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passer depuis un an, par la célébration de l'anniversaire du 14 juillet; une fédération de députés des différentes administrations, de l'armée, et de toutes les gardes nationales du royaume, fut convoquée pour ce jour solennel. Une cérémonie imposante eut lieu au Champ-de-Mars: cent mille Français armés, jurant de défendre leurs institutions et leur liberté en présence de la cour, de l'assemblée, des ministres étrangers et de toute la population de Paris, offrirent un de ces tableaux magiques dont l'imagination la plus féconde aurait peine à se tracer une fidèle image.

tique.

Jusques-là les intérêts de politique extérieure Comité avaient eu peu de part aux sollicitudes de l'aréopage diplomafrançais et de la nation régénérée. Les rudes attaques auxquelles les armes ottomanes étaient exposées par la réunion des forces de Joseph II et de Catherine, ne touchaient que faiblement des légistes, dont les vues ne s'étendaient pas jusqu'à embrasser toutes les relations des États européens. Nonobstant les grands avantages que le commerce du Levant, et ses relations avec la Porte, assuraient à la France, elle se trouvait assez embarrassée, pour souffrir que l'Angleterre et la Prusse se saisissent de son rôle naturel, et devinssent à sa place les soutiens de l'empire de Selim..

entre

Un incident remarquable vint troubler à la fin de Diffemai cet horizon en apparence si serein; le ministre rents Montmorin rendit compte à l'Assemblée des difficultés l'Anglesurvenues entre l'Angleterre et l'Espagne, au sujet de terre et la baie de Nootka, sur la côte occidentale d'Amérique; l'Espa

le cabinet de Londres réclamait contre des violences envers son pavillon, et préparait des armements considérables pour s'en venger. L'occasion semblait belle

gne.

pour réparer les échecs essuyés dans la guerre d'Amérique; Pitt était porté à croire que le même gouvernement qui avait laissé envahir la Hollande souffrirait patiemment que l'Espagne fût accablée, et ce raisonnement était d'autant plus naturel que le pacte de famille devait paraître odieux aux meneurs de l'Assemblée. Ceux-ci en voulaient surtout aux princes de la famille dont ils conjuraient la perte; et le seul traité qui honorât la politique du siècle de Louis XV ne serait sans doute à leurs yeux qu'un acte attentatoire aux libertés de la France.

Le coup faillit réussir; cette ouverture amena des débats très vifs sur le droit de paix et de guerre; Barnave, Péthion et Lameth, oubliant que toute la puissance politique d'une nation gît dans la faculté accordée à son gouvernement de faire la guerre à propos et de se ménager de bonnes alliances(1), se laissèrent entraîner par les doctrines fallacieuses qui tendent à diviser et énerver jusqu'aux moindres rouages de l'administration. Mirabeau seul, gardant un juste milieu, fut accusé d'avoir abandonné les bannières de la philosophie pour épouser le parti de

la cour.

Enfin, après beaucoup de discussions savantes, et malgré la profonde logique de Maury, le droit de paix et de guerre fut dévolu concurremment aux deux pouvoirs.

Une résolution, plus funeste encore que celle-là, fut prise deux mois plus tard, à la suite de quelques

(1) Il faut rendre le ministère responsable des traités, mais lui en laisser le droit exclusif comme en Angleterre.

débats sur un passage de troupes autrichiennes autorisées à traverser le territoire français pour se rendre en Belgique; un comité diplomatique fut chargé, sur la motion de Fréteau et d'Aiguillon, d'interpeller les ministres sur toutes les relations extérieures de la France; dès-lors les transactions les plus délicates et les plus secrètes des cabinets, devinrent des objets de discussions à la tribune publique.

Les débats qui venaient d'avoir lieu relativement à des matières politiques, étaient cependant bien faits pour dégoûter les hommes d'État de cette nouvelle manière de procéder; on applaudissait à outrance les orateurs qui croyaient aux protestations faites par lord Stanhope et le docteur Price, au nom de la société des amis de la révolution; on berçait les esprits faibles des charmes que deux nations, jadis rivales, devaient trouver dans leurs nouvelles relations. L'esprit de parti dénature tout: il fut un instant où les philosophes de l'assemblée ne virent de véritables amis qu'à Londres; le seul Martineau, député obscur, mais dont le nom doit passer à la postérité, osa s'écrier « que les Anglais, malgré leurs protestations, étaient les ennemis » les plus dangereux de la France, et qu'il fallait s'en » méfier. » Sa voix fut bientôt étouffée par de violents murmures, et cet accueil lui imposa un silence éternel.

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Cependant le comité diplomatique influencé à son origine par Mirabeau, resta dans une juste ligne, et eut occasion, dans les premiers jours d'août, de faire un grand acte de politique nationale, à l'occasion des démêlés dont nous avons parlé ; il proposa non-seulement de soutenir l'Espagne, et de lui fournir le contingent fixé par le pacte de famille, mais encore de le

porter à quarante-cinq vaisseaux. A la vérité, il était plus aisé d'expédier un décret que de faire sortir la flotte de Brest. Néanmoins cette fermeté en imposa au gouvernement britannique, qui se contenta d'une satisfaction insignifiante, bien convaincu qu'une occasion plus propice ne tarderait pas à se présenter. Il avait d'ailleurs trouvé dans ces démonstrations le moyen de se faire assigner les fonds nécessaires pour continuer ses préparatifs en silence. Quelques jours après, l'Assemblée pria le Roi de négocier avec les petits princes allemands possesseurs de biens en Alsace, et qui se trouvaient lésés par les décrets sur les priviléges ou droits féodaux. On ne s'attendait guère alors que des réclamations d'une si mince importance, deviendraient le prétexte d'une guerre sans exemple.

Ces débats solennels sur les intérêts extérieurs firent diversion à la véritable situation du royaume. Lanation venait de conquérir des droits précieux sans doute; mais rompant cette union qui constituait sa force, elle avait substitué des théories vagues à une administration dont les ressorts étaient puissants: les liens sociaux se trouvant ainsi relâchés, un vaste champ fut ouvert aux passions, aux intérêts individuels, à l'ambition personnelle, qui trop souvent prennent les dehors du bien public et du patriotisme. Des désordres menaçants éclatèrent dans les colonies; Saint-Domingue et la Martinique se trouvaient dans une agitation qui présageait les plus grands malheurs : l'escadre de Brest faisait craindre une insurrection; des scènes de carnage se passaient à Nancy dans le régiment suisse de ChâteauVieux, et des excès commis à Nismes provoquaient la fédération du camp de Jalès.

tion

La constitution civile du clergé, décrétée le 12 juil- Constitulet, et que le Roi n'avait sanctionnée qu'à regret après civile du un long retard, imposait aux ministres des autels un clergé. serment auquel la plupart répugnait de se soumettre. Une nouvelle loi, rendue le 27 novembre, exigea d'eux cette formalité plus impérieusement. Ces mesures inconsidérées envers des hommes toujours prêts à colorer leur désobéissance du zèle de la foi, achevant de les exaspérer, ajoutèrent le danger des troubles religieux à la violence des troubles civils.

L'année 1791 commença sous les mêmes auspices que les précédentes: les insurrections se multipliaient, et les désastres occasionnés par celle de Saint-Domingue glacèrent d'effroi tous les Français capables d'en apprécier les suites. L'émigration des nobles avait un caractère alarmant, et ses résultats devaient être plus funestes encore que ceux de l'édit de Nantes.

L'assemblée des Jacobins prenant un essor redoutable, signalait déjà les amis d'une monarchie constitutionnelle comme des ennemis du peuple, et des partisans d'un despotisme déguisé sous de plus belles formes ; l'esprit de démocratie devenait plus général, et allait bientôt faire place à une démagogie dégoûtante.

2 avril

1791.

Les hommes les plus prononcés de l'Assemblée com- Mort de mencèrent à redouter l'anarchie; Mirabeau lui-même Mirabeau chercha à se rapprocher de la cour, et promit au Roi de sauver le vaisseau de l'État, dont le naufrage semblait inévitable. Sa mort prématurée, qui arriva à l'instant où il se mettait en devoir d'exécuter les projets arrêtés entre lui et le ministère, a laissé croire que ses ennemis l'avaient empoisonné.

Dès-lors la marche des événements devint plus inquié

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