemain les cinquante mille francs furent acquittés sans protêt.

Tel est l'incident auquel un journal, depuis long

temps oublié, a fait allusion, et qu'il a charitablement qualifié en termes que je répugne à reproduire.

3° Cette affaire a donné lieu à des tripotages d'argent.

Je n'ai pas attendu jusqu'à ce jour pour repous→ ser énergiquement, et en public, cette odieuse calomnie; et la manière dont je me suis expliqué a suffisamment prouvé toute l'indignation qu'elle m'inspirait.

Cette calomnie, publiée par le journal la Tribune dans une multitude d'articles, a été dictée par une haine tellement aveugle, tellement gratuite contre MM. le maréchal Soult et Casimir Périer, et la renommée de ces illustres citoyens les place si haut dans l'opinion publique, que je rougirais de renouveler des détails qui pourraient avoir l'apparence d'une justification. Je me contenterai de répéter que tout ce qui a été dit au sujet de prétendus pots-devin, de prétendus tripotages d'argent, est d'une insigne fausseté, et que jamais opération de commerce ou entreprise se rattachant aux services publics n'a été traitée avec plus de loyauté et de désinté

ressement.

Ce fut vers le mois de juillet 1831 que cette feuille formula pour la première fois une accusation positive, en affirmant que MM. Soult et Périer avaient reçu un pot-de-vin d'un million. Sur la

plainte de ces deux ministres, le sieur Marrast fut poursuivi devant la cour d'assises, et condamné à l'unanimité par le jury à six mois de prison et 3,000 francs d'amende.

Il semblerait qu'une telle leçon judiciaire eût dû imposer silence à la calomnie; mais il n'en fut pas ainsi, et j'ai retrouvé cent fois, dans la Tribune et dans d'autres feuilles publiques, des imputations équivalentes. Les fusils Gisquet servaient de thême habituel aux déclamations des libellistes, et dans toutes les occasions où l'on voulait jeter du doute sur la loyauté du gouvernement, sur une mesure d'intérêt général, l'on ne manquait pas de dire que les tripotages de l'affaire des fusils se reproduisaient sous une autre forme. Finalement, j'ai eu la mortification de me voir, depuis neuf années, pris comme terme de comparaison chaque fois qu'il s'agissait de quelque saleté financière; et les absurdités, devenues banales à force d'être partout colportées, ont tellement faussé l'opinion publique, que fort peu d'hommes, même très-honorables, ont pu se défendre de quelque injuste prévention.

La narration qui précède sera-t-elle suffisante pour détromper le public, pour détruire les mauvaises impressions fortifiées par la reproduction journalière des mêmes clameurs, et par la longue durée du temps écoulé? Je crois qu'il n'y a pas trop de présomption à l'espérer; et, malgré la pé

nible expérience que j'ai faite de la partialité de quelques publicistes, j'ose encore avoir assez bonne opinion de l'esprit humain pour attendre enfin une complète et tardive justice. Le hommes de bonne foi, même ceux d'une opinion contraire à la mienne, se rendront à l'évidence, et reconnaîtront les méprises dont j'ai depuis si long-temps le droit de me plaindre.

J'ai réuni dans ce chapitre tout ce qui a trait à l'affaire des fusils pour n'être plus obligé d'y revenir. J'ai dit que la France avait besoin d'une grande quantité d'armes, dans un délai rapproché.

J'ai dit qu'antérieurement à l'époque où fut conclu mon marché avec le maréchal Soult, les propositions faites par beaucoup de soumissionnaires avaient été acceptées.

J'ai dit qu'aucun de ces fournisseurs n'avait rempli ses engagemens.

J'ai dit que l'obstacle principal à la prompte confection des fusils provenait du manque de bois.

J'ai dit qu'il n'existait, ni en Angleterre, ni ailleurs, des approvisionnemens de fusils en bon état de service dont on pût se rendre adjudicataire.

J'ai dit que les manufacturiers anglais n'étaient pas, sous ce rapport, mieux partagés que ceux des autres pays.

J'ai dit, enfin, que la seule fabrication dont on se fût occupé à Birmingham, depuis la paix, était

celle des fusils destinés à la traite des nègres, fusils d'une qualité trop inférieure pour être propres au service en Europe.

Eh bien! toutes mes déclarations, corroborées par une multitude de faits qu'il serait fastidieux de reproduire en détail, vout se trouver confirmées par les incidens d'un procès jugé le 24 février 1835 au conseil d'État. (Voir la Gazette des Tribunaux du 3 mars suivant.)

C'est par là que je terminerai mes longues explications. Je crois effectivement qu'il serait superflu d'accumuler un grand nombre de preuves pour arriver à une démonstration complète de ce que j'ai avancé.

Le procès dont il s'agit nous apprend que MM. Lange, Clark et compagnie avaient vendu au ministre de la guerre, le 4 décembre 1830, les matériaux nécessaires à la confection de vingt mille fusils, avec faculté pour les vendeurs de porter ce nombre à soixante mille fusils, livrables dans les mois de janvier, février, mars et avril 1831. Ce marché disait que les pièces d'armes consisteraient dans les canons, platines, baïonnettes, baguettes, et toutes les garnitures voulues pour chaque fusil, à l'exception des bois,et le prix était fixé à vingt-sept francs.

Je ferai de suite remarquer que ce prix, en évaluant seulement la valeur des bois au taux ordi

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