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lisés. Rien, enfin, n'était négligé pour enflammer l'imagination, grossir les objets, accroître la terreur. Il faut, disaient les orateurs des rues, il faut nous délivrer des traîtres et déjà naissait dans les groupes l'atroce idée d'immoler tous les ennemis du peuple, idée qui, parmi le grand nombre, n'était qu'une bouffée momentanée d'une imagination en délire, mais qui, dans les meneurs, allait se changer en un plan réel d'extermination.

Danton, sans plus différer, se rend à la commune : elle était alors composée en majeure partie de ces hommes qui, n'ayant rien à perdre, ont tout à gagner dans les troubles politiques. L'instinct révolutionnaire révèle à ces hommes déjà coupables de tant d'excès l'idée que, dans les commotions sociales c'est par une recrudescence des excès qu'on s'en assure l'impunité (1). Là, on décide le désarmement et l'arrestation des suspects; et d'abord tous les signataires de la pétition contre la journée du 20 juin sont réputés tels leur nombre s'élevait à environ vingt mille, tant à Paris que dans les départements, non compris d'autres individus considérés également comme suspects. Enfin, pour effectuer ces arrestations, on imagine des visites domiciliaires. Dès lors le conseil général de la commune arrête que les barrières seront fermées à partir du 29 au soir, durant deux fois vingt-quatre heures, et qu'aucune permission de sortir de Paris ne sera délivrée pour quelque motif que ce soit. Tous les hommes suspects ou ceux qui, par lâcheté, refuseraient de marcher à la défense générale du pays, seront à l'instant désar

(1) Mémoires de madame Roland, t. II, p. 31.

més. En outre, on fera croiser sans cesse des bateaux dans toutes les directions sur la Seine, pour empêcher toute évasion par eau. On enjoignit en même temps aux communes environnantes d'arrêter quiconque serait surpris sur la route ou dans la campagne non muni de l'attestation de civisme.-Le tambour devait annoncer les visites, et à ce signal chacun serait tenu de se rendre à son domicile, sous peine d'être traité comme suspect, si on le trouvait quelque autre part.

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Dès le 29 au soir, des commissaires de la commune, assistés de la force armée, sont chargés d'exécuter ces odieuses mesures, de s'emparer des armes et d'arrêter tous les suspects. «Tous les mauvais citoyens, enfin, qui se cachaient depuis le 10 août, tout ce qui avait ap<< partenu à l'ancienne cour, tout ce qui avait signé la pétition contre la journée du 20 juin devait subir la « même rigueur. » Telles étaient les instructions que ces gens avaient reçues; on en avait évalué par la suite le nombre à douze ou quinze mille dans Paris seul. Le comité de surveillance présida à ces arrestations. - Ceux qu'on arrêtait étaient conduits d'abord au comité de leur section, puis à celui de la commune. Là, ils étaient brièvement questionnés sur leurs opinions, sur leur conduite. Il arrivait souvent qu'un seul membre les interrogeait, tandis que les autres, accablés de fatigue pour avoir veillé, dormaient sur leurs bancs ou sur les tables : tous les individus reconnus suspects étaient envoyés de suite dans les prisons sans distinction d'âge, de rang et de sexe.

La terreur planait sur tout Paris. Les royalistes se croyaient menacés par les républicains, les républicains

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par les armées ennemies, qu'on croyait déjà à quelques journées de marche de la capitale. Le comité de défense générale de l'assemblée, réuni le 30, appela dans son sein le conseil exécutif pour délibérer sur les mesures de salut public. Une foule de députés s'étaient rendus à ce comité, voulant assister à cette délibération. Divers avis sont ouverts. Le plus grand nombre propose de porter toute la population en armes sous les murs de Paris, pour y combattre avec l'énergie que donne le désespoir, et, à la dernière extrémité, de se retirer sur Saumur. Enfin Danton prend la parole: «< On vous propose de quitter Paris, » dit-il; << vous n'ignorez pas que dans l'opinion des ennemis Paris représente la France, et que leur céder ce point, c'est << leur abandonner la révolution. Reculer, c'est nous per« dre. Il faut donc nous maintenir ici par tous les moyens «< et nous sauver par l'audace..... Il faut ne pas se dissimu<«<ler la situation dans laquelle nous a placés le 10 août. Il << nous a divisés en républicains et en royalistes, les pre<< miers peu nombreux, les seconds beaucoup. » (Personne n'ignorait que depuis le 10 août le parti royaliste était sans consistance réelle.) « Dans cet état de faiblesse, nous républicains, nous sommes exposés à deux feux : celui « de l'ennemi, placé en dehors, et celui des royalistes, pla«< cés au dedans. Il est un directoire royal qui siége secrè<< tement à Paris et correspond avec l'armée prussienne. (Fable inventée à plaisir, mais que les esprits terrifiés accueillaient facilement.) « Vous dire où il se réunit, qui le «< compose, serait impossible aux ministres ; mais pour le « déconcerter, pour empêcher sa funeste correspondance << avec l'étranger, il faut... il faut faire peur aux roya

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« listes. » A ces mots, accompagnés d'un geste exterminateur, un sentiment vague de terreur saisit tous les assistants. « Il faut, vous dis-je, » reprit Danton avec une voix tonnante, « il faut faire peur aux royalistes!... C'est << dans Paris surtout qu'il vous importe de vous maintenir, « et ce n'est pas en vous épuisant dans des combats incer<< tains que vous y réussirez (1). » Un silence morne suit la sinistre harangue de Danton. Aucune objection n'est articulée, et chacun, consterné, se retire sans prévoir précisément, sans oser même pénétrer les desseins du ministre tout-puissant.

Danton se rend immédiatement après au comité de surveillance de la commune, qui disposait alors souverainement de la personne et de la fortune de tous les citoyens, la direction de la police générale étant entrée dans les attributions de cette redoutable juridiction en vertu du décret de l'assemblée; là trônait Marat. Ce fut au sein de ce comité mystérieux, vrai pandémonium, que dans la nuit du 30 au 31 août furent conçues et arrêtées d'horribles résolutions : un plan d'extermination enfin de tous les détenus. Danton prêta son audace à l'initiative satanique de Marat, qui le premier donna l'idée de cette trame infernale. Maillard est choisi pour son principal ordonnateur. Celui-ci s'était déjà composé une bande d'hommes grossiers et prêts à tout exécuter sur un signe de leur chef. On l'avertit de se tenir prêt à agir au premier signal, de préparer d'avance des assommoirs, des baillons pour étouffer les cris des victimes, des voitures

(1) Thiers, t. III, p. 43.

couvertes pour transporter hors de la ville les corps immolés, de la chaux vive pour en détruire les restes... On y régla en même temps le salaire des assassins, des fossoyeurs, tous les frais enfin de ces expéditions sanglantes. C'est ainsi que les massacres, qu'on aurait voulu faire considérer plus tard comme l'effet de l'irritation du ple en désespoir de cause, étaient conçus et arrêtés avec le calme, l'ordre et la régularité d'un simple acte d'administration.....

peu

Quant à la police souveraine de la municipalité, elle continuait, à l'aide de ses sbires, durant toute cette nuit, à remplir les prisons. Dans la matinée, Danton s'était fait remettre la liste des arrestations. Les démarches auprès des ordonnateurs de ces massacres ne furent pas toutes vaines. Danton, le révolutionnaire le plus forcené, fut accessible parfois à la pitié, à des sollicitations en faveur de quelques détenus, dont il fit ouvrir la prison. Le procureur général de la commune, Manuel, voulut réparer l'opprobre de sa coopération à des actes sanguinaires plusieurs lui durent leur salut, entre autres madame de Staël, Beaumarchais, Lally-Tollendal. Robespierre même se rappela l'abbé Berardier, principal du collége Louis-le-Grand, où il avait fait ses études, et lui fit ouvrir la prison dans laquelle il gémissait. Mais ce qui surprit par-dessus tout, c'est que Marat, l'horrible Marat, avait sauvé plus d'un prisonnier. Quel abîme que le cœur de l'homme! Au fait, ce ne furent que de rares exceptions en faveur de quelques particuliers, quand la masse des prisonniers allait passer sous le fer des assassins.

Cependant une rumeur sourde et vague se répandait

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