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uns des chefs de l'armée française, loin d'obscurcir sa gloire, ne fait que la rehausser, en démontrant tout ce qu'elle aurait pu faire, si elle eût été toujours bien dirigée.

Pour atteindre mon but, j'ai souvent cité les opé rations de Napoléon dans ses premières campagnes, comme des exemples à suivre. Quoiqu'il ait commis dès-lors de grandes fautes militaires, néanmoins sa chute fut plutôt le résultat de ses erreurs comme homme-d'État. La première cause de ses revers fut un souverain mépris pour les hommes, et une confiance exagérée dans la supériorité de son génie, qui lui a fait dépasser toutes les bornes du possible. Les fautes qu'il a pu commettre à Moscou, à Leipzick, ne doivent pas faire oublier les brillantes combinaisons de Lonato, de Rivoli, d'Ulm, de Jéna, et tant d'autres victoires. Mais en rendant justice au grand capitaine, je me garderai bien de faire son panégyrique comme chef de la nation française: laissons à la postérité le soin de le juger en qualité de Souverain et d'homme-d'État.

CRITIQUE ET MILITAIRE

DES

GUERRES DE LA RÉVOLUTION.

LIVRE PREMIER.

INTRODUCTION.

CHAPITRE PREMIER.

Tableau succinct des mouvements de la politique européenne, depuis Louis XIV jusqu'à la révolution.

De toutes les conditions exigées d'un historien, la justesse des points de vue est sans contredit la plus importante. La preuve irréfragable de la difficulté d'en adopter de bons, c'est qu'avec des pensées élevées et des vues profondes, une foule d'historiens entraînés par les lueurs trompeuses de l'esprit de parti, s'égarent dans de fausses routes; et que les écrivains les plus estimables présentent le même événement sous des jours absolument opposés.

Les uns, apôtres ardents des factions, ne respirent que le triomphe de leurs sectateurs. L'amour de la patrie, les grands intérêts des nations, les principes les plus sacrés, ne sont rien à leurs yeux : leur cruel égoïsme se repaîtrait même des malheurs publics, pourvu que la caste dont ils sont les coryphées en retirât le plus petit avantage. Ils jouent les Séïdes; ils s'offrent comme les martyrs de vertus affectées, tandis qu'ils ne sont que d'aveugles jouets de leur orgueil, de prétentions surannées et d'intérêts mal déguisés.

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D'autres se bercent au contraire de douces illusions plaçant tout le bonheur du genre humain dans l'application de quelques maximes; voyant les hommes tels qu'ils devraient être et non tels qu'ils sont réellement, ils tombent, en rêvant la perfectibilité, dans des égarements et des excès qui, pour être séduisants, n'en sont pas moins déplorables et moins dangereux.

Enfin les derniers, étrangers à ces deux extrêmes, mais rattachant tous les intérêts européens à celui de leur pays, ne voient de bien que ce qui lui fut avantageux, et frappent de réprobation tout ce qui put lui être contraire: sentiment fort louable sans doute dans un citoyen, et toutefois incompatible avec le devoir austère de l'écrivain qui veut transmettre les événements à la postérité, sans passion et sans partialité nationale.

Lorsqu'il s'agit d'exposer les faits, l'historien peut paraître tour-à-tour huguenot avec Henri, et ligueur avec Mayenne; mais quand il porte des jugements, il doit avant tout être juste, et professer une noble indépendance.

Quoique la nature de mon plan me dispense, sous

quelques rapports, de la gravité et de la sévérité que comporte le burin de l'histoire, j'ai fait tous mes efforts pour m'assurer de la justesse des points de vue, persuadé que c'est en cela que consistent les bases de l'édifice et que les charmes du style n'en sont que les

ornements.

Pour que mes lecteurs puissent apprécier du premier coup-d'œil mes raisonnements et les conséquences que j'en fais ressortir, je crois devoir leur soumettre les idées et les combinaisons principales qui m'ont servi de boussole.

Le but de ce chapitre est beaucoup moins de prêcher des dogmes que d'indiquer ceux qui m'ont guidé moi-même. Pour le rendre complet, il eût été peutêtre convenable de placer ici le résumé des principes de l'art de la guerre rapportés au chapitre XXXV du Traité des Grandes Opérations Militaires ('). Mais l'Histoire Critique que j'offre aujourd'hui n'en étant à proprement parler que la suite ou le complément, une telle répétition eût encouru le blâme universel, et il a paru plus convenable de renvoyer mes lecteurs au chapitre précité, en leur présentant simplement un aperçu des maximes générales adoptées pour base de ce nouveau travail.

Malgré les bornes étroites que j'ai dû assigner à cette analyse rapide des mouvements de la politique européenne pendant le siècle précédent, je n'ai pu me dissimuler, ni les difficultés d'une telle entreprise, ni

(1) Voyez la 3e édition du Traité des Grandes Opérations Militaires, ou Histoire critique des Guerres de Frédéric II, comparées au système moderne, 3 vol. in-8°.

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