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sortons à peine d'une des plus grandes révolutions qui se soient jamais opérées; que cette révolution, dans ce qui la caractérise essentiellement, s'étant d'abord faite avec une extrême rapidité, s'est ensuite prolongée par les divisions qui sont nées dans les différents partis, et par la lutte qui s'est établie entre les passions et les intérêts divers. Il était impossible que tant d'oppositions et tant d'effets', tant d'innovations et tant de secousses, ne laissassent pas après elles de longues agitations, et l'on a bien dû s'attendre que le retour de l'ordre ne pouvait être que le fruit du temps.

Quelle est au surplus la cause de cette fermentation intérieure dont la cour de Vienne paraît si blessée? c'est la consistance qu'ont pris les émigrés, ce sont leurs préparatifs, leurs projets, leurs menaces; c'est l'appui plus ou moins considérable qu'ils ont trouvé dans la plupart des cours de l'Europe. Il a été une époque sans doute, où leur cause qui paraissait liée à celle du Roi, a pu exciter l'intérêt des souverains, et plus particulièrement celui de l'Empereur; mais une fois que le Roi, par l'acceptation de la constitution, s'est mis à la tête du nouveau gouvernement, les émigrés n'ont plus dû intéresser que par leurs malheurs, et il a été facile de juger que leurs prétentions et leurs mouvements, en donnant des espérances aux uns et des inquiétudes aux autres, entretiendraient le trouble dans le royaume, et finiraient peut-être par le répandre dans une grande partie de l'Europe. Voilà pourquoi l'office du 21 décembre, qui semblait annoncer l'intention de les protéger, a produit une sorte d'explosion, et a donné lieu à tant de reproches: et sur qui tout cela retombe-t-il? sur le Roi; parce que la malveillance cherche à persuader qu'il existe entre Sa Majesté Impériale et le Roi une intimité parfaite; que toutes les démarches sont concertées, et qu'ainsi c'est le Roi qui protége les émigrés et guide la coalition de toutes les puissance de l'Europe. Ce serait donc un grand moyen de calmer les esprits et de ramener l'ordre et la tranquillité dans le royaume, que de faire cesser partout le scandale de ces rassemblements d'émigrés, qui, sans titre et sans territoire, cherchent à s'ériger en puissance, et ne pensent qu'à venger leurs injures particulières, et à faire triompher leurs prétentions.

Il paraît, Monsieur, qu'une des choses dont le ministre autrichien est le plus choqué est la licence des discours et des écrits, et qu'il prétend qu'un gouvernement où de pareils excès sont tolérés, est lui-même intolérable.

Sur cet objet, nous avons posé des principes sages et établi des lois justes; mais il faut considérer que notre organisation ne fait que de naître, que les ressorts de notre de nouveau gouvernement ne sont pas tous encore en activité, qu'au milieu des inquiétudes qui nous viennent en partie du dehors, il est impossible que les lois exercent au dedans tout leur empire. Que l'on cesse de nous inquiéter, de nous menacer, de fournir des prétextes à ceux qui ne le veulent que désordre, et bientôt l'ordre renaîtra.

Au reste, ce déluge de libelles dont nous avons été si complètement inondés, est considérablement diminué et diminue encore tous les jours; l'indifférence et le mépris sont les armes avec lesquelles il convient de combattre cette espèce de fléau. L'Europe pourrait-elle s'égarer et s'en prendre à la nation française, parce qu'elle recèle dans son sein quelques déclamateurs et quelques folliculaires, et voudraiton leur faire l'honneur de leur répondre à coups de canon?

Je dirai plus; s'il était possible qu'une si misérable cause entraînât les puissances étrangères dans une mesure aussi terrible que la guerre, cette guerre, quel que fût l'événement, ne détruirait point la cause pour laquelle elle aurait été entreprise; elle ne ferait au contraire que l'accroître et lui donner plus d'activité.

Je viens, Monsieur, de prononcer un grand mot, un mot qui occupe actuellement tous les esprits, un mot qui est l'objet des inquiétudes des uns et du désir des autres; ce mot est la guerre. Vous croyez bien que le Roi est à la tête de ceux qui y répugnent; son excellent esprit, d'accord avec son cœur, cherche à en repousser l'idée. Je la regarde, dût-elle être heureuse, comme une calamité pour le royaume, et comme un fléau pour l'humanité. Mais en même temps je peux vous l'assurer, le Roi a été vivement affecté de l'office du 21 décembre; tout ce qu'on a appris depuis, soit de Bruxelles, soit de Coblentz, l'a rassuré sur les véritables dispositions de l'Empereur, et Sa Majesté désirant faire partager ce sentiment à l'Assemblée Nationale, m'a chargé successivement de lui communiquer tout ce qui pouvait tendre à ce but. Mais cet ordre donné si brusquement à M. le maréchal de Bender, cette apparente intention de secourir l'électeur de Trèves, tandis que ce prince tenait à notre égard la conduite la plus hostile, cette annonce d'un concert inconnu entre toutes les puissances de l'Europe, la tournure et le ton de l'office ont fait une impression dont les gens les plus sages n'ont pu se défendre, et qu'il n'a pas été au pouvoir du Roi d'effacer.

Je reviens à l'objet essentiel de la guerre. Est-il de l'intérêt de l'Empereur de se laisser entraîner par cette fatale mesure? Je supposerai, si l'on veut, tout ce qu'il y a de plus favorable pour ses armées; eh bien ! qu'en résultera-t-il ? que l'Empereur finira peutêtre par être plus embarrassé de ses succès, qu'il ne l'eût été de ses revers; et que le seul fruit qu'il retirera de cette guerre sera le triste avantage d'avoir détruit son allié, et d'avoir augmenté la puissance de ses ennemis et de ses rivaux.

Je crois donc de la dernière évidence que la paix convient autant à l'Empereur qu'à la France; je crois qu'il lui convient de conserver une alliance qui désormais ne peut avoir aucun inconvénient pour lui, et qui peut lui devenir utile; je crois qu'au lieu de prendre part à des mesures qui tendraient à bouleverser le royaume, il doit au contraire désirer sa force et sa prospérité.

Vous devez, Monsieur, chercher des explications sur trois points: 1o sur l'office du 21 décembre; 2o sur l'intervention de l'Empereur dans nos affaires ultérieures; 3o sur ce que Sa Majesté Impériale entend par les souverains réunis en concert pour la sûreté et l'honneur des couronnes.

Chacune de ces explications demandées à sa justice, peut être donnée avec la dignité qui convient à sa personne et à sa puis

sance.

Une chose peut-être embarrassera la cour impériale dans l'explication que je la suppose disposée à vous donner, c'est l'affaire des princes possessionnés, dans laquelle l'Empereur s'est cru obligé d'intervenir comme chef de l'Empire. Mais j'observerai d'abord que c'est une affaire à part et qui doit être traitée différemment que celle dont il s'agit actuellement. J'ajouterai que le décret du 14 donne à cette négociation beaucoup plus de latitude qu'elle n'en avait précédemment; car à l'exception de tout ce qui pourrait tendre à rétablir les droits féodaux sur le territoire de France, ce qui était et ce qui sera toujours impossible; tout le reste devient permis; et certainement le Roi ne se refusera jamais à aucun arrangement raisonnable, et je crois pouvoir espérer que l'Assemblée Nationale sera disposée à adopter ce que Sa Majesté proposera sur cet objet.

Je me résume, Monsieur; et je vais vous exprimer en un mot le vœu du Roi, celui de son conseil, et, je ne crains pas de le dire, celui de la saine partie de la nation. C'est la paix que nous voulons ;

nous demandons à faire cesser cet état dispendieux de guerre dans lequel on nous a entraînés, nous demandons à revenir à l'état de paix; mais on nous a donné de trop justes sujets d'inquiétudes, pour que nous n'ayons pas besoin d'être pleinement rassurés.

No 13.

Rapport de Dumourier au Roi.

<< Sire, lorsque vous avez juré de maintenir la constitution qui » a assuré votre couronne, lorsque votre cœur s'est sincèrement >> réuni à la volonté d'une grande nation libre et souveraine, vous >> êtes devenu l'objet de la haine des ennemis de la liberté. L'or»gueil et la tyrannie ont agité toutes les cours; aucun lien na» turel, aucun traité n'a pu arrêter leur injustice. Vos anciens » alliés vous ont effacé du rang des despotes; mais les Fran>>çais vous ont élevé à la dignité glorieuse et solide de chef >> suprême d'une nation régénérée. Vos devoirs sont tracés par » la loi que vous avez acceptée, et vous les remplirez tous. La >> nation française est calomniée; sa souveraineté est méconnue; » des émigrés rebelles trouvent un asile chez nos voisins; ils » s'assemblent sur nos frontières, ils menacent ouvertement de » pénétrer dans leur patrie, d'y porter le fer et la flamme. Leur » rage serait impuissante, ou peut-être elle aurait déjà fait place >> au repentir, s'ils n'avaient pas trouvé l'appui d'une puissance >> qui a brisé tous ses liens avec nous, dès qu'elle a vu que notre >> régénération changerait la forme de notre alliance avec elle, la >> rendrait nécessairement plus égale.

» Depuis 1756, l'Autriche avait abusé d'un traité d'alliance que » la France avait toujours trop respecté. Ce traité avait épuisé >> depuis cette époque notre sang et nos trésors, dans des guerres >> injustes que l'ambition suscitait, et qui se terminaient par des trai »tés dictés par une politique tortueuse et mensongère, qui laissait >> toujours subsister des moyens d'exciter de nouvelles guerres. » Depuis cette fatale époque de 1756, la France s'avilissait au >> point de jouer un rôle subalterne dans les sanglantes tragédies » du despotisme; elle était asservie à l'ambition toujours inquiète.

» toujours agissante de la maison d'Autriche à qui elle avait sa>> crifié ses alliances naturelles (1).

>> Dès que la maison d'Autriche a vu dans notre constitution que la >> France ne pourrait plus être le servile instrument de son ambi» tion elle a juré la destruction de cet œuvre de la raison; elle a » oublié tous les services que la France lui avait rendus ; enfin, ne >> pouvant plus dominer la nation française, elle est devenue son >> ennemie implacable.

» La mort de Joseph II semblait présager plus de tranquillité de >> la part de son successeur; Léopold qui avait appelé la philoso>>phie dans son gouvernement de Toscane, paraissait ne devoir >> s'occuper que de réparer les calamités que l'ambition démesurée » de son prédécesseur avait attirées sur ses États. Léopold n'a >> fait que paraître sur le trône impérial, et cependant c'est lui >> qui a cherché à exciter sans cesse contre nous toutes les puis»sances de l'Europe. C'est lui qui a tracé, dans les conférences de >> Padoue, de Reichenbach, de La Haye et de Pilnitz, les projets >> les plus funestes contre nous; projets qu'il a couverts, Sire, du >> prétexte avilissant d'une fausse compassion pour Votre Majesté, » pendant que vous déclariez à tout l'univers que vous étiez libre; >> pendant que vous déclariez que vous aviez accepté franchement, et » que vous soutiendriez de tout votre pouvoir la constitution. C'est >> alors, que calomniant la nation dont vous êtes le représentant héré>> ditaire et vous faisant l'outrage de feindre de ne pas croire à votre » liberté et à la pureté de vos intentions, ce prince employait tous » les ressorts d'une politique sombre et astucieuse, pour grossir le >> nombre des ennemis de la France, sous les prétextes les moins >> faits pour autoriser une ligue aussi menaçante. C'est Léopold » qui, lié depuis longtemps avec la Russie, pour partager les » dépouilles de la Pologne et de la Turquie, a détaché de notre >> alliance ce roi du Nord, dont l'inquiète activité n'a pu être ar>> rêtée que par la mort, au moment où il allait devenir l'instru» ment de la fureur de la maison d'Autriche.

» C'est Léopold qui a animé contre la France le successeur de

(1) Rien de si dangereux en diplomatie que ces phrases éloquentes dénuées de tout fondement; le [sang français qui a coulé depuis 1756 à Minden, Crevelt, Wilhemsthal, a coulé pour avoir le Hanovre, et non pour l'Autriche.

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