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royale, qui ne tardèrent pas à s'élever au sein de l'assemblée. Ce jour-là, le côté droit était presque désert.

Cependant les colonnes d'attaque des insurgés avançaient vers le château. Ceux qui étaient en tête de ces tourbes armées arrivent devant la principale porte, et, après un moment d'hésitation, l'enfoncent à coups de haches et se précipitent dans la cour royale. Néanmoins ils ne semblent pas de prime abord tourner leurs armes contre les défenseurs du château ; ils font même des démonstrations amicales aux soldats suisses qui étaient aux fenêtres : « Livrez-nous le château, » s'écrient quelques-uns, « et « nous sommes amis. » Les Suisses ayant appris que le roi avait quitté le château, jettent leurs cartouches par les fenêtres, en signe de leurs intentions pacifiques. Quelques assiégeants, sans faire attention à ces démonstrations amicales de part et d'autre, brûlant d'en venir aux mains, se détachent du gros de la troupe et s'avancent rapidement jusque sous le vestibule du château. Au pied du grand escalier, les Suisses et les gardes nationaux se retranchent pêle-mêle derrière une pièce de bois en forme de barrière : ce faible obstacle est bientôt enlevé. Les as-. saillants montent alors l'escalier et crient qu'il faut leur livrer le château. Au même instant, une décharge de mousqueterie se fait entendre du haut des fenêtres du premier étage. Les assaillants, qui ont pénétré dans l'intérieur, fuient en criant qu'ils sont trahis. Rien n'était plus faux. La nécessité de se battre n'existant plus pour les Suisses depuis le départ du roi, ils n'avaient dû songer qu'à se mettre à l'abri des assaillants, et une trahison n'était pas de nature à leur assurer la vie sauve. Quoiqu'il en

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soit, ceux qui s'étaient introduits dans le vestibule, entendant la fusillade d'en haut, battent en retraite, et reçoivent une grêle de balles. Les Suisses descendent alors en bon ordre, et débouchent par le vestibule dans la cour Royale. Là ils s'emparent d'une pièce de canon, que les assaillants avaient abandonnée, et, malgré un feu terrible, ils la tournent, et tirent sur les Marseillais, dont ils renversent un grand nombre. Ceux-ci se replient, et le feu continuant, ils abandonnent la cour. La peur saisit aussitôt les assaillants qui fuient de toutes parts; la place du Carrousel est entièrement balayée. Mais au moment où les Suisses, profitant de cette panique, vont remporter une victoire décisive sur les insurgés, on remet à leur commandant un écrit de Louis XVI, portant injonction de faire cesser toute hostilité, écrit que quelques membres de l'assemblée, saisis de terreur, lui avaient arraché. Dès lors, les chefs de cette poignée de braves, au lieu de seconder les vainqueurs avec le reste de cette troupe qui se trouvait encore au château, envoient à ceux qui poursuivaient les Marseillais en fuite l'ordre de revenir sur leurs pas soumis aux lois d'une sévère discipline, ils obéissent et donnent toute facilité aux fuyards de se remettre de leur panique, de se rallier; et encore n'y seraient-ils pas parvenus si les gendarmes placés au Louvre d'après les dispositions de Mandat, au lieu de déserter ce poste, eussent chargé à dos toutes ces tourbes. Sans ces deux incidents imprévus, l'insurrection eût été probablement étouffée. Cent vingt hommes avaient suffi pour disperser dans un moment ces colonnes d'assaillants. Du côté de la place Louis XV, la victoire se montrait

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également favorable aux assiégés. Trois cents Suisses, qui défendaient le Pont-Tournant, font un feu roulant sur un corps de dix mille hommes, et le mettent en fuite (1).

Le bruit du canon et de la mousqueterie avait jeté dans l'assemblée la plus vive consternation. Bientôt des fuyards, dont les habits sont teints de sang, se précipitent dans la salle et annoncent la défaite de leur troupe. Des coups

de fusil viennent frapper en même temps les croisées; la terreur est à son comble. « Les Suisses! les Suisses! » entend-on de toutes parts: « nous sommes forcés! » Un bon nombre de représentants cherchent à se sauver par les fenêtres. Il y eut un moment d'espoir de salut pour la famille royale: mais les chefs de cette poignée de braves reçoivent un ordre itératif du roi de faire cesser le feu et de se rendre de suite à Courbevoie à leurs casernes; et c'est ainsi que furent paralysés les derniers efforts pour sauver la monarchie; ses destinées allaient s'accomplir définitivement (2).

Dans cet intervalle, les insurgés qui avaient été mis en fuite sur la place du Carrousel s'étaient ralliés. Les principaux s'indignaient d'avoir cédé; honteux de la panique qu'ils avaient ressentie, ils reviennent sur leurs pas, se précipitent avec fureur et arrivent sous le vestibule, franchissent l'escalier et sont maîtres du château. La populace à piques s'y précipite aussi; ce n'est déjà plus qu'une horrible boucherie, un massacre général. Un malheureux reste des Suisses qu'on y trouve implore en vain sa grâce en jetant les armes; tous sont impitoyablement massacrés.

(1) Journées mémorables de la révol., t. I, p. 374.

(2) Même ouvrage.

Le feu est mis au château; quelques individus, naguère attachés au service intérieur, parviennent seuls à se dérola fuite au fer des assassins, mais la plupart sont

ber par égorgés.

On vit parmi les assassins des monstres s'abreuver du sang de leurs victimes; des femmes, encore plus féroces, armées de coutelas, se précipiter sur des

corps palpitants,

et exercer des actes de barbarie inouïe encore dans les annales des peuples les moins civilisés. -La trop fameuse Théroigne de Méricourt dut se faire remarquer dans ces scènes d'horreur. Elle n'était occupée qu'à exciter aux massacres. L'une des victimes de la journée fut un certain Suleau; c'était un très-beau jeune homme, marié depuis deux mois. La petite furie avait probablement à se plaindre de lui; elle profite de cette journée d'impunité, s'élance sur lui, le prend au collet, l'indique aux assassins, et le malheureux est mis en pièces (1).

Le carnage et les dévastations ne cessèrent qu'à la nuit tombante. A la lueur des flammes de l'incendie du château et de ses dépendances, on vit des cannibales, tenant à la main des lambeaux de chair, danser avec une joie féroce autour du feu d'où s'exhalait l'odeur des corps qu'on y faisait brûler. De part et d'autre cette journée horrible moissonna environ quatre mille cinq cents hommes de tout âge, de toute condition (2).

Parmi ces vainqueurs barbares, il s'en trouva quelquesuns qui montrèrent de l'humanité envers les vaincus. Dans une des pièces de l'appartement de la reine, un grand

(1) Biographie universelle, t. XLV, p. 370. (2) Journées mémorables de la révolution.

nombre de femmes s'étaient réfugiées : un homme du peuple s'écrie: «< Grâce pour les femmes, ne déshonorez « pas la nation! » Et ces femmes furent épargnées (1).

Le pillage du château avait succédé aux massacres : les meubles les plus précieux, furent l'objet de la fureur et de la convoitise de la populace: tout présentait l'image de la dévastation et de la mort. La rage du peuple n'était pas assouvie: il demanda qu'on lui livrât les Suisses qui avaient accompagné le roi à l'assemblée; mais l'assemblée eut, cette fois-ci, le courage de résister à cette injonction : la plupart de ces militaires furent, le lendemain, transférés à l'Abbaye et de là à la Conciergerie, où les massacres de septembre devaient les atteindre (2).

Dans la soirée, la nouvelle municipalité vint se présenter à l'assemblée, précédée de trois bannières sur lesquelles on lisait les mots : Patrie! liberté! égalité! Elle fait reconnaître ses pouvoirs: cette juridiction improvisée va devenir bientôt la principale autorité de l'État. La parole de son président est impérieuse, et cet homme finit par demander la déchéance du roi et la réunion d'une convention nationale. D'autres députations se succèdent et manifestent les mêmes vœux.

Vergniaud monte alors à la tribune, et un profond silence s'établit. « Je viens, » dit-il avec l'accent le plus pathétique qu'il lui fut possible de prendre dans la circonstance, «< je viens, au nom de la commission extraordinaire, «< vous présenter une mesure bien rigoureuse; mais je

¡ (1) Mémoires de madame Campan, t. II, chap. 21. (2) Journées mémorables de la révolution.

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