Page images
PDF
EPUB

tres commissaires accourent et confirment tous ces avis, et l'assemblée se sépare encore sans rien arrêter (1).

[ocr errors]

A deux heures après minuit, trois commissaires de la commune se présentent à la barre. Tallien, un des trois, annonce que la plupart des prisons sont vides (c'était dire qu'on y avait égorgé tous les détenus). « A minuit, poursuit Tallien, « on s'est porté à la Force; nos com«<missaires s'y sont transportés, et n'ont pu arrêter les << massacres. L'ordre a été donné au commandant général d'y faire avancer la force armée; mais le service des bar« rières exigeant un très-grand nombre de troupes, on ne << pouvait pas en disposer pour rétablir le bon ordre (2). » Et aucun député n'osa réfuter de tels subterfuges; dire enfin qu'aucun service n'était plus pressant que de sauver la vie à des centaines de victimes!

[ocr errors]

Au fait, tout cela n'était que faux-fuyants : les trois commissaires étaient membres de la commune où on avait arrêté ces sanglantes exécutions. Un très-grand nombre

(1) A l'égard de cette impassibilité de l'assemblée, qui était parfaitement informée de ce qui se passait dans les prisons, et qui n'eut pas l'idée généreuse de s'y porter en corps et de se mettre entre les victimes et les meurtriers, « il faut l'attribuer, » dit M. Thiers, « à la surprise, <«< au sentiment de son impuissance, ou enfin à cette désastreuse opi<< nion, partagée par quelques députés, que les victimes étaient au<< tant de conjurés desquels on aurait reçu la mort si on ne la leur «< avait donnée. » Comment l'éloquent historien peut-il supposer que de pareils motifs aient empêché les députés de se rendre en toute håte dans les prisons, afin d'imposer, du moins par leur présence, à cette horde d'assassins! Ces députés ignoraient-ils que tous les prisonniers étaient sans armes, la plupart prêtres, et dans l'impossibilité de donner la mort à qui que ce fut? Il faut trancher ici le mot : ils eur ent peur.

(2) Moniteur, t. XIII, p. 598.

de représentants savaient à quoi s'en tenir, et feignirent de prendre à la lettre ce que Tallien leur débitait,

Cette inertie, cette torpeur de l'assemblée, n'était en définitive que peur poussée à l'extrême, ou... complicité; il n'y a point là de milieu, et c'est entre ces deux alternatives qu'elle va se présenter au jugement impartial, mais sévère, de la postérité.

Au milieu de ce silence des autorités, le ministre de l'intérieur seul, Roland, par une espèce d'acquit de conscience, résolut d'écrire à la commune, tout en adressant sa lettre au maire de Paris, pour lui représenter tout ce qu'il fallait déployer de vigilance dans l'état d'effervescence où se trouvait la capitale. Il s'adressa en même temps au commandant général, Santerre, et le somma « de faire marcher toutes les forces dont il pouvait dispo«ser pour garantir la sûreté des personnes et des proprié«tés. » Mais cette lettre était du 4 septembre, jour où la plupart des massacres dans les prisons étaient consommés. Santerre, complice connu de Danton, fit une réponse évasive, remplie de phrases banales, affectant même de la douleur à la vue de ces atrocités : « Je vais redou<< bler d'efforts auprès de la garde nationale, » dit-il en terminant sa réponse au ministre, « et je vous jure que « si elle reste dans l'inertie, mon corps servira de bou« clier au premier citoyen qu'on voudra insulter (1). Mais l'événement fit voir à Roland lui-même l'évidente complicité de la commune et du commandant général. Dès lors, le ministre résolut de presser l'assemblée de

(1) Moniteur!

>>

[ocr errors]
[ocr errors]

prendre des mesures décisives pour réprimer ces énormités, et le jour même il lui écrivit en conséquence. Cette lettre se ressentait encore de l'esprit du temps: on y voyait partout de grands ménagements pour les hommes aux opinions extrêmes, voire même pour les assassins : <«< Hier, » y est-il dit, « fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être baisser un voile. » Pour quelle raison? N'était-ce point ce jour-là précisément que les massacres avaient commencé, qu'ils étaient le plus nombreux? Quel motif alors pour amnistier ces scélérats? Arrivent ensuite des flagorneries pour le peuple. « Je sais, dit-il encore, « que le peuple, terrible dans « sa vengeance, y porte encore une sorte de justice. Le ministre pouvait-il ignorer comment cette justice venait de s'exercer? et par qui? par une bande d'assassins. Il ne manque pas non plus d'y exalter la journée du 10 août, « sans laquelle, » dit-il, « nous étions perdus. L'assemblée accueillit ce message du ministre au milieu des plus vifs applaudissements; mais elle l'applaudit par routine, par une sorte de déférence pour le ministre qui ne contrariait pas entièrement ses vues: elle ne songea même pas à tenir compte de l'urgence des mesures répressives que Roland recommandait; et à peine cette lecture fut-elle terminée, qu'elle reprit avec le plus imperturbable sang-froid la discussion sur l'état civil du citoyen, affaire qui se trouvait à l'ordre du jour (1).

»

Lorsque tant de ménagements étaient gardés envers des assassins, que même quelques fonctionnaires voulaient

(1) Moniteur, t. XIII, p. 612.

les faire considérer comme les exécuteurs de la justice du peuple, qu'il se trouva enfin des individus qui les excusaient, prétendant qu'ils avaient sauvé la ville de Paris et prévenu un terrible complot, Paris devait subir cette vaste et sanglante exécution.

Tandis que les représentants en 'corps refusaient d'agir dans ces circonstances brûlantes, un membre de l'assemblée, Brissot, et quelques autres députés, connaissant l'omnipotence de Danton depuis le 10 août, n'ignorant pas non plus qu'il était ordonnateur en chef de toutes ces exécutions, se hasardèrent à avoir recours à lui-même. « Cal« mez-vous, » leur répliqua Danton, « cela finira bientôt ; « mais il faut encore un peu de sang. » Brissot, au nom du comité de défense générale, le supplia de faire cesser ces excès. « C'est impossible,» répondit-il sèchement, «< ces exécutions sont de toute urgence pour apaiser le « peuple de Paris; il est las de voir les conspirateurs im<< punis. >> << Mais des hommes tout à fait innocents sont << immolés! >> « C'est un sacrifice indispensable, prit le ci-devant ministre de la justice; « d'ailleurs le peuple <«< ne se trompe pas (1): Vox populi, vox Dei. » Il ne dit plus un mot, et renvoya les députés.

(1) Barante, t. I, p. 239.

>> re

Le massacre des prisonniers de la haute cour nationale siégeant à Orléans avait été dévolu aux brigands de Paris; le plan avait été concerté avec Danton. On les fit effectivement partir tous pour Paris; mais en approchant de la capitale, le convoi fut dirigé sur Versailles. Alquier, président du tribunal criminel du département de la Seine, instruit par la terreur publique des horreurs dont Versailles allait devenir le théâtre, se rendit en toute hâte à Paris pour implorer la pitié du moins de Danton en faveur de ces infortunés. A peine eut-il expliqué le motif de son arrivée, que Danton, fronçant le sourcil, lui répondit : « Ces hommes-là sont bien coupables ! » — «‹ Cela peut << être; mais il faut que la loi prononce,» reprit Alquier. - « Je vous dis que ces hommes-là sont bien coupables, répondit Danton impatienté. - « J'en conviens, mais il << ne s'agit pas de cela; le danger est pressant, il n'y a pas « un moment à perdre que voulez-vous faire?» « : Eh! Monsieur,» s'écria Danton d'une voix terrible, « ne << voyez-vous donc pas que, si j'avais quelque chose à vous répondre, cela serait déjà fait. Que vous importent ces prisonniers? Remplissez vos fonctions, et ne vous mêlez « pas de cette affaire; » et il lui tourna le dos (1).

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Aussitôt que les voitures, avec les infortunés prisonniers, parurent sur la grande route de Versailles, elles

(1) Madame Roland, Mémoires, t. II.

« PreviousContinue »