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» Parvenus à l'entrée extérieure de la salle des >> séances, l'homme grand, mais plus vieux, somma >> un huissier d'aller appeler l'homme plus jeune qui >> était dans une des tribunes. De la part de qui? >> demanda l'huissier. — De la part de cinq mille >> de ses amis. Cette réponse, fidèlement rendue, >> circula assez promptement dans la salle pour je»ter l'épouvante parmi les trois cents, et faire dès » ce moment ajourner indéfiniment le vote de l'hé» rédité de la pairie. Alors, c'eût été pitié de voir la plupart de ces prétendus représentans, entre les» quels M. Berryer, entourant Lafayette, Benjamin ›› Constant, Labbey de Pompières, leur prendre les » mains, se pendre à leurs habits, les invoquer, les » supplier de les couvrir de leur popularité : tous » se croyaient perdus. Ce fut pendant cette scène » de comique terreur que, M. de Lameth venant » du dehors, l'homme gros et grand échangea avec >>> lui quelques paroles qui l'amenèrent à convenir

qu'en effet ses collègues, pas plus que lui, n'a>>> vaient plus aucune mission, et à promettre de >> faire son possible pour les convaincre de cette vé» rité. A cette heure M. de Lameth était moins » rassuré qu'aujourd'hui.

» Bientôt parut, tout en émoi, sur les marches du péristyle, M. Girod de l'Ain, qui saisit par le bras » l'homme gros et grand. - Vous connaissez Mon>> tebello? lui dit-il. - Oui. C'était un brave,

-

» n'est-ce pas? - Oui. Eh bien! sa fille est mon

» gendre. Eh! que

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m'importe?

» M. Girod de l'Ain était dans un trouble incon» cevable. S'apercevant qu'il avait mal rencontré » dans son allocution, il battit en retraite.

» Un second orateur lui succéda : c'était le vé» nérable Labbey de Pompières, qui fut écouté avec » recueillement. Du ton de sa franchise ordinaire, » il raconta qu'il y avait dans la chambre une tren»taine de patriotes bien déterminés à soutenir les droits » du peuple. «Qu'ils nous suivent à l'hôtel de ville,» >> interrompit l'homme grand et gros. » Mais le dé» puté patriote fit un signe de la main, et il ajouta: « Nous ne sommes qu'une trentaine; mais cette » minorité est bien forte, car nous avons derrière » nous la nation. »

» Après ce discours, il n'y eut qu'une acclama» tion et un cri dans le rassemblement : Vive Lab» bey de Pompières! à la porte les mauvais députés ! >> Leur expulsion allait infailliblement avoir lieu;

Benjamin Constant se présenta: on fit silence, et » pendant qu'un petit homme juché, la cravache » à la main, sur les épaules d'un Auvergnat, l'in>> terrompait à chaque phrase par ces mots : Mais » vous n'êtes pas constitués! il prononça une haran» gue dans laquelle il énuméra avec son habileté >> ordinaire tout le mal que les trois cents n'avaient >> pas eu le temps de faire; il réclama pour leurs

» délibérations la plus grande liberté. « Quelles >> que soient leurs décisions, dit-il, vous devez d'au>> tant moins vous en alarmer, qu'elles seront évi>> demment réformées dans un congrès national: le En as» peuple, soyez-en sûr, sera consulté. >> semblées primaires? - Oui. — Mais vous faites » un roi? » Il ne répondit pas.

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« Le peuple sera consulté, reprit-il ensuite; la » chambre m'a autorisé à vous le promettre for>> mellement nous ne ferons rien sur quoi l'on ne » puisse revenir; car, nous le reconnaissons aussi

:

bien que vous, nous ne sommes que les manda>>> taires de la circonstance, c'est-à-dire les hommes » de la nécessité du moment, comme le sont les » membres de votre gouvernement provisoire. »

Benjamin Constant ayant terminé, ce fut au tour » de Lafayette à se faire entendre. -- Le général >> assura que sa considération personnelle était >> compromise par une démarche qui ne lui sem>> blait pas suffisamment motivée. «< Mes amis, ditil, je vous en conjure, retirez-vous; nous veille» rons sur vos intérêts. » Et il prit, au nom de ses » collègues, le même engagement que son honora» ble ami. Tous les députés qui osèrent se montrer, » n'importe le côté où ils avaient siégé, se confon>> dirent en protestations semblables.

>> Le discours de Benjamin Constant avait jeté de » l'hésitation dans les esprits: celui de Lafayette

>> acheva de les ébranler. En vain l'homme gros et >> plusieurs patriotes qui n'étaient pas convaincus >> essayèrent de donner à cette scène le seul dénoue»ment qu'elle dût avoir pour le bonheur du pays. << Si nous ne les chassons pas dès ce soir, criaient les >> plus clairvoyans, il ne sera plus temps demain. » » Mais les voix si puissantes de Lafayette et de » Benjamin Constant avaient tout amorti. Puis il » commença à se manifester une violente opposi» tion de la part de la valetaille du Palais-Royal et » d'une nuée d'agens de police, qu'on était allé >> chercher en toute hâte pendant que l'on parle>>mentait. On se sépara en criant: Aux armes !

>> C'était en effet en armes qu'il eût fallu revenir » le lendemain; mais durant trois jours le sang >> avait coulé, et nous ne nous souciions pas d'al>> lumer une sorte de guerre civile au sein de Paris, »> ne fût-ce que pour un quart d'heure.

» Aujourd'hui il nous reste le regret d'avoir >> reculé devant un sacrifice nécessaire; on pouvait » affranchir la patrie d'un système d'administra» tion non moins déplorable et plus avilissant que » celui qui a pesé sur elle pendant quinze années. » Benjamin Constant et Lafayette détournèrent le » coup, et la calomnie est leur récompense. Ils >> croyaient à la sincérité de certaines promesses, à >> une loyauté qui n'existait pas. Nous eûmes le tort >> de les croire : puisse le pays les absoudre, et nous

>> aussi, de cette confiance qui a eu des suites si >> funestes!

» Nous vous saluons fraternellement.

» Signé le plus jeune, FERDINAND FLOCON; le plus vieux, LHÉRITIER (de l'Ain). »

Il n'est plus permis, quand on a lu cette lettre, d'ignorer comment les républicains de 1830 entendaient la liberté. Ce n'est pas ainsi que la comprenaient Lafayette, Benjamin Constant et Labbey de Pompières, qui, par l'ascendant de leur popularité, prévinrent des excès dont les suites pouvaient être incalculables.

Ils savaient, ces véritables patriotes, que la république, avec ses principes radicaux, est une chimère dans un pays comme le nôtre, où il existe tant d'inégalités de position, tant de préjugés, tant de droits acquis, fortifiés par une longue existence d'un gouvernement monarchique; tant d'ignorance, de misère, de vices, à côté de l'intelligence, de la richesse, de la vertu; enfin tant d'élémens hétérogènes qui s'entrechoquent en quelque sorte sur tous les points du pays! Comment serait-il possible de les soumettre au même niveau social? Ils savaient aussi, ces grands citoyens, que beaude ces hommes qui se déclaraient partisans de la république étaient encore moins jaloux d'étendre la limite de nos droits que de conquérir ou

coup

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