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Séance

ordres, la proposition étant rejetée, la chambre des députés du tiers se constitua en Assemblée-Nationale, le 17 juin, sur la proposition de Sièyes.

Le gant une fois jeté, il n'y avait pas à balancer; il fallait ou consentir à la réunion demandée, ou traiter ces nouveaux législateurs comme des séditieux, en les renvoyant dans leurs provinces. Le choix semblait embarrassant dans l'état d'exaltation où les esprits étaient déjà parvenus, chaque parti extrême pouvait causer un bouleversement. Mais il est des cas où il faut tout risquer pour tout sauver. Le Roi indécis entre le système de son ministre et les conseils de la Reine et des Princes, prit un de ces demi-moyens qui tenaient à l'irrésolution de son caractère, et qui ont si puissamment contribué à sa perte.

La salle des députés avait été fermée sous prétexte des préparatifs nécessaires pour une séance royale. Cette mesure exécutée sans avertissement préalable, accéléra l'explosion. Les députés se rendant à leur poste, le 20 juin, en trouvent les issues gardées et se rassemblent au jeu de paume; là dans l'exaltation de leur mécontentement, ils jurent de ne point se séparer sans avoir rempli la mission qu'ils ont reçue, et donné à la France les bases d'une constitution: serment célèbre qui développa avec plus d'intensité le feu de la révolution, légitimant d'avance ce qui allait résulter de cette première démarche.

Necker ne dissimulait point qu'en assemblant les 1oyale. États-Généraux, il n'eût en vue de grandes réformes dans la constitution: tous les députés arrivaient à Paris avec la ferme conviction qu'ils seraient appelés à régénérer la France, et leur enthousiasme s'en trouvait

d'autant plus exalté. Mais le ministre, jaloux de se réserver l'honneur de ces améliorations, fut le premier à blâmer le rôle que venait de s'attribuer la chambre du tiers, et proposa en effet au Roi de tenir un lit de justice dans lequel il espérait soumettre ses idées à la nation. Il fut déçu dans ce projet : la Reine, les Princes et les grands parvinrent à faire tourner cette mesure contre celui qui l'avait proposée, et déterminèrent le Roi à improuver l'acte illégal par lequel les députés s'étaient constitués en assemblée nationale. En effet, après avoir présenté aux États la concession de 35 articles importants qui étaient le résultat du dépouillement des cahiers des trois ordres, le Roi déclara nuls les arrêts du tiers et ordonne la séparation de l'assemblée. Ces concessions, qui à la dernière réunion des notables eussent comblé tous les voeux, paraissent alors intempestives et insuffisantes. Necker n'assistant pas à cette séance, les députés s'indignent en songeant que cette démarche violente était improuvée par le ministre même, et n'était que le résultat de l'intrigue des nobles qui entouraient Louis.

L'indignation est portée au comble quand le grandmaître des cérémonies vient signifier aux députés l'ordre de se retirer. Mirabeau se levant, lui répond avec énergie: « Vous n'avez aucune mission qui vous >> autorise à nous donner des ordres; nous saurons » remplir celle que nous avons reçue du peuple, et ne sortirons d'ici que par la puissance des baïonnettes. » Sièyes et Camus appuyant leur collègue, les députés restent en permanence.

La cour éperdue, passa subitement d'un extrême à l'autre, et ne se sentit pas les forces nécessaires pour

Réunion

frapper un coup d'éclat. Le seul moyen qui se fût peut-être présenté pour sauver la France, eût été de sonder, d'un coup-d'œil vaste, toute la profondeur de l'abîme, de rédiger une Charte en peu d'articles où les principes de la recomposition du gouvernement eussent été ébauchés, et de dissoudre sur-le-champ les ÉtatsGénéraux en faisant partir les députés, et provoquant en même temps l'élection d'une assemblée législative, qui pût s'occuper de lois organiques, sans toucher aux bases constitutionnelles fixées par cette Charte.

Mais, pour frapper un tel coup, il eût fallu déclarer l'égalité de l'impôt, proclamer celle des droits politiques, confier la législation à deux Chambres, et l'administration à un ministère responsable; principes qui trouvaient une opposition irrésistible dans la plupart des grands. Peut-être même l'effervescence était-elle déjà montée au point, que ces institutions eussent à peine suffi pour satisfaire les novateurs, et que les esprits, loin de se calmer, auraient oublié le bienfait d'une telle mesure pour ne s'occuper que de l'injure produite par la dissolution de l'Assemblée. Cependant c'était le seul moyen de ne pas compromettre la dignité royale et de ne pas la mettre aux prises avec des factions, tout en faisant les concessions exigées par l'esprit du siècle. Ces mesures générales auraient pu être secondées par l'exil du duc d'Orléans, si l'on pensait qu'il fût l'ame d'un complot.

Le Roi crut mieux faire en se pliant aux circonstances des trois et permettant que l'assemblée continuât ses séances dès Ordres. le lendemain. Bientôt la majorité du clergé vint s'y

réunir, et le 27 juin, la noblesse cédant à la force de l'opinion, autant qu'aux insinuations de la cour, se dé

cida enfin à venir prendre place dans ce nouveau sanctuaire des lois, de peur d'en être exclue à jamais, si elle persistait dans son opposition.

La joie universelle qui éclata dans le royaume à la réception de cette nouvelle, apprit aux hommes qui avaient tant osé, sur quelle force ils pouvaient désormais compter pour l'achèvement de leur entreprise. Il semblait néanmoins que rien ne dût s'opposer au salut de la France, puisque les mandataires de toute la nation, réunis en un même corps, allaient s'entendre sur ses plus chers intérêts; ces jours d'allégresse et d'espérance furent de courte durée.

pas

Rassem

blement

Soit les conseillers du Roi en ne sévissant que d'abord contre les députés, n'aient eu en vue que de de suspendre sa vengeance jusqu'à ce qu'ils fussent plus en troupes.. mesure de frapper un coup vigoureux, soit qu'ils concussent des craintes pour l'avenir, ils appelèrent à Versailles et à Paris plusieurs régiments suisses et allemands sur lesquels on comptait le plus, et dont la force montait à près de vingt mille hommes.

Leur arrivée répand aussitôt l'alarme parmi les députés: redoutant le ressentiment de la cour qu'ils venaient de braver, ils demandent le renvoi de ces régiments comme un gage de la confiance du Roi; leurs amis, leurs affidés se répandent en même temps dans la capitale, où les esprits étaient ardents à prendre la défense des représentants chargés de soutenir les droits du peuple.

est exilé.

Sur ces entrefaites, Necker déjà coupable aux yeux Necker de la cour, pour l'avoir entraînée par ses démarches imprudentes dans un torrent dont il ne pouvait plus se rendre maître fut d'autant plus soupçonné d'abandonner

ses intérêts après avoir évité d'assister à la séance royale; on ne se contenta pas de lui retirer le portefeuille, il reçut encore secrètement l'ordre de quitter la France sans délai.

A la nouvelle du départ de ce ministre et de son remplacement par des partisans de l'aristocratie, la fermentation devint générale et les attroupements se multiplièrent. La réponse du Roi à la demande du renvoi des troupes, loin de détruire les craintes, laissait un vaste champ à toutes les conjectures; Louis proposait aux États de les transférer à Noyon, si les soldats leur portaient ombrage. L'Assemblée irritée prit le 13 juillet un arrêté qui insistait sur l'éloignement des troupes, rendait les ministres responsables de ce qu'on oserait entreprendre contre la nation et ses représentants, et demandait la formation des gardes bourgeoises.

Insurrec- Mais, au même instant, des événements plus décisifs tion, 12, se passaient dans la capitale ; il est difficile de se repré14 juillet. senter le mouvement impétueux qui soulevait en effet cette grande cité. La foule accourt au Palais-Royal, prend le buste de Necker et celui du duc d'Orléans, les porte en triomphe dans toutes les rues, et voit ainsi grossir progressivement son cortége. En vain des déta chements de Royal-allemand opposent une résistance hors de proportion avec les moyens d'attaque, ils sont forcés de se retirer; le prince de Lambesc, assailli de pierres, charge la populace jusques dans les Tuileries; le canon tire, le tocsin sonne, les boutiques d'armuriers sont enfoncées; les scènes tumultueuses se prolongent jusques à la nuit; des brigands profitent de l'obscurité pour brûler les barrières et s'introduire dans la ville.

Le lendemain (13 juillet), même répétition de dé

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