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tuait au pouvoir exécutif, agissait avec l'indépendance la plus complète et une audace sans frein : elle prit toutefois des mesures pour sauver de la fureur du peuple les officiers et soldats suisses incarcérés. Elle publia une proclamation où on lisait entre autres : « Peuple souverain, << suspends ta vengeance; la justice, un moment endor« mie, reprendra ses droits; tous les coupables vont périr « sur l'échafaud. » — Elle conférait à deux de ses membres les pouvoirs les plus étendus pour élargir et pour arrêter dans Paris les personnes qui leur paraîtraient suspectes. Sans se référer même au corps législatif, elle suspendait les juges de paix, les commissaires de police, et confiait l'exercice provisoire de leurs fonctions aux sections assemblées. Dès lors la sûreté des personnes et des propriétés fut dévolue aux assemblées de sections : pouvoirs, à cette époque, entièrement insurrectionnels. Par cette dernière disposition, la commune se ménageait un puissant levier pour remuer les masses et les faire agir selon ses vues. Enfin, pour ne plus rencontrer d'entraves à sa marche insurrectionnelle, elle prononçait de son chef la suspension du département de Paris. C'était, à la lettre, une dictature multiple, inquisitoriale, souveraine, et d'une activité prodigieuse, débordant sans cesse l'autorité de l'assemblée nationale. Fort de son point d'appui (la plèbe), le conseil général de la commune se posait hardiment en face du corps législatif; il ne parlait plus au nom des habitants de Paris, mais au nom de la nation tout entière, et l'assemblée, presque embarrassée de son passé constitutionnel, voyant d'ailleurs approcher la fin de sa mission, regimbait parfois contre le despotisme de l'hôtel de ville,

mais le plus souvent se laissait déborder par ce pouvoir improvisé (1). En somme, toute la puissance publique, à cette terrible époque, était concentrée dans le conseil général de la commune.

Les députés n'étaient plus les représentants de la nation française, mais, à la lettre, des instruments dociles du pouvoir insurrectionnel du 10 août, concentré dans la commune de Paris.-L'asservissement de l'assemblée aux volontés de celle-ci était tel, qu'elle convertissait sur-le-champ ses arrêtés en décrets sans oser se permettre la moindre discussion. Il arrivait parfois que lorsqu'elle avait obtenu ces décrets, changeant bientôt d'avis, elle venait en proposer de tout contraires, et l'assemblée ne les adoptait pas moins. C'est ainsi que lorsqu'on avait décidé que la famille royale serait transférée au Luxembourg, les commissaires de la commune vinrent représenter au corps législatif que la municipalité de Paris ayant été chargée, sous sa responsabilité, de garder Louis XVI et sa famille, elle était d'avis que ces personnes seraient plus en sûreté à l'hôtel de la Chancellerie, et l'assemblée rendit un décret conforme à ces représentations. Quelques heures après, la commune, changeant encore d'avis, fit représenter à l'assemblée qu'il fallait faire subir à la famille déchue une véritable détention dans la tour du Temple, et l'assemblée n'hésita pas à rendre un décret conforme à cette nouvelle injonction du pouvoir insurrectionnel (2).

La famille royale, après avoir été forcée d'assister plusieurs jours consécutifs aux séances de l'assemblée dans la

(1) Burette, t. II, p. 232-236.

(2) Moniteur.

loge du Logographe, allait être transférée dans la tour du Temple. Le 13 août ou la fit monter dans une seule voiture accompagnée de Pétion, réintégré dans ses fonctions de maire de Paris, et plus que jamais idole du peuple; de Manuel, procureur de la commune et d'un officier municipal, escortée de nombreux détachements de cavalerie. La voiture s'avançait au milieu d'une nombreuse force armée qui formait la haie jusqu'à la porte du donjon: ce qui n'empêcha pas les insultes grossières que le roi et la reine eurent à supporter de la part de la populace. La fermeture des barrières avait été aussi prescrite, tant on redoutait une réaction en faveur des augustes captifs. On était tellement pressé de les établir dans cette prison, qu'on n'eut pas même le temps d'y faire apporter les meubles les plus indispensables de manière que cette famille infortunée, dans les premiers temps, manquait des objets les plus nécessaires pour supporter cette dure captivité.

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Bientôt un incident très-grave allait surgir au sein de l'assemblée même. On réclamait à grands cris la punition des coupables qui avaient osé tirer sur le peuple dans la journée du 10 août. On les appelait les conspirateurs de cette journée. On se garda bien, cela s'entend, de débattre la question de quel côté était venue l'agression, si les habitants du château avaient le droit ou non de se défendre contre l'invasion d'une populace ameutée; et, sans examiner la nature de ce soi-disant délit, la commune demanda l'érection d'un tribunal spécial chargé de juger tous ces coupables. Cette fois-ci l'assemblée hésita à prononcer d'emblée. Enfin après plusieurs allées et ve

nues, un représentant de la commune parut à la barre le 17 août : «Comme citoyen, comme magistrat du peuple, dit-il, « je viens vous annoncer que ce soir, à minuit, le « tocsin sonnera, la générale battra. Le peuple est las de << n'être point vengé. Craignez qu'il ne se fasse justice « lui-même. Je demande que, sans désemparer, vous dé«crétiez qu'il sera nommé un citoyen par chaque section « pour former un tribunal criminel... » Cette demande insolite souleva l'assemblée. Chaudieu et Thuriot, en particulier, réprimandèrent durement l'envoyé de la commune. La discussion néanmoins s'engage, et cette proposition, fortement appuyée par le côté gauche, est convertie en décret sur l'avis d'Hérault. « Il sera formé, » y est-il dit, « un tribunal criminel destiné à juger les crimes com«< mis dans la journée du 10 août et autres crimes y relatifs, circonstances et dépendances. Les juges prononce« ront en dernier ressort sans appel... » Tel fut le premier essai du tribunal révolutionnaire, et la première accélération donnée par la révolution aux formes de la justice. Ce tribunal fut appelé: Tribunal du 17 août (1). Et telle était l'impatience des hommes qui imaginèrent cette cour spéciale de justice criminelle, que dès le lendemain, son organisation était terminée. Robespierre avait été porté à la présidence; mais il s'y refusa, prétextant qu'il ne pouvait s'asseoir parmi les juges après avoir rempli si longtemps la fonction d'accusateur (2). Cette délicatesse de conscience devait l'abandonner totalement dans le procès de Louis XVI, comme nous le verrons dans la

(1) Moniteur, t. XIII, p. 443-444. — Thiers, t. III, p. (2) Burette, t. II, p. 46.

22.

suite de ce récit. Le redoutable tribun, qui s'était caché durant la journée du 10 août, reparut le lendemain et prétendit avoir sa part dans ce triomphe du peuple. Marat était sorti aussi de l'obscur souterrain où Danton l'avait caché pendant l'attaque des Tuileries, et, maintenant armé d'un sabre, il se promenait hardiment dans Paris à la tête d'un groupe de Marseillais.

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Si la capitale de la France et l'assemblée nationale pliaient sous le despotisme de la commune de Paris et des autres pouvoirs insurrectionnels, les provinces étaient loin de se soumettre à ce pouvoir improvisé. L'ancien commandant de la garde nationale, à la tête de 28,000 hommes qui lui étaient entièrement dévoués, connaissant l'esprit dont étaient animés les départements que son armée occupait, où de nombreuses copies de sa lettre à l'assemblée avaient produit une profonde sensation, considéra les résultats que les événements du 10 août avaient amenés, non comme un nouvel ordre de choses légalement établi, mais comme le renversement de celui que la constitution de 1791 avait créé. La Fayette crut qu'il lui fallait tenter une résistance à cette tyrannie. Il crut devoir asso

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