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trône, qui auraient dû sceller la réconciliation des deux cours, ne furent cependant qu'une occasion de plus de renverser tous les beaux calculs que Louis XIV avait faits en mettant un prince de son sang sur le trône d'Espagne. Le duc de Bourbon, avec le titre de premier ministre, venait d'hériter de toute la puissance du régent, et la marquise de Prie la partagea bientôt avec lui. Un des premiers actes de ce prince fut le renvoi de l'infante à sa famille. Le roi, âgé de quinze ans, était fiancé à cette princesse, qui n'en avait que six. Le désir d'assurer de bonne heure un héritier au trône fit naître l'idée de donner à Louis XV une épouse plus avancée en âge, et le renvoi de l'infante fut en effet suivi du mariage du jeune roi avec la fille de Stanislas Leczinsky, roi de Pologne, détrôné Pierre-le-Grand. Cette malheureuse démarche, faite sans ménagement, était offensante pour l'orgueil castillan et celui de Philippe; elle causa dans la cour de Madrid une indignation générale: on se borna cette fois à un sourd ressentiment; mais c'était déjà beaucoup que de détruire tout espoir d'une alliance intime réclamée par les intérêts nationaux.

par

L'Angleterre, dirigée par Walpole, soudoyait les ministres en France, et, en feignant un système de modération, elle associait la politique du cabinet de Versailles à la sienne. L'Espagne se rattacha à l'Autriche, et conclut avec elle le traité de Vienne (1725), par lequel la maison impériale reconnaissait les droits de la maison d'Espagne sur la Toscane, Parme et Plaisance. L'Espagne reconnut la Pragmatique (1), et

(1) La Pragmatique-sanction était un acte de la maison impé

protégea la compagnie d'Ostende, établie par l'empereur Charles VI, pour faire de l'Autriche une puissance commerçante et coloniale. L'Angleterre sonna l'alarme en France, et les guinées distribuées à la marquise de Prie, parvinrent à prouver au ministère français qu'il était de son intérêt de ne souffrir ni l'agrandissement des Bourbons en Italie, ni l'établissement commercial de l'Autriche.

Le cardinal de Fleury prit les rênes du gouvernement en 1726: il fit d'abord des fautes de finances qu'il répara ensuite, il en fit une plus grave et plus irréparable en négligeant la marine. D'ailleurs l'administration de ce premier ministre est assez connue; elle fut sage, modérée, mais l'âge avancé du cardinal lui imprima une pusillanimité constante (il avait alors 73 ans). Sa politique porta l'empreinte de sa faiblesse, il sacrifiait tout au désir de ne pas faire la guerre. Le traité de Vienne amena des hostilités entre l'Angleterre et l'Espagne, alliée de l'Autriche : le premier soin du cardinal fut de réconcilier la France avec Philippe V, et d'intervenir comme médiateur; il fit signer un arrangement à Paris, et la compagnie d'Ostende fut suspendue pour sept ans, à la sollicitation de la France. L'habile Walpole obtint ainsi, de la faiblesse et de la vanité du cardinal, ce qu'il avait obtenu, par ses guinées, de Dubois et de la marquise de Prie.

La paix dura jusqu'en 1733, année où la mort du roi de Pologne, Auguste III, alluma une guerre aussi singulière

riale, qui réglait l'ordre de succession de l'empereur Charles VI, pour assurer, à sa mort, la couronne à ses filles, à leurs descendants, et non à celles de l'empereur Joseph ler, son frère aîné(1713).

que tout ce qui se passait dans cette période remarquable.

Le ministère de Versailles soutint faiblement Stanislas Leczinsky, beau-père du roi, appelé au trône de Pologne par ses droits, et, ce qui vaut mieux encore, par les vœux de toute la nation. L'Autriche soutint un roi donné par la Russie, et contribua ainsi à consolider l'empire de cette puissance en Pologne: elle paya cette faute par la perte de l'Italie et par des revers sur le Rhin. La France, qui n'envoya que quinze cents hommes avec Stanislas, fit entrer ses armées en Lombardie pour soutenir ces mêmes droits de la maison de Bourbon, que l'Autriche avait reconnus huit ans au paravant, et, ce qu'il y eut d'extraordinaire, c'est que les Espagnols furent débarqués en Toscane par une flotte anglaise.

Les puissances maritimes s'acharnaient à des guerres continentales, et les Anglais étaient trop sages pour ne pas les y encourager; ils eurent même le talent de se faire payer, par des concessions coloniales, un service apparent qui devait détourner sur l'Autriche les moyens et les efforts de la puissance espagnole: ils obtinrent le droit de trafiquer à Porto-Bello, pour avoir mis Philippe V aux prises avec les Autrichiens.

L'infant don Carlos descendit dans le royaume de Naples, dont il fit la conquête; le duc de Mortemar la consolida par la victoire de Bitonto; Parme et la Lombardie furent envahies, les armes de France et d'Espagne victorieuses à Parme, à Guastalla, auraient eu le plus grand succès, si la politique du roi de Sardaigne, leur allié, ne les eût arrêtées.

Stanislas, chassé par les armées russes, s'était sauvé en Prusse; les troupes françaises compromises à Dant

zig venaient de capituler; le but apparent de la guerre était manqué, mais le but réel se trouvait atteint. L'angleterre qui, jusqu'alors, était restée neutre, allait peut-être profiter des embarras de la France et de l'Espagne, pour leur faire une guerre maritime. Le cardinal de Fleury se hâta de faire la paix.

La couronne de Pologne fut assurée à Auguste III de Saxe; Stanislas eut la Lorraine en dédommagement de son royaume : cette province, démembrée de la France depuis dix siècles, revint, à la mort de ce roi, à son gendre Louis XV. Le duc de Lorraine, en échange, eut la succession du dernier Médicis, duc de Toscane. Naples et la Sicile furent assurés à don Carlos; Parme et Plaisance furent donnés à l'Empereur, qui céda Novarre et le Tortonais au Piémont. La France avait fait ainsi une guerre heureuse et une assez bonne paix pour la maison de Bourbon; car elle ne songeait pas à donner un roi à la Pologne, en opposition à l'Autriche et à la Russie réunies.

Cette seconde paix de Vienne (1735), procura à l'Europe un repos de cinq ans, que la mort de l'empereur Charles VI vint troubler. Frédéric-le-Grand était monté sur le trône de Prusse, et cet événement seul était en lui-même une révolution dans la situation relative des puissances.

La guerre de la Pragmatique, aussi singulière dans son origine que dans sa conduite et dans son issue, ne fut pas beaucoup plus dans les intérêts des nations française et batave, que ne l'avaient été les querelles de Guillaume et de Louis. On sait comment le pusillanime Fleury, âgé alors de 88 ans, fut entraîné à cette guerre, en 1741, parle maréchal de Belle-Isle, auquel

on eut trop de confiance, ou auquel on n'en accorda pasassez (1). Les opérations furent mal dirigées dans le principe, parce qu'on se borna à des demi-mesures, c'est-à-dire, au rôle d'auxiliaire de la Prusse et de la Bavière. Frédéric-le-Grand débuta dans sa brillante carrière par des victoires et par un abandon perfide de ses alliés. Les revers de Ségur et de Belle-Isle furent une punition cruelle d'une entreprise lointaine exécutée avec des moyens insuffisants, et calculée sur des secours étrangers. Le cardinal mourut au milieu de ces désastres, expiant ainsi l'imprudence d'avoir conservé un rôle pénible et dangereux au-delà des bornes imposées par la nature; il avait gardé toute sa présence d'esprit jusqu'au dernier moment, mais il est douteux qu'il en eût conservé toute la force.

La Hollande n'avait pris part aux premières années de cette guerre que par les subsides qu'elle payait aux ennemis de la France, par des contingents qu'elle donnait comme auxiliaire, affectant d'ailleurs de garder une neutralité illusoire et ridicule. Elle fut bientôt enveloppée dans le tourbillon des événements.

Après la mort de son premier ministre, Louis XV annonça le projet régner par lui-même. Madame de Chateauroux et le marquis d'Argenson ne tardèrent pas à partager ce fardeau avec lui. Les finances furent

(1) On a beaucoup loué et beaucoup blâmé les Belle-Isle et leurs projets. Dans ce dernier cas, on a été souvent injuste à leur égard, car on ne peut leur refuser du mérite: il ne faut jamais juger des projets d'un homme lorsqu'on ne lui laisse pas toute latitude pour les exécuter lui-même. Donner un beau plan à des ministres faibles, ou à des généraux médiocres, c'est s'exposer à des revers inévitables.

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