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térans de nos armées et des hommes généreux qui avaient voué leur existence et leurs talens à la patrie.

Les formes ordinaires de la justice ne suffisaient. plus à l'impatience de ceux qui se disaient nos maitres; on procéda à la création de cours prévôtales et de commissions militaires, par une audacieuse violation de nos lois.

Ces époques, de douloureuse mémoire, ont présenté, d'une part, l'impunité révoltante des crimes commis pendant les sanglantes réactions du Midi, impunité qui a couvert de sa protection même les assassins d'un maréchal de France', et, de l'autre, les assassinats juridiques du maréchal Ney, de La bédoyère, de Mouton-Duvernet, des frères Faucher, qui n'ont pas été les seules victimes de la res

tauration.

Au mépris des idées philosophiques développées depuis un siècle, et surtout depuis 89, la maison. régnante accordait au clergé une prédilection marquée, dans laquelle on pourrait chercher une des causes principales de sa chute.

L'admission des hommes d'église dans les affaires temporelles, notamment leur introduction à la chambre des pairs, les encouragemens de toute nature accordés à l'intolérance religieuse, préludèrent aux excès qui ont accompagné les missions,

1 Brune.

les plantations de croix et les sermons des prêtres fanatiques.

Le rétablissement de plusieurs fêtes, même de celles abolies par le concordat, avait plus que l'inconvénient d'être antipathique à nos mœurs, de nuire aux classes laborieuses en paralysant leurs travaux; c'était comme un défi, quelquefois un outrage aux citoyens appartenant à d'autres cultes.

Une pieuse douleur expliquait mais ne justifiait pas, dans ses formes récriminatoires, l'institution d'une fête funèbre en commémoration du 21 janvier 4793; c'était imposer à la nation la honte d'une amende honorable.

Décidée à faire triompher son système à tout prix, la restauration ne rougissait pas de recourir à des moyens réprouvés par la morale et par la

conscience.

Combien de fraudes signalèrent la concession et l'exercice des droits électoraux! Combien se firent remarquer plus tard les tendances aristocratiques du pouvoir dans la division des électeurs en grands et en petits colléges!

Ces prémisses devaient produire leurs conséquences. Les lois sur la censure, la loi sur le sacrilege, le projet de loi sur le droit d'aînesse, témoignaient assez l'intention de reconstruire pièce à pièce l'édifice qui s'était écroulé avec les murs de la Bastille.

Enfin le licenciement de la garde nationale engagea le pouvoir dans cette voie funeste où chaque pas faisait naître un écueil. Au lieu d'éclairer, les résistances de l'opinion suscitèrent des mesures de plus en plus extrêmes; et la restauration, croyant s'affermir et s'élever, tomba de faute en faute jusque dans l'abîme creusé par les ordonnances de juillet.

Dans cette esquisse, où je n'ai consulté que mes souvenirs, et qui, pour cette raison, doit être fort incomplète, le lecteur retrouvera en partie les actes par lesquels la restauration s'est aliéné l'esprit public, et qui ont justifié toutes les préventions dont elle était l'objet.

Mais ces actes étaient-ils une condition nécessaire, une déduction logique de la position qu'elle s'était faite? C'est une question dont l'examen me conduirait trop loin, et que je crois susceptible de recevoir des solutions bien opposées. Je dirai, néanmoins, que la plupart de ces actes, liés entre eux, s'harmonisaient avec le système qu'on voulait faire prévaloir.

Dès l'instant où l'on se fut décidé à méconnaître les besoins de l'époque, on se trouva contraint de déclarer la guerre à nos institutions modernes, pour les remplacer par celles dont avaient fait justice les hautes lumières de l'assemblée nationale. Et, sans vouloir aucunement atténuer les fautes

de la restauration, je conviendrai qu'environnée d'obstacles multipliés, elle n'avait pas toujours le choix des moyens; qu'elle pourrait, jusqu'à un certain point, trouver sa justification dans l'impossibilité de concilier la nature et les conditions de son existence avec les prétentions et les vœux légitimes du pays.

Mais si l'indulgence lui tient compte des difficultés qu'elle ne pouvait surmonter, l'histoire marquera d'un sceau réprobateur quelques-uns des faits que j'ai signalés. Ils suffiraient pour mettre en évidence l'incorrigible aveuglement de ces princes qui n'ont pas même pu s'éclairer à l'école du malheur : faut-il rappeler que Charles X tirait vanité de l'inflexibilité de ses principes, et se proclamait le seul esprit immuable, le seul qui n'eût pas changé depuis quarante ans?

Ne doit-on pas s'étonner de cette ignorance, presque volontaire, de périls toujours croissans, contre lesquels va se briser une obstination sans exemple, quand il était si facile de les éviter?

Car, on doit le dire, la France, long-temps saturée de victoires, avait d'abord trouvé dans un repos acquis aux dépens de sa dignité, une sorte de compensation aux sacrifices de tout genre, aux douleurs profondes qui résultaient de la chute de l'empire; elle s'était résignée à la paix des vaincus, qui allait ménager le sang de ses fils. L'industrie, le

commerce, trop long-temps immolés aux considérations politiques, reprenaient leur essor; des relations ouvertes sur tous les continens offraient des débouchés à nos manufactures; les intérêts matériels voyaient enfin devant eux une ère de prospérité.

Si le bon esprit de la nation, qui met toujours en première ligne les satisfactions de l'intelligence, eût reconnu dans le gouvernement imposé une volonté franche et loyale de maintenir ses droits, de lui accorder successivement les institutions en rapport avec la masse des lumières répandues, oh! certes, eût-elle dû n'obtenir ces libertés que lentement et une à une, la pensée d'un bouleversement, d'un changement de dynastie par la force, ne lui serait point venue.

Il dépendait donc des Bourbons de se maintenir au trône, d'y perpétuer leurs successeurs : le secret de la durée de leur puissance était dans la marche des temps. Mais, au lieu de l'observer, d'étudier les progrès de l'esprit humain, les modifications, les mouvemens de la société régénérée, pour y satisfaire en leur imprimant une direction, ils demeuraient, ils voulaient rester stationnaires.

Peut-être qu'en soumettant à une investigation attentive le caractère, les idées du dernier roi de la branche aînée, on parviendrait à pénétrer dans l'intimité de ses vues, à expliquer toute sa conduite.

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