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Liancourt, le comte de Crillon, le marquis de Montesquiou, le comte de Castellan, Bureau de Puzy, Dupont de Nemours. Mais les députés jansénistes, au nombre de quarante environ, à la tête desquels on remarquait le sévère Camus, poussaient en avant plus peut-être qu'ils ne l'eussent voulu le char révolutionnaire, par leurs maximes tranchantes, par leur caractère opiniâtre, par la prétendue sévérité de leurs principes, qui les portait à accuser perpétuellement la cour, le clergé, les ministres. On remarquait aussi sur les bancs de la gauche dom Gerle, moine chartreux, revêtu de l'habit de son ordre, qui, de la solitude d'un cloître, se voyait jeté à travers le tumulte d'une assemblée délibérante et d'affaires dont il ne pouvait avoir aucune idée précise. On y voyait aussi un vénérable cultivateur nommé le père Gérard; il avait conservé le vêtement grossier du paysan breton. Homme plein de sens et de droiture, loin de toute ambition et de toute vue personnelle, il ne souhaitait que le bien de son pays. Heureuse la France si elle avait eu pour représentants de ses intérêts un plus grand nombre de tels mandataires.

La Fayette était à peu près dépourvu du talent parlementaire. D'ailleurs, que pouvait-on attendre d'un député qui croyait opiner sans cesse dans une assemblée des ÉtatsUnis d'Amérique? Il avait été le principal promoteur de la déclaration si retentissante des droits de l'homme et du citoyen; il fut le premier à la présenter à l'assemblée au 11 juillet 1789.

Chapelier, longtemps chef des députés bretons, ne parut échapper que vers la fin de la session de cette assemblée au torrent des opinions extrêmes. Son ascendant était

souvent balancé par le mérite de Lanjuinais, homme d'une vertu stoïque, mais d'une exaltation que l'âge, une longue expérience, pouvaient seuls tempérer.

Parmi les députés du tiers qui crurent devoir se rallier au côté droit, Malouet se présente en première ligne. Excellent patriote et dévoué à Louis XVI, ne séparant pas dans son esprit la cause du trône de celle de la liberté, il désirait voir s'établir en France une forme de gouvernement à l'instar de celui d'Angleterre. Homme d'une rectitude d'esprit rare, il s'opposa constamment à la déclaration des droits de l'homme. Après les journées des 5 et 6 octobre, il demanda vainement une loi contre les écrits séditieux. Mirabeau fit rejeter cette proposition. Depuis, il ne cessa de défendre, avec une intrépidité justement admirée, un bon nombre d'individus faussement accusés, et attaqua avec la même vigueur les écrits sanguinaires de Marat et d'autres de la même trempe.

Le comte de Clermont-Tonnerre s'unit constamment d'opinions et de sentiments à Malouet et à plusieurs de ses collègues. Tous les deux éprouvaient trop souvent à la tribune le tourment de n'être point compris, lorsqu'ils s'exprimaient avec cette clarté qui s'attache aux saines doctrines; et lorsqu'ils posaient les faits à l'appui de leurs raisonnements, de se voir sans cesse réfutés par des hypothèses, par des maximes générales sur les droits du peuple, par tous ces lieux communs dont en pareils temps abonde la tribune.

D'Éprémesnil souffrait sans cesse la mortification de ne jouer qu'un rôle à peu près secondaire dans une assemblée qui, à l'entendre, lui devait son existence.

L'abbé Maury, pauvre ecclésiastique du comté d'Avignon, s'était lié dans sa jeunesse avec les philosophes. Cependant ce fut son panegyrique de Saint-Vincent de Paul qui établit sa réputation d'homme de lettres. Député aux états généraux, il se voua courageusement à la défense de son ordre, non sans quelques vues d'ambition personnelle. « Je périrai, disait-il à ses intimes, ou j'obtiendrai « le chapeau de cardinal. » Au reste, personne n'a déployé plus de courage que lui pour résister aux démagogues. Une imagination méridionale, appliquée à l'éloquence de la chaire, lui rendait faciles ces images fortes, ces mouvements oratoires si propres à remuer profondément les âmes. De vastes connaissances en histoire, un jugement sain, un esprit prompt et pénétrant, tous ces avantages le mettaient à portée de parler sur-le-champ, avec précision, sur toutes les questions qui agitaient l'assemblée, de manière à confondre souvent ses ennemis les plus acharnés. Avec un courage à toute épreuve on le voyait souvent traverser d'un pas vif et ferme les groupes d'une multitude furieuse pour se rendre à l'assemblée, répondre aux menaces de la plèbe par des saillies pleines d'esprit et de gaieté, et puis tonner à la tribune contre l'extrême gauche. Sa parole rapide, ferme et habilement accentuée, le don de répartie, l'art d'employer souvent une ironie amère, telles étaient les qualités qui distinguaient ce député ecclésiastique. Cependant il était totalement dépourvu de cet accent de vérité, de cette onction qui pénètre si profondément dans les cœurs. Il semblait parfois plus enclin à humilier ses adversaires qu'à les convaincre de la rectitude de ses idées.

Mais l'homme supérieur du côté droit était sans contredit Cazalès. Simple officier de fortune, comme on le disait dans le temps, il était sans patrimoine effectif, sans crédit. La révolution et les diverses impressions que ce mouvement général des esprits faisait éprouver à cette âme si ardente, développèrent toute la puissance de son talent. La rectitude de son jugement lui fit mépriser les utopies du jour, et il eut l'heureuse chance de se pénétrer de bonne heure de quelques-unes des doctrines de Montesquieu. Comme il s'appuyait le plus souvent sur ce grand publiciste, on remarquait plus de sagesse dans les mouvements de son éloquence passionnée que dans la sèche analyse des orateurs dogmatiques. Simple, familier, enjoué dans le commerce de la vie intime, il recevait à la tribune ce que Bossuet eût appelé de soudaines illuminations. La connaissance parfaite qu'il avait du caractère de sa nation lui fit souhaiter le maintien des institutions monarchiques, lorsque l'assemblée en aurait fait disparaître tout ce qui pouvait compromettre les intérêts d'une sage liberté. La première fois qu'il lui arriva de discuter avec Mirabeau dans un comité, il parut craintif, et ne s'exprima qu'en paroles entrecoupées, incohérentes; peu à peu il se rassura; sa langue, docile à la promptitude de sa pensée, donna une telle vivacité, une telle souplesse à son expression, que le Démosthène français, étonné, se tourna vers lui, et, le regardant d'un œil de feu, il s'écrie : « Mon« sieur, vous êtes orateur. » Peu de jours après Cazalès parut à la tribune, et cette prédiction s'accomplit. Son regard était pénétrant, son geste libre et fier, sa voix stridente sans aigreur, son élocution rapide, correcte, entraî

nante, sa logique sûre et loyale. Précis et simple, il avait une telle lucidité d'esprit, une si merveilleuse facilité de parole, que, sans y être préparé, il disait tout ce qu'il fallait dire; il entrevoyait sur-le-champ toutes les conséquences d'un principe et les présentait de la manière la plus lucide. D'abord, ses opinions politiques étaient empreintes de quelques-uns des préjugés de son ordre; par la suite il sut se contenir, ou plutôt l'habitude de la tribune lui apprit à ménager avec adresse l'amour-propre de ses adversaires; mais les royalistes devinrent alors moins dociles à sa voix. On l'a très-souvent vu dans l'assemblée sur le point de remporter une victoire que des députés du côté droit venaient de compromettre, en réveillant hors de propos les fureurs du parti opposé. Ce parti semblait vouloir rejeter toute espèce de transaction avec le parti opposé, comme contraire à l'honneur, disait-on.

Un contemporain (1) nous a laissé un tableau animé des séances de cette assemblée mémorable. Dès l'ouverture des états généraux, les députés, loin de suivre un certain ordre dans la discussion, agitaient au hasard toutes sortes de questions de quelque côté qu'arrivât la proposition. On décrétait les articles constitutionnels suivant telle circonstance, telle situation où l'on se voyait. Les discours écrits étaient pour la plupart des espèces de dissertations de droit public, dans lesquelles on se faisait fort de remonter jusqu'à l'état primitif de la société. Mais à mesure que le moment de la décision approchait, les débats devenaient plus animés; les principaux

(1) Lacretelle, Assemblée constituante.

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