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tantes qui ont amené de tels événements, seraient des sujets dignes d'exercer la plume des plus grands hommes-d'État et des historiens les plus habiles. En attendant, on peut mettre au premier rang de ces causes, l'imprudence et les erreurs de la noblesse française, les crimes des Jacobins, et enfin, l'ambition d'un homme qui, par ses services et ses talents, pouvait tout réparer, et dont l'exagération a tout détruit.

Il semblait que la lutte honorable dont la France venait de sortir avec succès, dût garantir ce pays des commotions intérieures dont il était menacé par la tendance générale de l'esprit public; elle ne fit au contraire qu'en précipiter le développement.

A peine Louis XVI eut-il terminé victorieusement la guerre d'Amérique, que l'embarras de ses finances provoqua la belle, mais malheureuse résolution de convoquer les états-généraux. Cet embarras du trésor, joint à l'agitation intérieure que l'assemblée de ces états fit éclater en France, furent les premiers symptômes de cette révolution terrible; ce fut probablement aussi la cause qui empêcha le cabinet de Versailles de prendre une part active et prépondérante aux affaires de Hollande en 1787.

Cette époque de l'histoire européenne est une des plus remarquables; elle mérite une étude particulière et approfondie. L'homme qui y joue le rôle principal est le célèbre Pitt.

La guerre d'Amérique lui avait donné une grande supériorité comme chef de l'opposition; son éloquence avait eu plus d'une fois occasion de contre-balancer le système des ministres. North succomba enfin et fit place au fils de Chatam. Le grand homme-d'État qui s'était

fait l'apôtre des principes libéraux dans toutes les séances des Communes, ne tarda pas à juger que ces principes pourraient devenir entre ses mains une arme menaçante pour ses ennemis. Il savait bien qu'une autorité étendue, lorsqu'elle n'est pas tyrannique, et qu'on n'en fait pas un mauvais usage, donne à un État plus de force et devigueur. Il pensait, sans doute, que créer un point d'opposition chez les nations rivales de l'Angleterre, c'était enlever à leurs gouvernements une partie des moyens de développer la puissance nationale. L'histoire de son pays aurait suffi pour lui prouver cette vérité; et des dissentions civiles dans un État continental entouré de voisins ambitieux et puissants, devaient avoir bien plus d'influence que dans un État isolé et in

sulaire. Susciter les Hollandais contre la maison d'Orange, et soutenir alors les prétentions de celle-ci, semblait un moyen assuré de se l'attacher irrévocablement, en dépit des intérêts de la république. Provoquer, seconder les mêmes agitations en France, c'était obtenir l'alliance du stathouder pour réprimer le développement des principes qui menaçaient la propre existence de sa maison; c'était armer l'Europe contre la puissance qui avait ébranlé l'Angleterre en 1788.

L'opinion générale est que Pitt fut le premier moteur des troubles de ces deux pays. Il ne nous appartient pas de prononcer sur cette assertion pour ce qui est relatif à la France; mais quant à la Hollande, c'est un fait aujourd'hui reconnu, et le mémoire de Caillard en convaincrait les plus incrédules. Pitt se crut sans doute autorisé à suivre le système que Louis XIV avait adopté dans les dissentions de Jacques et de Guillaume, et dont la France venait de se servir encore envers les États-Unis.

Nous sommes loin de croire qu'il ait jamais osé mesurer la profondeur de l'abîme qu'il creusait à la France, et à l'humanité entière. Il a pu désirer les dissentions qui semblaient assurer à son pays une suprématie décidée sur ses rivaux, mais il n'a jamais pu provoquer le meurtre, le brigandage, qui désolèrent la malheureuse France ; et s'il en était autrement, son nom mériterait d'être voué à l'exécration de tous les siècles. Laissons d'ailleurs à l'histoire le soin de développer la cause de ces grands événements, et revenons au simple aperçu des faits.

Depuis que l'Angleterre avait contribué, en 1747, au rétablissement du stathouderat en faveur de la maison de Nassau, la politique de cette maison s'était toujours ralliée à celle du cabinet de Londres. Mais les ÉtatsGénéraux au contraire avaient senti un peu tard tous les dangers d'une trop grande supériorité maritime, et ils tenaient à l'alliance de la France. Un négociateur habile, M. de Lavauguyon, en avait profité pour conclure le traité de 1785, dans les intérêts réels des deux nations.

La position de Guillaume V était ainsi fausse et pénible; il avait à sacrifier ses intérêts et ses affections à l'intérêt public, alternative déplorable, pour tout chef d'État. Son épouse, sœur du roi de Prusse, et dont le caractère altier s'alliait mal à la morgue des capitalistes d'Amsterdam, exerçait sur son esprit un empire absolu; bien différente des princes aimables appelés aujourd'hui à régir les Pays-Bas, elle comptait plus sur la crainte des peuples que sur leur amour.

Malgré le changement survenu dans la constitution, en 1747, jamais assemblée d'une nation n'avait conservé

TOM. I.

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plus de part au gouvernement, que les États de Hollande mais ce n'était pas assez; dans une république où la richesse était le premier titre de considération, il était difficile qu'on ne jalousât pas l'autorité souveraine, et les dogmes philosophiques répandus à la fin de ce siècle avaient germé depuis trop longtemps en Hollande, pour que les succès des Américains, leur constitution et l'esprit inquiet qui commençait à remuer la France, ne fissent pas une explosion dans les Provinces-Unies.

Des discussions éternelles sur des questions de droit ne pouvait manquer de donner mille prétextes d'exciter des troubles. Le crédit que le ministre anglais Harris (Malmesbury) exerçait sur la princesse ne tarda pas à lui en fournir une occasion. Une émeute excitée avait engagé les États à prendre des moyens de répression contre lesquels le stathouder protesta comme attentatoires aux droits du pouvoir exécutif, il s'en plaignit à l'Angleterre et à la Prusse. De part et d'autre on oublia les lois; Guillaume, excité par son épouse, s'arrogeait un pouvoir contesté, et les patriotes voulurent abolir le stathouderat. Les émeutes furent fréquentes et terribles (en 1787). Le ministre anglais était, dit-on, le meneur de toute cette trame; on peut juger d'où partaient ses premières ramifications. Enfin le stathouder fut déclaré déchu. Sa femme voulant entreprendre un voyage qui avait pour but de préparer une contre-révolution, se vit arrêtée à Velsch-Sluis. Le roi de Prusse s'apprêta à venger par les armes la cause de sa sœur.

Le ministère de Louis XVI s'oublia au point de souffrir la chute d'un parti que son ambassadeur avait pour ainsi dire créé. La France venait de perdre M. de Ver

gennes, dont l'administration avait été sage; son successeur Montmorin et M. de Brienne ne possédaient ni le génie ni la fermeté nécessaires dans des circonstances si difficiles. Pour comble de malheur, M. de Lavauguyon, qui avait habilement amené la Hollande au système d'alliance avec la France, quitta ce pays pour passer à l'ambassade d'Espagne, et se trouva mal remplacé.

Le cabinet de Versailles commit la faute criante de laisser décider du sort de son allié le plus précieux, par une puissance du second rang; il laissa tranquillement faire les Prussiens, au risque de perdre tout crédit chez ses voisins, et de jeter la Hollande entre les bras de ses ennemis. Il n'y avait pas à balancer, la France devait soutenir le parti qui lui était dévoué; elle se borna à de futiles démonstrations. On sait que le duc de Brunswick entra dans les provinces-Unies, à la tête d'une petite armée prussienne, qui fit non seulement, remettre les choses sur l'ancien pied, mais qui fit même donner au stathouderat, plus de pouvoir qu'il n'en avait jamais eu.

Une alliance de la Prusse, de l'Angleterre et de la Hollande fut le malheureux résultat de cet événement, qui enleva à l'Europe tous les avantages de la paix de 1783, et qui releva les espérances et les prétentions des Anglais.

Le dénouement brusque et imprévu de cette révolution parut d'autant plus étonnant, qu'on avait vu Louis XVI, allié de l'Espagne et de l'Antriche, commencer son règne par une guerre heureuse, et tenir le premier rang parmi les puissances. On ne pouvait guère présumer que quatre ans après, sans motifs, sans combats,

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