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tante, le Roi était sans cesse humilié. Ce Prince voulant aller à Saint-Cloud, le 18 avril, fut arrêté sur la place Louis XV par un bataillon de gardes nationales, et forcé de rentrer au palais; on le tenait depuis longtemps dans une espèce de captivité, et l'Assemblée en fixant, au mois de mai, les Tuileries pour lieu de son séjour, sanctionna en quelque sorte cette opinion.

A cette époque les démarches diplomatiques annonçaient une alliance de puissances étrangères contre la France; avant d'en indiquer l'origine, il convient de jeter un coup-d'œil sur la situation politique à la fin

de 1791.

CHAPITRE III.

Aperçu de l'état de l'Europe en 1791.

L'ÉTAT où se trouvaient les puissances européennes dans les premiers moments de la révolution a été esquissé au chapitre 1".

On y a tracé les démêlés de la Russie avec la Porte et la Suède, les mouvements agónisants de la nation polonaise, les espérances et les craintes que la constitution du 3 mai 1791 faisait concevoir, enfin les changements que la paix de Varela et celle Jassy devaient apporter dans la situation du nord de l'Europe.

Nous n'avons donc qu'à suivre la marche des événements, et à retracer ici ceux qui amenèrent l'intervention des puissances dans les affaires de France.

La Russie, toujours gouvernée par l'illustre Cathe- Russie. rine, était encore engagée dans une guerre pénible et sanglante avec les Turcs; elle avait besoin d'en cicatriser les plaies, et souhaitait la paix pour attendre l'occasion de faire repentir la diète de Varsovie de s'être donné une constitution. Si Catherine adopta, en 1780, un système assez sage pour se rapprocher des intérêts maritimes du cabinet de Versailles, elle était trop habile aussi pour ne pas tirer parti d'un changement de circonstances, et profiter de l'embrasement général du Midi, afin de porter un dernier coup à la nation polonaise qui, par la révolution de 1789 et ses nouvelles institutions, avait détruit l'influence de la czarine sur le faible Stanislas. Sa politique était donc d'encoura

TOM, I.

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Suède.

ger la résistance des émigrés et les projets de coalition générale contre les principes alarmants propagés en France; c'était mettre aux prises et armer les unes contre les autres toutes les puissances dont l'intervention aurait pu gêner ses projets.

La Suède, après avoir langui longtemps sous le joug d'un sénat ombrageux qui tenait le pouvoir monarchique sous une tutelle funeste, avait vu triompher ce dernier par l'énergie de Gustave, et l'appui qu'il avait reçu de la France. Sorti avec honneur de ses luttes contre Catherine, ce prince avait la réputation d'un héros; attaché à Louis par l'amitié et par principes, autant que par les vues d'une saine politique, il était un des alliés les plus précieux de la maison de Bourbon. Le Danemarck, neutre depuis longtemps, étranger marck. à toutes les crises de ses voisins, florissait à l'ombre de la paix, et savait profiter de la guerre : la sagesse de Christian VII, soutenue de l'habileté de son ministre, lui présageait une longue suite de prospérités, dont le système de 1780 était la garantie.

Dane

Prusse.

Autriche

La Prusse gouvernée par l'ombre d'un héros, avait un ministère plus astucieux qu'habile. Car si les vues de Frédéric le guidaient encore sous Hertzberg, il n'hérita pas après lui du génie et du talent qui savent agir suivant les circonstances. Le but de sa politique devait être de ménager la France, de se défier de l'Autriche, d'observer la Russie, enfin de conserver son influence sur le corps germanique : sa conduite fera juger à quel point il lui fut fidèle.

L'Autriche semblait attendre un moment favorable pour rétablir la gloire de ses armes, un peu obscurcie dans la guerre de sept ans et dans celle contre les Turcs.

Le traité de 1756, qui lui fut si utile sous le règne du grand Roi, ne paraissait plus aussi nécessaire depuis sa mort. Ses stipulations étaient néanmoins toutes à l'avantage du cabinet de Vienne, auquel il assurait l'appui de la France, et qu'il mettait à même de ne craindre ni la Prusse ni la Russie. Cependant, s'il faut en juger par le résultat, on serait autorisé à croire que le ministère autrichien envisagea les choses d'un œil différent.

L'abandon de ce système suivi depuis trente-six ans, fut à la vérité provoqué par des événements audessus de la prévoyance humaine; mais il fit place à une politique plus embrouillée, celle de circonstance. Dès-lors des combinaisons multipliées s'offrirent au gouvernement autrichien; il pouvait aspirer à reprendre l'Alsace et la Lorraine, à dominer sur l'Empire et l'Italie, à res treindre la Prusse dans ses anciennes limites, ou à partager la Turquie européenne comme il avait commencé à démembrer la Pologne. Toute alliance qui lui promettait un accroissement de force et tendait à un de ces buts, lui semblait donc également convenable, et les circonstances devaient décider celle qu'il adopterait d'abord.

terre.

L'Angleterre venait de voir sa puissance en Améri- Angleque presque anéantie; elle préparait tous les moyens de s'en venger. Le voile qui couvre la conduite de son ministère dans les premières années de la révolution, n'est pas encore soulevé, et il n'entre pas dans mon plan d'en pénétrer le mystère. Mais on a tout lieu de croire que le cabinet de Saint-James ne fut pas étranger aux orages qui jetèrent les fondements de sa grandeur. Cependant par un raffinement d'adresse qui ne

lui est que trop familier, il semblait ne prendre aucune
part à des événements qu'il avait peut-être provoqués ;
s'efforçant par
des dehors de modération de faire ou-

blier que c'était pour ses intérêts seuls que l'Europe al-
lait être embrasée (1).

Espagne. L'Espagne, depuis la conquête du Nouveau-Monde, avait en quelque sorte cessé d'être puissance continentale; toutes les vues de la nation étaient dirigées vers le commerce de l'Amérique. Le célèbre pacte de famille de 1761, liant moins les deux nations que leurs souverains, plaçait Charles IV dans la disposition naturelle de faire la guerre à la France pour défendre les droits de la famille dont il était issu. Cependant des vues plus vastes parurent un instant animer son ministère, et lui imposer l'obligation de ne pas sacrifier à des calculs personnels, l'intérêt général et bien avéré de sa monarchie.

Provin

ces

Unies.

Le cabinet de Madrid se contenta donc de protestations et de démarches en faveur de la famille royale, et sa conduite modérée après la catastrophe du 10 août, semble détruire tout soupçon d'une alliance réelle de l'Espagne avec les ennemis de la France.

Les rois de Sardaigne et de Naples se trouvaient à peu près dans la même situation.

La Hollande étrangère à ces liens de famille avait en échange avec l'Espagne, une similitude d'intérêts maritimes qui devait l'éloigner de toute alliance avec les Anglais, et les relations intimes qu'elle venait de conclure

(1) L'opinion des écrivains les plus célèbres est encore divisée sur ce point décisif de l'histoire moderne; Gentz, Lacretelle et Ségur voient ces événements d'une manière tout-à-fait opposée.

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