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campagne. -«La postérité, dit alors avec douleur Monsieur (depuis Louis XVIII), « s'étonnera quand elle lira « dans l'histoire qu'un grand roi, accompagné des plus « fameux généraux et des meilleures troupes de l'Europe, « a abandonné son plan de campagne à la vue d'un géné«ral sans expérience, chef d'une armée indisciplinée. »

Que dira effectivement la postérité de la conduite inconcevable du généralissime durant toute cette campagne? Le grand Frédéric disait du duc de Brunswick que la nature le destinait à devenir un héros, et lui, Frédéric, il se connaissait en gens de guerre (1). Au rapport de quelques historiens consciencieux, de M. Poujoulat en particulier, Dumouriez se serait entendu avec Danton et la commune de Paris, pour mettre dans ses intérêts le duc et les principaux officiers de son état-major, même avec les ministres du roi. La conduite de cette mystérieuse négociation aurait été confiée à Billaud-Varennes et à Fabre d'Églantine : effectivement, ces deux membres de la commune de Paris, une fois les massacres de septembre terminés, s'étaient rendus de suite auprès de Dumouriez, et ne quittaient presque plus le général en chef. Le pillage du Garde-Meuble à Paris, l'argent et les effets précieux trouvés sur les malheureuses victimes de septembre, auraient servi à gagner l'entourage du monarque prussien (2).

(1) Biographie universelle, t. VI, p. 151.

(2) Napoléon, à Sainte-Hélène, disait en parlant de cette campagne : « Je me regarde comme l'homme le plus audacieux en guerre qui peut« être ait jamais existé, et bien certainement je ne serais pas resté dans la position de Dumouriez, tant elle m'eût présenté de dangers. Je ne m'explique sa manœuvre qu'en me disant qu'il n'aura pas osé se re

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Que les hommes composant le ministère prussien, ou quelques subalternes, se soient laissé corrompre, cela s'est vu assez souvent; mais comment admettre qu'un prince connu par la noblesse de son caractère, l'élévation de ses sentiments, eût été sensible au vil appât de l'or, qu'il eût à ce point compromis sa réputation? Cependant il n'est que trop avéré, trop notoire, que le duc, dans toute cette campagne, ne montra ni résolution ni volonté, qu'il tâchait presque toujours d'éviter une affaire générale, d'éluder même de marcher en avant. Au dire des rédacteurs des Mémoires d'un homme d'État, le souvenir de cette triste et pénible époque de sa vie aurait empoisonné le reste de ses jours. Mais en somme, à quels motifs devonsnous reporter cette conduite étrange du duc? Le seul mot de cette énigme, son explication quelque peu plausible, nous croyons les trouver dans l'ouvrage précité (Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État); la voici : « On sait «< à présent qu'il n'entrait pas dans la politique du cabinet « de Londres, que la Prusse et l'Autriche pussent régler, <«< sans le concours de ce cabinet, les destinées de la <«< France. Jamais les hommes d'État d'Angleterre, qui «< veillent à sa puissance, ne permettront qu'une coalition

« tirer... ou bien encore, peut-être, par quelques négociations secrètes <«< que nous ignorons. »(Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, t,VII, p. 153.) Lebrun, ministre des relations extérieures, se présenta le 25 à la Convention pour rendre compte de l'état de son département, et il dit, entre autres « Des négociations importantes ont été entamées; il en existe une «< surtout qui intéresse essentiellement l'existence politique de la république..... Je m'abstiens d'en dire davantage..... Cependant, dès que <«< vous l'ordonnerez, je pourrai déposer ces secrets importants dans le « sein d'un comité choisi.....» (Moniteur, t. XIV, p. 62.) — Cette particularité vient encore à l'appui des conjectures de Napoléon.

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« ou un dominateur quelconque disposent des affaires vi<< tales de l'Europe sans leur participation. Telle était « déjà la politique de Pitt en 1792. L'Angleterre était « décidée à garder jusqu'à ce jour la plus stricte neutraa lité en face de tous ces événements (1). Pitt savait que « le duc de Brunswick était porté à ménager les intérêts « de l'Angleterre. Il jugea finement qu'il ne résisterait

point à l'ascendant d'une maison royale puissante, avec « laquelle il avait déjà d'étroites affinités » (le duc de Brunswick avait épousé la princesse Auguste, sœur de Georges III), « et qui lui présentait la brillante perspective du « mariage de l'héritier des trois royaumes avec sa propre « fille. » — « Telles furent les vraies causes, » disent les rédacteurs de ces Mémoires, « des temporisations au moyen desquelles le duc de Brunswick paralysa l'expédition de « Champagne, considérant que l'Angleterre n'était point « encore entrée dans la coalition contre la France. Voilà « le mobile secret, et peut-être le plus puissant, qui sem<«< bla agir sur l'indécision naturelle de Frédéric-Guil« laume; la postérité en appréciera les motifs et en jugera << les effets. » Et c'est ainsi que des considérations toutes personnelles ont trop souvent décidé du sort des empires (2).

(1) Gouverneur-Morris, t. II, p. 176.

(2) Nous avons suivi dans la relation de ces événements les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, ouvrage considéré comme pouvant faire autorité, et renfermant des pièces authentiques, officielles mème. (T. I, p. 513 et suivantes.)

Une politique tout aussi inconcevable semblait diriger les mouvements de la coalition armée sur le Rhin. Vingt mille royalistes environ, sous les armes, étaient prêts à franchir le fleuve. Ces Français, enthousiastes de la cause qu'ils avaient embrassée, réunis sous le vieux drapeau fleurdelisé, et voyant à leur tête leurs princes, s'ils eussent pénétré sans plus de délai en France, auraient obtenu des résultats décisifs. Mais telle n'était point la véritable intention des cabinets. Il était résolu que l'émigration armée serait disséminée et incorporée dans les autres armées de la coalition. On ne voulait pas lui laisser prendre une part trop large dans les événements qui allaient s'accomplir. Le principal corps de cette armée, commandé par le prince de Condé en personne, quitta néanmoins ses cantonnements de Kreutznach et des environs dans les premiers jours du mois d'août 1792. Les princes se firent précéder d'une proclamation dans laquelle ils distinguaient nettement la nation française de la faction révolutionnaire: protestant qu'aucun motif d'ambition personnelle ne leur avait mis les armes à la main, et qu'une fois la France rendue à elle-même, ils donneraient les premiers l'exemple de la soumission aux lois et aux volontés du monarque.

Ce fut une journée de fête pour eux; ils allaient toucher le sol de la patrie et délivrer leur roi de l'oppression des jacobins. Telles étaient les idées, les sentiments qui animaient ces Français fidèles à leur antique oriflamme.

Le 5 août, ce corps d'armée vint occuper Neustadt, à une marche de la frontière, non loin de Landau. Le prince de Condé s'était déjà ménagé des intelligences dans cette place. Le maire de la ville, le commandant du génie et quelques autres chefs de corps s'étaient engagés à arborer le drapeau blanc dès que le prince se présenterait aux portes de la ville, sous condition toutefois expresse de n'avoir pas dans ses rangs de troupes étrangères Il n'y avait pas un seul instant à perdre d'un moment à l'autre Custines, qui occupait Strasbourg avec son corps d'armée, pouvait arriver et se jeter dans Landau avec de nouvelles troupes. Le prince de Condé dépêcha en toute hâte deux officiers du génie vers le prince Hohenlohe-Kirchberg, campé à portée de Landau avec dix-huit mille hommes, pour lui faire part de l'espèce de convention qu'il avait conclue avec les autorités de cette dernière ville. Il lui demanda seulement de se porter, avec son corps, en vue de cette place, de faire seulement une démonstration hostile sans autre coopération. Après plusieurs réponses dilatoires, pressé par les messages réitérés du prince qui lui faisait voir l'urgence du cas, le général autrichien finit par s'expliquer nettement. « J'en suis désespéré, » dit-il dans sa dépêche au prince de Condé; «< mais l'occupation de Landau, ni d'aucune <«< autre place de l'Alsace n'entre, pour le moment, « dans le plan de campagne des puissances: je ne puis

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