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cier à son plan l'autorité civile. A cet effet, le général se présenta à la municipalité de Sedan, et on y décida que les trois commissaires, à peine arrivés, seraient arrêtés. Ceux-ci se rendirent d'abord à la maison commune : le maire leur demanda sans autre préambule si l'assemblée, lorsqu'elle avait rendu le décret dont ils se disaient porteurs, était parfaitement libre. La loyauté de Kersaint, l'un des commissaires, ne lui permit pas de céler la vérité; il convint que l'assemblée avait voté sous la pression d'un mouvement insurrectionnel et entourée de la force armée (1). Alors le maire leur répliqua : « Vous n'êtes donc point « des députés du corps législatif; vous êtes les députés d'un parti qui tient nos représentants captifs, qui force l'as« semblée à voter la destruction des lois que nous avons « tous jurées... et depuis votre entrée dans cette com<< mune, dit-il en finissant, vous ne cherchez qu'à sou<< lever le peuple... Nous devons vous considérer comme <«< otages pour la sûreté de nos députés. » Le maire prit les voix des membres de cette juridiction municipale, et il fut unanimement résolu que les commissaires seraient arrêtés et conduits au château de Sedan. On eut même quelque peine à les défendre contre le ressentiment du peuple. Le lendemain ils purent voir, de la tour du bâtiment où ils étaient renfermés, les autorités civiles et les troupes renouveler le serment de fidélité à la constitution et au roi. -Le directoire du département des Ardennes approuva la conduite de la municipalité de Sedan, et déclara inconstitutionnels les décrets du 10 août. Arthur Dillon fit

(1) Barante, Histoire de la Convention, t. I, p. 206.

renouveler aux troupes qu'il commandait, et qui faisaient partie de l'armée de la Fayette, le serment de verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour le maintien et l'intégrité de la constitution, et d'ètre en tout fidèles à la nation, à la loi et au roi. — Victor de Broglie, commandant l'armée du Rhin, avait, de concert avec le maire de Strasbourg, pris aussi la résolution de résister aux décrets apportés par les commissaires. Parmi les officiers généraux des armées du Nord et du centre, Dumouriez, toujours sans foi dans quelque opinion politique que ce fût, mais calculant mieux que les autres la portée des événements, s'était rangé sans hésiter du côté du parti victorieux, et, dans une lettre adressée au président de l'assemblée, avait juré de mourir au poste que lui confiait la nation (1).

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La Fayette ne se décourageait cependant pas, et croyait pouvoir maintenir toujours une opposition qui eût servi de point de ralliement à tous les constitutionnels et rétabli la forme de gouvernement que la constitution de 1791 avait décrétée. Il pouvait espérer de voir son plan couronné d'un succès complet, quand la majeure partie de la France (soixante-quinze départements), avant même le 10 août, avait pleinement approuvé sa lettre au corps législatif. Son projet consistait à former par la réunion des autorités civiles un congrès auquel il se flattait que les constitutionnels de l'assemblée nationale ne tarderaient pas à se réunir. Luckner, qui commandait l'armée de la Moselle, lui avait écrit qu'il pouvait compter sur lui; le

(1) Toulongeon, t. II, p. 267. - Burette, t. II, p. 249.

vieux général disait à ses soldats : « Mes camarades, il « est arrivé un accident à Paris; mon ami la Fayette a « fait arrêter les commissaires de l'assemblée nationale, « et il a bien fait. » Plus tard il se rétracta, et, appelé devant la municipalité de Metz, pleura, se démentit, et prêta tous les serments qu'on voulut.

Mais un incident d'une immense portée devait paralyser, annuler la réaction projetée contre la tyrannie démagogique de la capitale. Le duc de Brunswick s'avançait à la tête d'une force armée imposante sur le territoire de la France dès lors, le soldat français ne vit que la patrie en danger; les citoyens partagèrent le même entraînement; l'amour de la patrie éteignit dans les cœurs tout autre sentiment, l'ardeur de défendre les foyers domestiques menacés prévalut, et étouffa l'irritation qu'on avait ressentie contre le pouvoir monstrueux que s'était arrogé la commune de Paris. Sans cette invasion de l'ennemi, si impolitique au moment où une réaction se préparait dans les troupes commandées par la Fayette contre les révolutionnaires de la capitale, de nombreuses chances de succès se seraient offertes au plan du général. Le trop fameux manifeste du duc acheva d'exaspérer les esprits : on se rallia... mais ce fut sous les drapeaux de l'assemblée nationale, seul pouvoir encore debout. Le 16 août, une revue générale était commandée. Au défilé, la plupart des bataillons crièrent : « Vive la nation! vive l'assemblée!» et pas un cri en faveur du général commandant. Considérant cette disposition du soldat, et gravement compromis par ses antécédents, la Fayette n'avait d'autre parti à prendre que de quitter son commande

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ment en toute hâte. Il mit en ordre les affaires de l'administration militaire, pourvut à la sûreté de son camp, et se dirigea vers la frontière, n'associant à ses destinées qu'un petit nombre d'amis et de compagnons d'armes. Il était bien temps qu'il s'éloignât : le 18, le ministère, suprême pouvoir exécutif alors, avait prononcé son rappel; le 19, l'assemblée l'avait déclaré traître à la patrie, et avait lancé contre lui un décret d'accusation (1). Au moment de passer les limites de la France, il congédia les vingt-cinq cavaliers qui l'avaient escorté jusque-là. Il voulait, couvert des ombres de la nuit, traverser seulement le territoire ennemi et se retirer en un pays neutre, la Hollande; mais il tomba au milieu des avant-postes autrichiens. On sait la dure captivité que lui fit subir le cabinet de Vienne.

La révolution du 10 août, et la situation politique et sociale du pays qu'elle avait amenée, étaient déjà acceptées par les armées comme un fait accompli, sur lequel il n'y avait plus à revenir; et les provinces ne tardèrent pas à

(1) Toulongeon, t. II. -Burette, t. II.

se soumettre à la nouvelle autorité, produit de l'émeute. Toute liberté de la presse, çela s'entend, avait disparu : il allait de la vie pour les journalistes indiscrets, s'ils se risquaient à présenter la situation réelle du pays et des partis.

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A toutes les périodes de la révolution nous avons pu remarquer certains hommes qui semblaient dominer les événements, paraissant en quelque sorte les représentants des idées les plus généralement adoptées. Necker, la Fayette, Mirabeau avaient eu leur temps. Présentement le tour de Danton était arrivé. C'était lui qui disposait des masses de la capitale, qui leur imprimait le mouvement au gré de ses volontés et de ses passions; c'était encore lui qui dominait dans la commune et dans toutes les juridictions émanées de la journée du 10 août.

Danton était le Mirabeau de la rue. Ses formes athlétiques, sa physionomie terrible d'expression et sa voix tonnante imposaient à la multitude. Ce fut lui qui fonda le club des Cordeliers, société qui dépassa en violence celle des Jacobins. Son audace, dont il faisait montre, lui fit improviser dès le commencement de sa carrière révolutionnaire, au milieu d'un gros du peuple, une harangue contre les pouvoirs constitués. Un mandat d'arrêt était déjà lancé contre lui : n'importe, il se présente aux élections; un huissier, porteur de cet arrêt, veut s'emparer de Danton, et l'huissier est arrêté lui-même par le peuple comme coupable d'attentat envers la souveraineté nationale. Néanmoins ce fut lui, Danton, qui, après le 10 août, fut porté au ministère de la justice.

On avait imaginé dans le conseil exécutif dont Danton

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