Page images
PDF
EPUB

son avenir sur la révolution : il semblait suivre son parti par routine, jusqu'au bout; entraîné par la faiblesse de son caractère plutôt que par l'ambition ou par la haine et la vengeance, il se sentit, comme tant d'autres, emporté par le torrent qu'il ne pouvait plus remonter.

La commune de Paris, Robespierre en particulier, ont exercé une puissante influence sur les élections, sur celles même des départements. Des commissaires y furent envoyés à cet effet; ils avaient été choisis dans les rangs les plus vils des cordeliers. Ils encourageaient partout au pillage et au meurtre de tous ceux qui ne suivaient pas leur bannière. Un nommé Momoro arriva dans le département de l'Eure, prêchant le pillage et l'abolition de la propriété il faillit y être pendu. La commune de Paris se procurait en même temps des valeurs immenses, en s'emparant de l'argenterie des églises, du mobilier des riches émigrés, qu'elle faisait vendre. Elle n'entendit jamais rendre compte de toutes ces spoliations. L'état d'anarchie où étaient tombés quelques départements du Midi était encore plus déplorable. Une bande de scélérats répandait dans Marseille la terreur et la dévastation. L'assemblée électorale, siégeant dans cette ville, avait couvert des applaudissements les plus bruyants la nouvelle des massacres de septembre; chacune de ces assemblées s'estimait souveraine dans son ressort, exerçant le droit de réquisition sur toutes les communes; elle voulut un jour faire pendre un électeur accusé ou soupçonné d'aristocratie. Quand quelques-uns affectaient d'agir en faveur du peuple, des démagogues audacieux prétendaient qu'il fallait tout faire par le peuple : en lui persuadant qu'il

peut tout, ils lui faisaient faire tout ce qu'ils voulaient. La plupart des populations étaient soumises aux puissances du jour, et les élections en général se firent sous l'influence immédiate des clubs, tous affiliés à la société-mère de Paris. -Les journaux se taisaient sur la vraie situation de la capitale, sur les pouvoirs qui y dominaient. Les correspondances privées étaient aussi en garde contre toute nouvelle qui pouvait compromettre leurs auteurs. Loin de Paris on ignorait réellement ce qui se passait (1) : on était prêt à confondre Lanjuinais avec Robespierre.

(1) Barante.

APPENDICE.

Lettre de Raynal à l'assemblée.

« Messieurs, en arrivant dans cette capitale après une longue absence, mon cœur et mes regards se sont tournés vers vous. Vous m'auriez vu aux pieds de cette auguste assemblée si mon âge et mes infirmités me permettaient de vous parler, sans une trop vive émotion, des grandes choses que vous avez faites et de tout ce qu'il faut faire pour fixer sur cette terre agitée la paix, la liberté, le bonheur qu'il est dans votre intention de nous procurer. Ne croyez pas que tous ceux qui connaissent le zèle infatigable, les talents, les lumières et le courage que vous avez montrés dans vos immenses travaux, n'en soient pénétrés de reconnaissance; mais assez d'autres vous en ont entretenus, assez d'autres vous rappellent les titres que vous avez à l'estime de la nation. Pour moi, soit que vous me considériez comme un citoyen usant du droit de pétition, laissant un libre essor à ma reconnaissance " vous permettiez à un vieil ami de la liberté de vous rendre ce qu'il vous doit pour la protection dont vous l'avez honoré, je vous supplie de ne point repousser des vérités utiles. J'ose, depuis longtemps, parler aux rois de leurs devoirs; souffrez qu'aujourd'hui je parle au peuple de ses erreurs, et à ses représentants des dangers qui nous me

soit que,

nacent. Je suis, je vous l'avoue, profondément attristé des crimes qui couvrent de deuil cet empire. Serait-il donc vrai qu'il fallût me rappeler avec effroi que je suis un de ceux qui, en éprouvant une indignation généreuse contre le pouvoir arbitraire, ont peut-être donné des armes à la licence. La religion, les lois, l'autorité royale, l'ordre public, redemandent-ils donc à la philosophie, à la raison, les liens qui les unissaient à cette grande société de la nation française, comme si, en poursuivant les abus, en rappelant les droits des peuples et les devoirs des princes, nos efforts criminels avaient rompu ces liens? Mais non, jamais les conceptions hardies de la philosophie n'ont été présentées par nous comme la mesure rigoureuse des actes de la législation.

« Vous ne pouvez vous attribuer, sans erreur, ce qui n'a pu résulter que d'une fausse interprétation de nos principes; et cependant, prêt à descendre dans la nuit du tombeau, prêt à quitter une famille immense dont j'ai ardemment désiré le bonheur, que vois-je autour de moi? Des troubles religieux, des discussions civiles, la consternation des uns, la tyrannie et l'audace des autres, un gouvernement esclave de la tyrannie populaire, le sanctuaire des lois environné d'hommes effrénés qui veulent alternativement ou les dicter ou les braver; des soldats sans discipline, des chefs sans autorité, des ministres sans moyens; un roi, le premier ami de son peuple, plongé dans l'amertume, outragé, menacé, dépouillé de toute autorité, et la puissance publique n'existant plus que dans les clubs, où des hommes ignorants et grossiers osent prononcer sur toutes les questions politiques!

<< Telle est, n'en doutez pas, telle est la véritable situation de la France. Un autre que moi n'oserait peut-être vous le dire; mais je l'ose parce que je le dois, parce que je touche à ma quatre-vingtième année, parce qu'on ne saurait m'accuser de regretter l'ancien régime, parce qu'en gémissant sur l'état de désolation où est l'Église de France, on ne m'accusera pas d'être un prêtre fanatique; parce qu'en regardant, comme le seul moyen de salut, le rétablissement de l'autorité légitime, on ne m'accusera pas d'en être le partisan et d'en attendre les faveurs; parce qu'en attaquant devant vous les citoyens qui ont incendié le royaume, qui en ont perverti l'esprit public par leurs écrits, on ne m'accusera pas de méconnaître le prix de la liberté de la presse. Hélas! j'étais plein d'espérance et de joie lorsque je vous ai vus poser les fondements de la félicité publique, poursuivre les abus, proclamer tous les droits, soumettre aux mêmes lois, à un régime uniforme les différentes parties de l'empire; mes yeux se sont remplis de larmes quand j'ai vu les plus méchants des hommes employer les plus viles intrigues pour souiller la révolution; quand j'ai vu le saint nom de patriotisme prostitué à la scélératesse, et la licence marcher en triomphe sous les enseignes de la liberté. L'effroi s'est mêlé à ma juste douleur quand j'ai vu briser tous les ressorts du nement, et substituer d'impuissantes barrières à la nécessité d'une force active et réprimante. Partout j'ai cherché les vestiges de cette autorité centrale qu'une grande nation dépose dans les mains du monarque pour sa propre sûreté; je ne les ai plus trouvés nulle part. J'ai cherché les principes conservateurs des propriétés, et je les ai vus

gouver

« PreviousContinue »