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l'idée de l'illustre historien des ducs de Bourgogne, ou que la question réclame une solution plus satisfaisante.

Quels que soient au reste les motifs, les causes qui amenèrent ces vastes et sanglantes exécutions, les générations futures pourront-elles jamais se persuader que ces horreurs se sont accomplies dans un siècle de lumières, au milieu d'un peuple réputé en tous temps pour l'aménité de ses mœurs, dans une cité peuplée de huit cent mille habitants; en face surtout des représentants de la grande nation, immobiles, frappés de stupeur à l'aspect de toutes ces boucheries, exécutées par une poignée de sicaires soudoyés pour faire ce coup de main sanglant; tourbe que la première force armée aurait facilement dissipée ?

Il est plus que temps de détourner nos regards de ce trop sinistre épisode : sortons de Paris, et transportonsnous aux frontières, au milieu des camps et des armées : c'est là que la France a retrouvé ses véritables enfants. Leurs exploits vont effacer, s'il se peut, la honte de ces journées de septembre, qu'en historien fidèle, nous ne pouvions passer sous silence. On n'a eu que trop raison de dire, dans le temps, que l'honneur français, gravement compromis, honni à l'intérieur, s'était retiré dans les armées de la future république ; il y a brillé d'un éclat qui a surpassé les plus hauts faits d'armes que l'histoire ait jamais consignés dans ses pages.

La campagne du mois de septembre 1792 n'est pas moins singulière que la plupart des événements de la Révolution. Pendant que de nouvelles levées de troupes se dirigeaient vers la Champagne, Dumouriez, à qui, après la Fayette, on avait confié le commandement de son corps, restait immobile, dans son camp de Grandpré, quand il eût été d'une nécessité urgente qu'il se rendît maître des principaux passages de la forêt d'Argonne, que l'ennemi devait traverser pour marcher sur la capitale. Il écrivait à Paris : « Verdun est pris ; j'attends les Prussiens; le camp « de Grand-Pré sera nos Thermopyles, mais je serai plus << heureux que Léonidas. >>

peu

Le pays, déjà épuisé par les troupes françaises, offrait de ressources à l'ennemi; les gens de campagne, loin de s'empresser à lui en fournir, comme les chefs de l'émigration armée s'en étaient flattés, refusaient souvent même pour argent comptant les denrées les plus menues, et ne les cédaient que lorsqu'ils y étaient contraints. Le gouvernement n'avait rien négligé pour propager dans les départements et dans les armées l'enthousiasme pour la liberté et pour le nouvel ordre de choses; aussi ne vit-on pas de déserteurs passer à l'armée coalisée, tandis qu'il en arrivait un bon nombre du camp ennemi à l'armée française. Ce furent précisément les motifs qu'alléguait le généralissime, sur la nécessité de n'agir dans cette campagne qu'avec une extrême prudence, de ne rien abandonner

au hasard. Mais ce plan contrariait l'ardeur belliqueuse de Frédéric-Guillaume, et son empressement de marcher en toute hâte sur Paris; les mêmes sentiments animaient l'émigration pour la prompte délivrance de Louis XVI, et pour porter un coup décisif à la révolution, «Une guerre méthodique aurait ses avantages contre une puissance réglée, dont les ressources seraient connues d'avance, » disaient les officiers généraux royalistes français attachés au quartier général du duc de Brunswick, « mais la France « est en pleine révolution. Ses armées, aujourd'hui indisci

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plinées, peu nombreuses encore, vont se décupler; les <«< chefs acquerront de l'expérience, une discipline sévère « va s'y introduire, le fanatisme révolutionnaire fera chaque jour de nouveaux prosélytes. C'est sur Paris qu'il « faut arriver comme la foudre, pour ne pas donner le << temps aux factieux de se reconnaître. » Ce furent ces représentations qui déterminèrent l'attaque et la prise de Longwy et de Verdun; mais cette dernière place une fois dans les mains des Prussiens, le duc, au lieu de poursuivre ses avantages, s'y arrêta pour attendre, disait-il, les renforts que lui amenaient le landgrave de Hesse et les princes français. Ces nouvelles troupes enfin arrivées, il fut décidé que les alliés pousseraient en avant leurs opérations (1).

Cependant Dumouriez, dans son camp de Grandpré, se trouvait dans une situation critique; ayant détaché une bonne partie de ses troupes, sous les ordres du général Chazot, pour opérer sur le flanc de l'armée ennemie, il se

(1) Bertrand de Moleville, t. X, p. 30.

trouvait réellement coupé de ses subsistances et des divers renforts qui allaient lui arriver. Heureusement pour le général français, le duc de Brunswick, à la tête des forces imposantes de la Prusse, sans compter celles de l'Autriche, se tint immobile dans son camp, bien qu'il ne lui fût que trop facile de battre Dumouriez, de dissiper sa petite armée et de poursuivre sa marche victorieuse sur Paris. Au dire des apologistes du duc, son dessein consistait à détruire à la fois les armées de Dumouriez et de Kellermann; et pour atteindre ce but, il fallait, prétendaient-ils, les laisser se réunir. Ainsi, le duc aurait préféré avoir affaire à deux armées réunies, au lieu de manœuvrer de manière à les battre l'une après l'autre. Nous laissons aux hommes le moins versés dans l'art de la guerre le soin d'apprécier cette espèce d'apologie du duc de Brunswick. Dumouriez ne se dissimulait cependant pas le danger de sa situation, et, dans la nuit du 14 au 15 septembre, il fit lever son camp, passa l'Aisne, prit une position qui lui permettait d'attendre et de recevoir l'ennemi. Mais le matin, au moment où il ordonnait de tracer le camp pour y asseoir son corps d'armée, arrivent des fuyards en foule qui assurent que l'arrière-garde est en fuite et poursuivie par les Allemands. Dumouriez, s'apercevant des symptômes d'une déroute complète dont il ignore la cause, court à toutes brides aux troupes commandées par le général Miranda, et arrive au moment où celui-ci achevait d'arrêter les fuyards. Le prince Hohenlohe, s'apercevant de la retraite des Français, débouche avec sa cavalerie pour harceler la queue de leurs colonnes flottantes. A la vue des hussards prussiens, les

troupes de la division du général Chazot, saisies aussi d'une terreur panique, se précipitent à travers les troupes sous le commandement immédiat de Dumouriez, où elles jettent de la confusion, augmentée encore par une charge habilement conduite de la cavalerie ennemie. Heureusement les généraux Duval et Stengel parviennent à retenir les troupes qui fuyaient, et repoussent l'ennemi qui emmène néanmoins quelques prisonniers et deux pièces de canon ainsi, sans la valeur et l'habileté de ces deux généraux, douze cents hussards eussent mis en déroute une bonne partie de l'armée française. Cependant près de dix mille hommes de toute arme avaient fui, publiant partout que l'armée française était défaite, que les Prussiens allaient arriver sur leurs pas. Le général Dillon fit arrêter de suite les alarmistes qui s'étaient réfugiés dans son camp et les renvoya à Dumouriez celui-ci leur fit subir la peine due à leur lâcheté; enfin l'ordre commença à se rétablir. Dès le lendemain, Dumouriez écrivit à l'assemblée nationale avec son assurance habituelle : « J'ai été obligé d'abandonner le camp de Grandpré. La retraite << était faite lorsqu'une terreur panique s'est mise dans « l'armée: dix mille hommes ont fui devant quinze cents <«< hussards prussiens. La perte ne monte pas à plus de cin<«< quante hommes et quelques bagages. Tout est réparé et

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je réponds de tout. » Il ne fallait pas moins que de telles assurances pour calmer les terreurs de Paris, du conseil exécutif notamment (1).

Cependant le corps d'armée de Beurnonville est en

(1) Thiers, t. III, p. 84.-- Moniteur, t. XIII, p. 724,

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