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« le premier serment, je ne puis faire le second, il n'est << pas dans mon cœur, » répondit hardiment la princesse. « Jurez donc, » lui dit tout bas un de ceux qui la soutenaient. Mais l'infortunée se taisait. « Qu'on élargisse « madame! » dit le chef de cette troupe d'assassins. Ici, comme à l'Abbaye ce mot servait de signal aux sicaires qui attendaient les victimes au dehors. Elle sort; un premier coup de sabre donné sur sa tête fait jaillir le sang (1). Elle s'avance encore, soutenue par deux hommes qui peutêtre voulaient la sauver; mais elle tombe, à quelques pas de là, sous un autre coup; son corps est déchiré : les assassins l'outragent, le mutilent, s'en partageant les lambeaux. Son cœur, sa tête, d'autres parties de ce corps, sont promenés au haut d'une pique dans tout Paris (2). « Il faut, » disent ces hommes de sang dans leur langage sauvage, «< il faut les porter au pied du trône. » Ils se dirigent vers le Temple, font retentir les airs de leurs cris sauvages. Les infortunés prisonniers s'informent de la cause de ce tumulte : l'horrible bande était déjà sous les fenêtres du donjon, avec la tête sanglante de la princesse. Un garde national dit enfin à la reine : « C'est la tête de Lamballe qu'on veut vous montrer. » A ces mots, Marie-Antoinette s'évanouit.

Ce ne fut pas sans de grands efforts qu'on parvint à

(1) Quelques serviteurs du duc de Penthièvre, père de la princesse, déguisés et mêlés à la foule, crièrent : Gráce ! On tomba sur eux, et ils furent massacrés.

(2) Nous épargnons à notre lecteur les détails du reste de ces horreurs; il les trouvera, aussi bien que l'historien qui croirait à propos de les signaler, dans le Nouveau Tableau de Paris de Mercier, t. I, p. 112; dans les Mémoires de Weber, t. II, p. 348 et suivantes; et dans le Dernier tableau de Paris, de Peltier.

«

empêcher l'entrée des assassins dans la tour. Un des coryphées du drame sanglant éleva alors la voix, et s'adressant à ces tourbes « La tête de Marie-Antoinette ne vous appartient pas, » dit-il, «< toute la France y a droit. Elle a «< confié la garde de ces grands coupables à la ville de « Paris. C'est à vous à nous aider à les garder, jusqu'à ce « que la justice nationale venge le peuple de ses oppres«seurs (1).» En voulant ce » En voulant ce jour-là sauver du massacre les augustes prisonniers, l'orateur faisait ses réserves pour l'échafaud (2).

A Bicêtre, le carnage fut beaucoup plus long et plus horrible que dans les autres prisons. Il s'y trouvait quelques milliers de détenus de toute espèce : des vagabonds, des voleurs de grand chemin, des gens sans aveu, des aliénés même, qu'on avait ramassés sur les grandes routes; c'était réellement la sentine du genre humain. Quand on arriva pour les égorger, ils voulurent se défendre les chefs de ces massacres, désespérant de pouvoir les réduire à l'arme blanche, imaginèrent d'employer la mitraille pour exterminer ces malheureux. Le maire de Paris, Pétion, y parut un moment pour essayer d'arrêter cet épouvantable carnage; mais ne pouvant pas le faire cesser, craignant même pour sa propre sûreté, il résolut de quitter ce lieu d'horribles exécutions, et dit en sortant : « Eh bien! mes « enfants, achevez. » Du moment que cette horde de can

(1) Journal de Cléry.

(2) Tout cela rentre encore dans ce que nous avons fait observer à notre lecteur à la page 171, que, de longue main, les révolutionnaires chefs voulurent associer à ce meurtre toute la France, qu'il leur fallait un corps politique composé d'élus de la nation, qui dicterait la sentence de mort.

nibales eut senti l'odeur du sang, il lui en fallut à tout prix, et ces gens tuaient uniquement pour tuer, pour assouvir cette soif de sang qui semblait les dévorer, comme le tigre, dont la férocité s'accroît au seul aspect du sang; et toutes ces exécutions se passaient au milieu des éclats de rire et des cris de triomphe. Cette extermination dura, dit-on, huit jours et huit nuits consécutifs. Le peu qui resta de ces malheureux s'était réfugié dans les caves; dès lors, on imagina de les y noyer à l'aide des pompes à incendie qu'on y fit voiturer. On évalue à six mille le nombre des prisonniers qu'on fit périr dans cette seule maison d'arrêt (1).

L'évaluation générale des victimes qui périrent durant ces horribles journées diffère dans tous les rapports du temps. Cette évaluation varie de six à douze mille, dans les seules prisons de Paris (2).

Tandis que le carnage, la mort, la désolation régnaient dans la grande cité, que faisaient les autorités constituées? Prenaient-elles quelques mesures pour arrêter ces énormités, pour venger l'humanité outragée dans la capitale de la France? L'assemblée nationale, première autorité de l'État, se taisait, se renfermait dans un silence qu'on aurait pu appeler léthargique : « Elle était douloureusement affectée, » dit M. Thiers; mais qu'a-t-elle

(1) Mémoires sur les journées de septembre, p. 347-348.

(2) Thiers, t. III.

C'est la meilleure réponse à faire à ces apologistes des énormités de la révolution, notamment des massacres de septembre, lorsqu'ils soutiennent que ces exécutions n'avaient eu d'autre but que de se défaire à la fois de tous les aristocrates, ennemis, cela s'entend, du nouvel ordre de choses en France.

fait pour réprimer ces sanglantes exécutions? Rien, absolument rien. On est souvent las de lire, dans le Moniteur, les procès-verbaux des séances du corps législatif, des discussions interminables sur des sujets souvent du plus mince aloi, et on se trouve péniblement surpris de voir dans cette feuille, quasi officielle, le vide des délibérations de l'assemblée durant ces journées brûlantes, depuis le 2 jusqu'au 7 septembre. Cette assemblée naguère si fière, intervenant souvent dans des affaires qui dépassaient la sphère de son action constitutionnelle, dictant ses volontés à toutes les autorités du pays, durant ces journées de désolation s'était réduite à la plus complète nullité. Ses séances s'écoulaient, tantôt à écouter la lecture des rapports, des adresses, qu'on lui transmettait de toutes parts; tantôt à recevoir des députations qui lui arrivaient des départements, ou à témoigner sa gratitude pour des dons patriotiques que quelques particuliers apportaient; somme totale, elle ne prenait part qu'aux affaires tout à fait secondaires. Et tout cela pour tuer le temps, pour se dispenser d'agir, de prendre une résolution décisive, dans le moment où la chose publique aurait réclamé impérieusement une intervention énergique des représentants dans des actes monstrueux exercés par quelques centaines de sbires.

Sur quelques avis qu'on avait transmis à l'assemblée, que des massacres se commettaient dans les prisons, elle affecta d'abord de ne pas y ajouter foi, parce que, disait-on, le corps législatif n'en était pas officiellement informé. Enfin, le 2 septembre, vers les huit heures du soir, un officier municipal, se présentant à la barre, an

nonça que des rassemblements se formaient autour des prisons, et que quelques hommes de la foule paraissaient vouloir en forcer les portes; mais déjà une bonne partie de ces détenus étaient égorgés. L'assemblée, au lieu de requérir de suite la force armée pour réprimer ces tentatives criminelles, se contenta d'envoyer demander compte à la commune de l'état de Paris; et la plupart des représentants ne pouvaient cependant pas ignorer que ce fût au sein de cette commune même qu'on avait conçu et arrêté tous ces massacres; et la commune répondit, avec le même calme, qu'elle faisait tous ses efforts pour rétablir l'ordre et le respect des lois; et les députés de s'en tenir là.

L'assemblée prit enfin une résolution, et cette résolution consista à nommer des commissaires, choisis dans son sein, pour parler au peuple et rétablir le règne des lois. Elle crut, elle affecta de croire que cette mesure était suffisante. Bientôt un garde national accourt, et annonce que les commissaires n'ont pu calmer le peuple, et qu'il est urgent de prendre des mesures décisives; mais l'assemblée trouva à propos de passer à l'ordre du jour.

et

Dussaulx, qui avait fait partie de la députation, retourne, pour rendre compte aux représentants que les paroles que les commissaires ont adressées à la populace ameutée n'ont produit aucun effet ; qu'à la nuit tombante ils ont cru devoir se retirer pour leur propre sûreté, que les ténèbres ne leur ont pas permis de distinguer ce qui s'y passait. — Silence absolu encore de la part de l'assemblée sur ce rapport d'un de ses membres. Le jour suivant, on annonce que les massacres continuent; d'au

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