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dans Paris : les parents, les amis des détenus, étaient en proie à de mortelles angoisses. On faisait circuler, dans les groupes des avis atroces : « L'irritation du peuple, » disait-on, « est à son comble; sa répugnance est extrême à «< abandonner ses foyers pour marcher à l'ennemi, tandis qu'il laissera derrière lui des loups dévorants, qui << bientôt déchaînés se jetteront sur ce qu'il a de plus <«< cher. » Dans d'autres groupes on se plaignait de la lenteur du tribunal du 17 août, chargé de punir les conjurés du 10 du même mois; on demandait à grands cris une prompte justice: ce tribunal venait d'acquitter Montmorin, ancien ministre, condamné depuis longtemps par les jacobins. « La trahison est partout,» muimurait-on dans les groupes, « les coupables vont se dérober au glaive << de la justice. >>

Le 1er septembre, le terme fixé pour la fermeture des barrières était écoulé; on n'avait plus besoin de les garder les suspects étaient tous incarcérés, et les communications furent rétablies. Mais dans la journée on répand la nouvelle de la prise de Verdun. Danton fait aussitôt décréter par la commune que le lendemain, 2 septembre, on battra la générale, on sonnera le tocsin, on tirera le canon d'alarme, et que tous les citoyens en état de porter les armes se rendront au Champ de Mars pour partir incessamment, et rejoindre sans plus différer les armées. C'était encore une mesure de prévoyance, d'éloigner du centre de la ville des hommes armés, de crainte qu'ils ne troublassent les exécutions projetées.- Un grand nombre de familles redoublèrent d'efforts pour obtenir l'élargissement de leurs parents détenus. Quelques-uns obtin

rent cette grâce, comme nous l'avons rapporté. Une jeune femme s'obstinait à vouloir suivre son oncle qu'on allait emprisonner; on lui dit : « Vous faites une imprudence, « les prisons ne sont pas sûres. » Le lendemain 2 septembre, dans la matinée, Danton se rend à l'assemblée, monte à la tribune : « Une partie du peuple, » dit-il, « va << se porter aux frontières, une autre va creuser des re<«< tranchements, et la troisième avec des piques défendra « l'intérieur de nos villes. Nous demandons encore que quiconque refusera de ́servir lui-même, ou de remettre « ses armes, soit puni de mort. » Et le fougueux orateur dit en terminant : « Le tocsin qu'on va sonner, le canon << que vous allez entendre, n'est point un canon d'alarme ; «< c'est le pas de charge sur les ennemis de la patrie. Pour « les vaincre, que faut-il? De l'audace, encore de l'audace, et toujours de l'audace (1)! » Le ton avec lequel le ministre articula ces paroles fit une impression profonde, indicible, sur toute l'assemblée.....

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Tout Paris était sur pied; c'était un dimanche, et cette journée de chômage augmentait le nombre des gens qui circulaient partout. Une terreur mortelle saisit tous les détenus. Les geôliers mêmes paraissaient consternés : ils s'attendaient à quelque chose d'extraordinaire.

(1) Moniteur, t. XIII, p. 601.

Celui de l'Abbaye avait fait sortir dès le matin sa femme et ses enfants. —Le dîner fut servi aux prisonniers de meilleure heure que de coutume; tous les couteaux avaient été retirés. Ces incidents étranges ne font que redoubler les angoisses des prisonniers ; ils interrogent avec anxiété leurs gardiens, et ceux-ci se renferment dans un profond silence... pas un mot ne leur échappe.

A deux heures, la générale bat dans toutes les rues, le canon d'alarme est tiré pour la troisième fois : c'est le signal convenu pour les assassins à gages. Le drapeau noir, signe de détresse, flotte sur les tours de l'église métropolitaine; le tocsin sonne dans toutes les rues, et son tintement uniforme, son glas funèbre, semble annoncer la dernière heure aux infortunés prisonniers. Une nouvelle SaintBarthélemy, bien plus horrible que la première, va s'accomplir au dix-huitième siècle, au siècle des lumières et de la philosophie.

Vingt-quatre prêtres se trouvaient arrêtés à l'hôtel de ville, destinés à être déportés, pour cause de refus du serment. Six voitures sont amenées; on y fait monter ces ecclésiastiques ceux-ci croient qu'ils ne font que subir la peine de la déportation. Le convoi se met en marche; les soldats qui entourent les voitures vomissent de grossières injures aux prisonniers, les menaçant de la justice du peuple qui va s'exécuter. Puis, s'adressant à la foule qui remplissait la rue : « Oui, » disaientils en élevant leurs voix rauques, « ce sont vos ennemis, « les complices de ceux qui ont livré Verdun; ils n'at<< tendaient que votre départ pour égorger vos femmes << et vos enfants. » Les voitures se trouvent un moment

arrêtées par un gros du peuple qui encombrait la rue. Alors, un de ces sicaires monte sur le marchepied d'une des voitures, et plonge son sabre dans le cœur d'un vieil ecclésiastique. Le sang jaillit; un cri d'horreur se propage, le peuple fuit épouvanté. « Cela vous fait peur, » dit l'assassin en riant, & vous en verrez bien d'autres! » Et il continue à pointer son fer dans la voiture, jusqu'à ce qu'il ait égorgé tous les prêtres qui s'y trouvaient. Cette première boucherie terminée, ce monstre à face humaine passe à une autre voiture. Aiguillonnés par cet exploit, les autres gens de l'escorte se mettent aussi à massacrer tous ces infortunés; et les voitures avancent toujours au petit pas, en laissant après elles de longues traînées de sang. Le convoi sanglant arrive ainsi à l'Abbaye : il restait encore des vivants dans les voitures, et à mesure qu'on les fait descendre, on les massacre. Plusieurs trouvent un refuge dans le lieu où siége le comité de la section. Les assassins les y poursuivent. Les employés de la section parviennent difficilement à en sauver quatre : l'un d'eux était l'abbé Sicard (1). Tel fut le premier sang versé dans cette journée d'horrible mémoire.

Arrive alors Billaud-Varennes, membre du conseil de la commune, le seul, entre les organisateurs de ces sanglantes exécutions, qui les ait constamment approuvées, qui s'en soit toujours fait gloire : ses yeux fauves ne pou

(1) Il faut lire, dans les Mémoires sur les journées de septembre, la manière dont ce digne ecclésiastique fut sauvé des poignards des assassins par l'horloger Monnot. Celui-ci criait aux assassins, en couvrant de son corps l'abbé Sicard : « Il faut que vous me perciez le sein avant d'atteindre «< cet homme respectable! C'est l'instituteur des sourds muets, c'est le bienfaiteur, c'est le père de ces enfants infortunés. »

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vaient assez se repaître de ces boucheries. Il arrive, paré de son écharpe, marche dans le sang jusqu'à la cheville, puis, s'adressant à ces égorgeurs : « Peuple, » leur dit-il, « tu immoles tes ennemis, tu fais ton devoir! » Bientôt Maillard s'écrie : « Il n'y a plus rien à faire ici, allons aux « Carmes! » Sa bande le suit à l'instant; ils se dirigent en toute hâte vers l'église des Carmes. Deux cents ecclésiastiques s'y trouvaient renfermés. Les assassins y pénètrent. Ils voient ces infortunés adressant de ferventes prières au ciel, s'embrassant les uns les autres pour dernier adieu : ils sentaient que l'heure suprême était arrivée pour eux. Les sbires appellent d'abord à grands cris l'archevêque d'Arles; personne ne le désigne : le prélat, après avoir demandé l'absolution à un de ses compagnons d'infortune, s'avance lui-même vers ses bourreaux. C'était un vénérable vieillard de plus de quatre-vingts ans, dont la vie avait toujours été exemplaire. Les mains croisées sur la poitrine et levant les yeux au ciel : « Je suis, » dit-il, « celui que << vous cherchez. » La dignité, la résignation calme de l'archevêque émeuvent d'abord ces forcenés; ils n'osent le frapper; quand un des soi-disant fédérés de Marseille l'accuse d'avoir fait assassiner des patriotes. « Je n'ai jamais << fait de mal à personne,» répondit le saint homme. Un coup de sabre sur cette tête vénérable est la seule réplique du brigand; et le moment d'après le prélat est haché par ces misérables. On tire à bout portant sur les autres, dont une partie a fui dans le jardin attenant au couvent. Dès lors commence une abominable, une effroyable chasse; les assassins poursuivent d'allée en allée, de charmille en charmille ces prêtres infortunés, jusque sur les branches

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