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il se laissât humilier par un prince comme FrédéricGuillaume, qu'un historien célèbre appelait le marquis de Brandebourg, avec beaucoup plus de raison qu'on n'avait pu donner ce titre à son prédécesseur.

Dix ans de succès maritimes, militaires et diplomatiques, furent anéantis par une faute d'un instant; et cette faute doit faire d'antant plus époque dans l'histoire, qu'elle accéléra une révolution dont le ministère de Louis XVI aurait probablement évité l'explosion, en montrant de la dignité, et en détournant, sur d'audacieux ennemis la tempête qui était prête à éclater dans l'intérieur de la France. L'époque des grandes agitations a toujours été la plus favorable pour diriger les nations vers la guerre, et dans cette occasion ce n'était pas seulement un intérêt, mais un devoir.

Des troubles d'une autre espèce éclatèrent peu après dans le Brabant, l'amour de la patrie en fut le prétexte; les intérêts du clergé en étaient le véritable motif. L'empereur Joseph, animé par un esprit de réforme louable, mais qui brusquait peut-être trop les mesures, porta atteinte aux droits du clergé, dans un pays où il était tout-puissant. La noblesse, également attaquée dans ses prétentions et dans ses intérêts, fit cause com. mune avec les ordres ecclésiastiques : le peuple belge, crédule et facile à séduire, courut aux armes pour défendre des abus. Quelques ambitieux se servirent de ce prétexte pour s'emparer du pouvoir, et donnèrent à ce mouvement tous les dehors d'un patriotisme généreux. La Prusse et l'Angleterre liées par des traités, et intéressées à opérer une diversion en faveur des Turcs, alors ac

cablés par les armées réunies de Catherine et de Joseph II, soutinrent assez ouvertement ces insurgés pour susciter des embarras au cabinet de Vienne. Nous aurons occasion de parler plus loin de l'établissement de cette confédération belge, qui avait un sénat, un président, et une armée de vingt mille hommes, mais que la récon. ciliation de Reichenbach, en 1791, laissa exposée à tout le ressentiment et à tous les efforts de l'Autriche. Les troupes impériales reployées dans le Luxembourg, rentrèrent bientôt avec de nombreux renforts dans les Provinces-Unies, en dissipant facilement les bandes indisciplinées des mécontents.

Cette petite révolution offre un singulier contraste avec les grands mouvements de Hollande et de France, et il est extraordinaire en effet, de voir, à la fin du 18° siècle, un peuple combattre pour des préjugés et pour aggraver ses chaînes, contre un gouvernement guidé par des principes libéraux, et qui voulait l'en affranchir.

AFFAIRES DU NORD (1)

Tandis que la politique des puissances maritimes de l'Europe éprouvait ces vicissitudes, il ne se faisait pas

(1) On trouvera des répétitions nombreuses dans ce chapitre, mais il était difficile de les éviter. Je n'ai pu faire autrement que de diviser ce tableau en deux parties; celle qui était relative aux affaires du Midi et des puissances ayant des démêlés avec l'Angleterre, et celle relative aux affaires du Nord; ce n'est pas l'histoire du siècle que j'ai prétendu tracer, c'est simplement un aperçu des mouvements qui avaient amené l'état des choses en 1792. Mon travail eût été trop confus sans cette division; mais le résultat inévitable en a été de me forcer à répéter, dans les deux parties, des événements contemporains qui avaient influé sur les deux extrénités de l'Europe en même temps.

une révolution moins grande dans les relations continentales. Une puissance presque inconnue jusqu'alors avait commencé avec le 18° siècle à déployer ses forces; les folies de Charles XII et le génie de Pierre-le-Grand en précipitèrent le développement.

A la fin du règne de ce grand homme, le cabinet de Pétersbourg intervenait déjà dans les affaires du Danemarck et de l'Allemagne: on sait qu'il avait réglé celles de Pologne, en maintenant Auguste II de Saxe sur le trône; il luttait avec succès contre la Perse et la Porte.

L'impulsion extraordinaire donnée à ce nouvel empire ne se ralentit pas sous les successeurs de son illustre fondateur, et de grands avantages s'offraient effectivement à eux pour favoriser leur système. Placés à une extremité de l'Europe, et peu connus encore, leurs éléments de puissance n'en étaient que plus grands; sans voisins dangereux, ils n'avaient rien à craindre et tout à espérer; sans marine, sans commerce, ils n'avaient encore aucun démêlé à redouter avec l'Angleterre, et pouvaient au contraire beaucoup attendre de l'alliance de cette nation. Les querelles que le cabinet de Saint-James entretenait sans cesse entre la France, l'Allemagne et la Hollande, assuraient au gouvernement russe toutes les facilités d'intervenir dans ces différents comme auxiliaire d'un des partis, et d'en profiter pour s'agrandir insensiblement aux dépens de la Pologne et de la Porte.

Les cabinets, influencés par celui de Saint-James, avaient sans cesse le mot de balance politique dans la bouche; mais ils donnaient à ce système l'acception la plus étroite en l'appliquant seulement à quelques bail

liages du Palatinat ou de la Flandre, tandis qu'on songeait à peine à l'Amérique, à l'Inde, et à des intérêts non moins puissants.

Dans le même temps où la France était livrée succesvement à la faible administration du duc de Bourbon et du cardinal de Fleury, Catherine Ire, Pierre II, avaient succédé au vainqueur de Pultava: rien de bien remarquable ne se passa au dehors jusqu'à l'avénement d'Anne en 1730.

La mort d'Auguste II, dont l'élection au trône de Pologne avait été un des sujets de querelle de Charles XII et de Pierre, vint bientôt offrir un vaste champ aux opérations politiques des divers cabinets, et cette époque est une des plus importantes dans l'histoire. Son compétiteur Stanislas Leczinsky avait succombé avec Charles XII, et s'était retiré en France, où nous avons vu qu'il avait marié sa fille à Louis XV. La noblesse polonaise rappela Stanislas, mais la czarine était trop fidèle aux principes tracés par Pierre-le-Grand pour souffrir cette élection, elle soutint les prétentions de la maison de Saxe et d'Auguste III.

Il ne se présentait qu'un moyen de sauver la Pologne, c'était l'alliance de la France et de l'Autriche (1); mais la politique de Charles VI était exclusivement

(1) On s'étonnera peut-être qu'ayant improuvé si fortement l'alliance avec l'Autriche, en 1756, je l'offre dans cette occasion comme une opération avantageuse. Ma réponse à cette objection sera facile. Il y a une grande différence entre une alliance de conservation réciproque et un traité comme celui de 1756, où la France sacrifiait ses intérêts les plus chers pour élever l'Autriche aux dépens d'un allié naturel, et où elle fournissait cent mille hommes pour garder la Belgique aux Autrichiens.

dirigée sur la Pragmatique-sanction, et Auguste III l'avait reconnue, tandis que le cardinal de Fleury contrariait ce projet de succession par tous les moyens possibles.

Le cabinet de Vienne concourut donc à l'établissement de l'influence russe en Pologne, sans autres motifs que l'adhésion de la maison de Saxe à la Pragmatique; ainsi, pour le refus d'une vaine formalité, le cardinal perdit peut-être l'occasion de remettre le beau-père de Louis XV sur le trône.

Stanislas débarqua, et se vit accueilli par la majeure partie de la noblesse; mais, combattu par les Saxons et les Russes, il dut se réfugier à Dantzig, où le célèbre Munich vint l'attaquer, et le força de s'enfuir en Prusse. On sait l'expédition que 1,500 Français, commandés par un ambassadeur (le comte de Plelo), firent pour secourir Dantzig, en débarquant à Weichselmunde, et comment ils furent réduits à mettre bas les

armes.

Après avoir ainsi donné deux rois à la Pologne, le cabinet de Pétersbourg pouvait aisément prévoir qu'il lui en donnerait un troisième, et qu'il finirait par gner dans le pays, si des circonstances extraordinaires ne se réunissaient pas pour l'en empêcher. Nous avons déjà rapporté comment la paix de Vienne (1735) vint mettre un terme à ces faibles efforts de la France en faveur de Stanislas, et assurer la Lorraine à ce prince, pour qu'à sa mort elle rentrât dans le sein de la monarchie, dont elle était démembrée depuis si longtemps.

La Porte et la Suède commirent chacune de leur côté la même faute, en ne profitant pas, pour agir, du moment où les forces de Munich étaient occupées en

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