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orateurs saisissaient l'arme prompte et brillante de l'improvisation. La tribune se trouvait occupée tour à tour par l'élite de deux partis opposés; cependant la palme de la victoire était trop souvent emportée par celui qui n'avait pour tout mérite qu'une voix aiguë ou vibrante, et surtout lorsqu'il abondait dans les opinions extrêmes. Le véritable homme d'État, l'orateur même le plus éloquent ne pouvait se faire entendre sans être continuellement interrompu, assailli par des murmures, par des cris, des huées, ou par des sarcasmes plus cruels encore que des propos injurieux. Qu'on se figure alors le frémissement alternatif d'un millier de députés, dont plusieurs voyaient leur existence même mise en problème, qui combattaient pour la religion de leurs pères en faveur de la monarchie, et dont les autres, saisis d'un fanatisme (qu'on appellerait aujourd'hui socialiste), semblaient pousser le mouvement révolutionnaire vers une régénération tout idéale. Le désespoir des vaincus s'exprimait souvent par un sourire sinistre, et la joie des vainqueurs par un rire grossier. A tout ce vacarme se mêlaient encore les vociférations du peuple des tribunes, composé pour la plupart d'auxiliaires déjà éprouvés dans les mouvements insurrectionnels. Dès que ceux-ci avaient fourni une salve d'applaudissements à tout rompre : « Entendez, entendez la « voix du peuple souverain!» s'écriaient les meneurs. Lorsque le tumulte de la salle s'apaisait par lassitude, on entendait du dehors les rumeurs, les menaces, souvent des rugissements de dix, de vingt mille hommes stationnés par groupes autour du bâtiment où siégeait l'assemblée. Les députés du côté droit avaient à traverser ces formida

nante, sa logique sûre et loyale. Précis et simple, il avait une telle lucidité d'esprit, une si merveilleuse facilité de parole, que, sans y être préparé, il disait tout ce qu'il fallait dire; il entrevoyait sur-le-champ toutes les conséquences d'un principe et les présentait de la manière la plus lucide. D'abord, ses opinions politiques étaient empreintes de quelques-uns des préjugés de son ordre; par la suite il sut se contenir, ou plutôt l'habitude de la tribune lui apprit à ménager avec adresse l'amour-propre de ses adversaires; mais les royalistes devinrent alors moins dociles à sa voix. On l'a très-souvent vu dans l'assemblée sur le point de remporter une victoire que des députés du côté droit venaient de compromettre, en réveillant hors de propos les fureurs du parti opposé. Ce parti semblait vouloir rejeter toute espèce de transaction avec le parti opposé, comme contraire à l'honneur, disait-on.

Un contemporain (1) nous a laissé un tableau animé des séances de cette assemblée mémorable. Dès l'ouverture des états généraux, les députés, loin de suivre un certain ordre dans la discussion, agitaient au hasard toutes sortes de questions de quelque côté qu'arrivât la proposition. On décrétait les articles constitutionnels suivant telle circonstance, telle situation où l'on se voyait. Les discours écrits étaient pour la plupart des espèces de dissertations de droit public, dans lesquelles on se faisait fort de remonter jusqu'à l'état primitif de la société. Mais à mesure que le moment de la décision approchait, les débats devenaient plus animés; les principaux

(1) Lacretelle, Assemblée constituante.

orateurs saisissaient l'arme prompte et brillante de l'improvisation. La tribune se trouvait occupée tour à tour par l'élite de deux partis opposés; cependant la palme de la victoire était trop souvent emportée par celui qui n'avait pour tout mérite qu'une voix aiguë ou vibrante, et surtout lorsqu'il abondait dans les opinions extrêmes. Le véritable homme d'État, l'orateur même le plus éloquent ne pouvait se faire entendre sans être continuellement interrompu, assailli par des murmures, par des cris, des huées, ou par des sarcasmes plus cruels encore que des propos injurieux. Qu'on se figure alors le frémissement alternatif d'un millier de députés, dont plusieurs voyaient leur existence même mise en problème, qui combattaient pour la religion de leurs pères en faveur de la monarchie, et dont les autres, saisis d'un fanatisme (qu'on appellerait aujourd'hui socialiste),"semblaient pousser le mouvement révolutionnaire vers une régénération tout idéale. Le désespoir des vaincus s'exprimait souvent par un sourire sinistre, et la joie des vainqueurs par un rire grossier. A tout ce vacarme se mêlaient encore les vociférations du peuple des tribunes, composé pour la plupart d'auxiliaires déjà éprouvés dans les mouvements insurrectionnels. Dès que ceux-ci avaient fourni une salve d'applaudissements à tout rompre : « Entendez, entendez la « voix du peuple souverain! » s'écriaient les meneurs. Lorsque le tumulte de la salle s'apaisait par lassitude, on entendait du dehors les rumeurs, les menaces, souvent des rugissements de dix, de vingt mille hommes stationnés par groupes autour du bâtiment où siégeait l'assemblée. Les députés du côté droit avaient à traverser ces formida

nante, sa logique sûre et loyale. Précis et simple, il avait une telle lucidité d'esprit, une si merveilleuse facilité de parole, que, sans y être préparé, il disait tout ce qu'il fallait dire; il entrevoyait sur-le-champ toutes les conséquences d'un principe et les présentait de la manière la plus lucide. D'abord, ses opinions politiques étaient empreintes de quelques-uns des préjugés de son ordre; par la suite il sut se contenir, ou plutôt l'habitude de la tribune lui apprit à ménager avec adresse l'amour-propre de ses adversaires; mais les royalistes devinrent alors moins dociles à sa voix. On l'a très-souvent vu dans l'assemblée sur le point de remporter une victoire que des députés du côté droit venaient de compromettre, en réveillant hors de propos les fureurs du parti opposé. Ce parti semblait vouloir rejeter toute espèce de transaction avec le parti opposé, comme contraire à l'honneur, disait-on.

Un contemporain (1) nous a laissé un tableau animé des séances de cette assemblée mémorable. Dès l'ouverture des états généraux, les députés, loin de suivre un certain ordre dans la discussion, agitaient au hasard toutes sortes de questions de quelque côté qu'arrivât la proposition. On décrétait les articles constitutionnels suivant telle circonstance, telle situation où l'on se voyait. Les discours écrits étaient pour la plupart des espèces de dissertations de droit public, dans lesquelles on se faisait fort de remonter jusqu'à l'état primitif de la société. Mais à mesure que le moment de la décision approchait, les débats devenaient plus animés; les principaux

(1) Lacretelle, Assemblée constituante.

orateurs saisissaient l'arme prompte et brillante de l'improvisation. La tribune se trouvait occupée tour à tour par l'élite de deux partis opposés; cependant la palme de la victoire était trop souvent emportée par celui qui n'avait pour tout mérite qu'une voix aiguë ou vibrante, et surtout lorsqu'il abondait dans les opinions extrêmes. Le véritable homme d'État, l'orateur même le plus éloquent ne pouvait se faire entendre sans être continuellement interrompu, assailli par des murmures, par des cris, des huées, ou par des sarcasmes plus cruels encore que des propos injurieux. Qu'on se figure alors le frémissement alternatif d'un millier de députés, dont plusieurs voyaient leur existence même mise en problème, qui combattaient pour la religion de leurs pères en faveur de la monarchie, et dont les autres, saisis d'un fanatisme (qu'on appellerait aujourd'hui socialiste), "semblaient pousser le mouvement révolutionnaire vers une régénération tout idéale. Le désespoir des vaincus s'exprimait souvent par un sourire sinistre, et la joie des vainqueurs par un rire grossier. A tout ce vacarme se mêlaient encore les vociférations du peuple des tribunes, composé pour la plupart d'auxiliaires déjà éprouvés dans les mouvements insurrectionnels. Dès que ceux-ci avaient fourni une salve d'applaudissements à tout rompre : « Entendez, entendez la « voix du peuple souverain! » s'écriaient les meneurs. Lorsque le tumulte de la salle s'apaisait par lassitude, on entendait du dehors les rumeurs, les menaces, souvent des rugissements de dix, de vingt mille hommes stationnés par groupes autour du bâtiment où siégeait l'assemblée. Les députés du côté droit avaient à traverser ces formida

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