Page images
PDF
EPUB

marche pour se joindre d'abord au corps de Kellermann, et le duc de Brunswick ne fait pas faire un seul mouvement à ses troupes pour l'en empêcher. Trois journées se passent jusqu'au 17 septembre dans une complète inaction de la part du généralissime; ce qui donna toute faculté au corps de Beurnonville d'opérer sa jonction avec Kellermann. Dans la journée du 20 septembre, l'armée de Kellermann occupait les hauteurs de Valmy; le duc de Brunswick ne pouvait plus se dispenser d'attaquer l'armée française dans cette position et donna des ordres en conséquence aux différents commandants de ses troupes. L'affaire commença par un feu d'artillerie formidable de part et d'autre, sans être cependant très-meurtrier : vers dix heures, un obus fit sauter deux caissons d'artillerie française, ce qui causa quelque désordre parmi les conducteurs qui s'enfuirent avec les autres caissons. Au même instant, une partie de l'infanterie française, qui se portait en avant, fit un mouvement rétrograde, sans qu'on ait pu jamais savoir d'où était parti l'ordre pour cette retraite précipitée. Le roi de Prusse à cheval, bravant la canonnade, fit alors redoubler le feu, ordonna lui-même à son infanterie de se former en colonnes et de marcher pour emporter les hauteurs occupées par les Français. Tout annonçait un choc décisif entre les deux armées. Mais le duc de Brunswick arrive et modère l'ardeur des siens, qui eussent souhaité d'en venir aux mains avec l'ennemi, et soutient qu'il faut combiner ce mouvement avec celui du général autrichien Clairfayt, destiné à l'attaque du flanc droit de l'ennemi, et qui n'est point encore arrivé. Le généralissime se porte, entouré de son état-major, sur une

hauteur; et là, examinant avec sa longue-vue la position des Français, il se retourne vers ceux qui l'accompagnent: « Nous ne nous battrons pas ici, » dit-il; et, revenant auprès du roi, il lui représente tout le danger qu'il y aurait à attaquer les Français dans la position qu'ils occupent. Aussitôt de nouveaux ordres sont donnés; les colonnes d'attaque se replient et reviennent occuper leur première position. Kellermann forme alors son infanterie sur trois colonnes, défend de tirer afin de tomber avec la baïonnette seule sur l'ennemi; ces dispositions prises, il s'écrie : Vive la nation! Ce cri, aussitôt répété d'un bout de la ligne à l'autre, et à maintes reprises, électrise le soldat, et fait succéder à la morne inquiétude qu'il avait d'abord ressentie cette allégresse et cette confiance, garants presque toujours certains de la victoire. L'affaire de Valmy aguerrit en un seul jour le soldat français, et c'est de cette journée qu'il faut dater la valeur indomptable qui se manifesta dans tous les combats qu'il eut à soutenir depuis. Sur l'avis que le général Clairfayt arrivait, le roi fait former de nouveau ses colonnes pour tenter une nouvelle attaque. Ce mouvement s'exécutait déjà quand le duc arrive et persuade encore au roi que son armée, ayant gagné une position qui la plaçait sur la route de Châlons, l'ennemi serait forcé de quitter la sienne; et l'ordre est de nouveau donné aux colonnes de se replier. Depuis l'instant où les Prussiens avaient rétrogradé jusque vers quatre heures du soir, le feu se soutint de part et d'autre. La canonnade dura jusqu'à sept heures et ne coûta la vie qu'à quelques centaines d'hommes dans chacune des deux armées ennemies; celles-ci gardèrent leurs positions respectives. Cette

journée, qu'on appela à très-juste titre la canonnade de Valmy (1), fut sans résultat réel. Ce n'était au fait qu'un simulacre de bataille. On a regardé comme à peu près certain que le généralissime aurait pu remporter une victoire décisive s'il eût attaqué les Français de front et en flanc, quand le corps d'armée de Dumouriez n'était point entré en ligne de bataille,

Le lendemain, les deux armées ennemies gardant leurs positions respectives, des négociations s'ouvrirent entre les parties belligérantes: d'abord pour une suspension d'armes que devait suivre un traité de paix définitif. Sous prétexte d'un cartel d'échange pour les prisonniers, des officiers supérieurs des deux armées ennemies se portèrent d'un camp à l'autre pour essayer quelques rapprochements. Le fondé de pouvoirs de Dumouriez disait que la France n'ayant pas déclaré la guerre au roi de Prusse, rien n'était plus facile que d'avoir la paix; que l'armée prussienne n'aurait qu'à se retirer et se renfermer dans une totale neutralité; que les Impériaux, livrés à eux-mêmes, chercheraient alors à s'accommoder. Cependant, à l'égard de ce qui se passait en France, tout en désapprouvant certaines choses, ce n'était point à lui, disait le général en chef, d'y remédier.

Quand le cabinet de Berlin poussait sans cesse aux négociations, le roi voulait toujours marcher en avant. Le duc de Brunswick ne cessait de s'y opposer, appuyant son avis sur le mauvais état des armées combinées, sur le défaut des subsistances et sur d'autres motifs qui de prime

(1) On a évalué à vingt mille les coups de canon que les deux armées se sont tirés.

abord paraissaient plausibles.-Le duc avait en sa faveur l'opinion du cabinet et la majorité du conseil. Enfin, le colonel Manstein, premier aide de camp du roi, se rendit au quartier général de Dumouriez, et déclara au général français que le roi, son maître, ne désirait pas la continuation de la guerre, et encore moins de s'immiscer dans les affaires intérieures de la France; et pour prouver combien les vœux de Frédéric-Guillaume étaient modérés, il dit que ces vœux se bornaient à ce qu'on rendit pleine liberté à Louis XVI, et cette autorité, du moins, qu'il avait eue avant le 10 août; que dès lors, l'armée combinée quitterait immédiatement le territoire français.

Pour toute réponse, Dumouriez exhiba et montra à Manstein la pièce officielle qu'il avait reçue ce jour-là même de Paris, contenant le décret de la Convention nationale qui venait de remplacer l'assemblée législative et abolissait la royauté. Le colonel en parut consterné; Dumouriez lui-même manifesta son chagrin de ce parti extrême, d'autant plus, dit-il, qu'il n'y voyait aucun remède. -Cette nouvelle ayant été rapportée au roi, FrédéricGuillaume en témoigna beaucoup d'humeur, et voulut rompre d'emblée toute négociation. Ce ne fut pas sans peine que le duc, aidé de Luchesini, obtint du roi qu'avant de rien entreprendre, on recevrait l'aide de camp de Dumouriez, Touvenot. Celui-ci, à peine arrivé, conféra d'abord avec le duc de Brunswick, déjà décidé aux plus grands sacrifices pour obtenir la libre retraite de l'armée, et s'il était encore possible, pour sauver Louis XVI.

On aborda enfin le véritable point de la négociation. Touvenot insista sur ce que le roi prît l'engagement de se

séparer totalement de la coalition. Le duc assura que Sa Majesté prussienne tenait trop à l'honneur de ses engagements pour qu'il fût facile de lui faire rompre ses alliances. Alors Touvenot déclara qu'il fallait se restreindre pour le moment à une convention militaire secrète sur la base de l'évacuation immédiate du territoire français, que l'armée prussienne ne serait point inquiétée dans sa marche rétrograde, sauf la remise de Verdun et de Longwy à la France. On était à peu près d'accord sur tous ces points. Mais de même que Dumouriez, pour arrêter définitivement cette convention, attendait un courrier de Paris, le duc déclara qu'il lui restait à prendre les derniers ordres du roi. Le monarque prussien n'était rien moins qu'enclin à accepter de telles propositions. Frédéric-Guillaume voyait toutefois la négociation secrète s'en aller en fumée, sans espoir d'aucun arrangement honorable; considérant la royauté abolie en France et la république proclamée, il ne voulut pas différer plus longtemps à prendre un parti décisif; en conséquence, il convoqua pour le 26 septembre, un grand conseil de guerre où furent appelés les principaux généraux de l'armée combinée et les ministres.

Le conseil assemblé, on délibéra sur l'avis du roi, s'il fallait ou non, dans cet état de choses, risquer une bataille générale. Le duc de Brunswick, le général Kalkreuth et les autres généraux prussiens reproduisirent tous leurs arguments en faveur d'un arrangement amiable avec la France. Ces objections furent combattues par le parti des princes français; le maréchal de Broglie et le maréchal de Castries y mirent toute l'énergie que leur inspirait la position de leur parti et de la famille royale. Ils ne for

« PreviousContinue »