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4 août 1789, l'égalité d'impôts, le droit pour les Français qui servent bien leur patrie d'arriver aux emplois civils et militaires, tout ce qui arriva pendant la révolution fut abusif, et ne répondit point à l'attente qu'on s'en était formée. L'Assemblée adopta de bonnes lois partielles, mais ses travaux constitutionnels portant l'empreinte d'une démocratie outrée, préparèrent les événements désastreux qui suivirent. Les prétentions de la noblesse oligarchique, les abus de toute espèce qui s'étaient introduits pouvaient être des motifs de réforme, mais pour restaurer le royaume il fallait bien se garder d'y introduire l'anarchie.

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Si ce point de vue, fruit d'une cruelle expérience des hommes et des choses, n'est pas du goût de chaque lecteur, nous aimons à nous persuader qu'il aura l'assentiment de ceux qui ont profondément réfléchi sur les institutions des peuples. Peut-être se sera-t-on trompé quelquefois sur l'application de ces principes ; s'il en était ainsi, on trouverait ces erreurs pardonnables en songeant combien il est rare, malgré une impartialité absolue, de voir toujours juste sur des événements contemporains.

Une dernière réflexion achèvera cette profession de foi; elle est relative aux armées françaises: si le tribunal impassible de la postérité a déjà voué à l'opprobre les barbares qui noyèrent le berceau de la république dans des flots de sang, s'il est même difficile qu'il s'arme d'indulgence pour les excès de quelques hommes distingués d'ailleurs par leurs talents; il approuvera d'autant mieux le tribut d'éloges que nous nous sommes fait un devoir de payer aux braves qui, sans s'arrêter à la forme de gouvernement sous laquelle

État de la France.

gémissait leur
pays, se sont dévoués noblement à sa
défense; à ceux qui ont eu le courage de servir les
comités et la Convention pour sauver l'honneur et
l'indépendance nationale. Quoique l'auteur de ces
lignes ne soit point Français, il ne se rappellera jamais
sans émotion le généreux enthousiasme dont les soldats
de cette époque furent animés à la voix de la patrie;
ce sentiment commande le respect de tous les siècles.
Afin de remplir aussi bien que possible le cadre
étroit de cet apercu, on ne recherchera point les

causes de la révolution au-
1-delà du 18e siècle, il suffira
d'indiquer celles qui agirent immédiatement sur son
explosion.

Le cardinal de Richelieu avait porté le dernier coup à l'anarchie féodale; Louis XIV poussant les choses plus loin, renversa les assemblées nationales, et concentra dans la royauté tout ce que le prestige de la magnificence, l'amour de la gloire et la force de l'autorité, pouvaient avoir d'einpire sur les Français. Sous ses successeurs, la dignité royale fut d'abord décréditée, puis sourdement minée par l'opposition permanente des grandes magistratures. L'antique constitution de la monarchie n'existait plus; on ne trouvait à sa place que des ordonnances tombées en désuétude, un besoin vague de changement et un défaut complet d'harmonie entre les différents ordres de l'État, ou entre les différentes classes de la société.

Les écrits du 18 siècle répandirent de grandes lumières et des vérités bien séduisantes, mais d'autant plus dangereuses, lorsqu'elles sont semées sur un sol volcanique.

La noblesse ayant successivement perdu une partie

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de ses droits envers la couronne voulut conserver ses priviléges sur la bourgeoisie. Un tiers-état enrichi par l'industrie et par le commerce, éclairé par les écrits contemporains, demanda de son côté à prendre part aux honneurs et aux bénéfices de l'État dont il supportait toutes les charges; bien différent de la multitude du 15° siècle, il ne pouvait être mené comme elle.

La religion, fondée sur un rite suranné et décrédité, au lieu de reposer sur les beaux préceptes de la morale chrétienne, fut bientôt attaquée, ouvertement, et ne put l'être en vain, quand ses ministres donnaient l'exemple du scandale public.

Le choc de tant de passions ne manque pas de produire un esprit universel de fronde, un mépris presque général pour l'ordre de choses existant. Les parlements mettent toute leur gloire à lutter sans cesse contre la cour, la petite noblesse veut rivaliser avec la grande, la robe avec l'épée, la bourgeoisie avec tous ceux dont les vices autorisent ses plaintes et dont les ridicules sont devenus l'objet de ses risées. La révolution semble dès-lors inévitable.

Un roi soldat, un monarque en même temps fort, énergique et magnanime, ou de nouvelles institutions adaptées à l'esprit du temps, semblaient les seuls remèdes à opposer à cette crise et les seuls moyens d'éviter une explosion. Louis était le véritable père de son peuple, mais le prince le moins fait pour le tirer de l'abîme. On pouvait donc aisément prévoir que la France, agitée par des intérêts si divers, ne manquerait pas d'éclater dès que la moindre occasion s'en présenterait; elle ne se fit pas attendre longtemps;

le désordre des finances et le déficit de quelques millions vinrent bouleverser l'univers.

Depuis les guerres ruineuses de Louis XIV, les finances se trouvaient dérangées. Le système de Law leur avait porté le dernier coup; celui de l'abbé Terrai avait ébranlé le crédit public sans faire le bien qu'on s'en était promis. La moitié des revenus de l'État était absorbée par l'intérêt de la dette, tandis que l'application d'une somme pareille à la marine eût suffit pour la recréer et chasser les Anglais des deux Indes. On préféra par économie n'avoir ni vaisseaux, ni soldats, ni considération, afin de payer plus exactement deux cent cinquante millions aux créanciers de l'état. La guerre d'Amérique, la plus heureuse que la France ait soutenue, occasionna un déficit d'un milliard; et des taxes déjà nombreuses, mais mal réparties, ne laissaient aucune espérance de la remplir, à moins de donner de nouvelles bases à la répartition des impôts directs: la plupart des terres, c'est-à-dire celles de la noblesse et du clergé, étaient injustement exemptes, et il s'agissait de les faire contribuer également.

Turgot le tenta avant la guerre ; les parlements et le clergé s'y opposèrent, moins sans doute par intérêt pécuniaire que pour conserver des prérogatives consacrées par d'antiques préjugés : c'était l'orgueil de caste aux prises avec l'intérêt national, et de tous les obstacles que peut éprouver une réforme, le plus difficile à vaincre.

Le vertueux ministre se retira et fut d'abord remplacé par Clugny, ensuite par Necker. Ce dernier, dont la destinée fut si extraordinaire, était doué d'un esprit supérieur; on lui doit de justes hommages

comme administrateur libéral et philanthrope, mais comme ministre de Louis et chargé de veiller aux destinées d'une brillante monarchie, il encourut le reproche d'imprudence.

Dans un siècle où l'esprit de fronde envers l'autorité était une vertu publique, quel qu'en fût d'ailleurs le motif et la forme, il fallait beaucoup de génie et de force pour tenir d'une main sûre les rênes de l'État : et sans doute qu'alors un Richelieu eût mieux valu qu'un philosophe genevois, pour arracher à tous les partis les concessions nécessaires, et sauver l'immense édifice social confié à ses soins.

Le système de Necker était de commander à l'opinion générale par la publicité des opérations, et l'on ne peut pas plus nier les avantages de cette méthode que méconnaître ses dangers dans des temps de troubles. Son Compte-rendu appela pour ainsi dire la discussion publique sur les intérêts les plus élevés de l'administration; mais si, en le publiant, il perdit la confiance de la cour, si elle l'accusa de vouloir se populariser par ambition et aux dépens de l'autorité royale, sa retraite n'en fut pas moins un mal.

lonne

Necker obligé de quitter le ministère des finances, M. de Cafut remplacé par M. de Calonne, qui administra ce remplace département jusqu'en 1787; M. de Vergennes étant Necker. toujours chargé des relations extérieures.

La réunion de ces deux hommes semblait assurer une navigation paisible au vaisseau de l'État. Le premier d'un esprit vif, pénétrant, d'une éloquence peu commune, était, il est vrai, souvent entraîné par une imagination trop ardente; mais l'autre, sans être un génie extraordinaire, avait des vues politiques sages,

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