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se prononcer sur l'objet de cette interpellation du minis-
tre, dans la position critique où elle-même se voyait,
trouva plus à propos de passer
à l'ordre du jour, prétex-
tant qu'elle n'était point en nombre suffisant pour met-
tre aux voix cette proposition (1).

Cependant les royalistes qui avaient passé la nuit au château s'organisent sous les ordres du maréchal de Mailly. Plusieurs gardes nationaux se mêlent dans leurs rangs. Le même esprit anime tous ces militaires occupant les postes intérieurs : on se donne la main réciproquement, aux cris de vive le roi! vive la garde nationale! Il n'en était pas de même des troupes placées à l'extérieur du château. Mandat n'existant plus, Santerre, brasseur de bière, avait été nommé commandant provisoire de la garde nationale il était entièrement dévoué au parti jacobin; dès lors, il n'existait réellement pas de chef de la force armée urbaine pour réprimer l'insurrection. A cinq heures du matin le roi, accompagné de la reine et de ses enfants, visite les postes intérieurs du château : ces militaires manifestent les meilleures intentions. Cette tournée achevée, il_descend dans les cours. Dès que Louis XVI y paraît, on crie: Vive le roi! Ce cri est répété par la garde nationale, et les signes d'attachement les plus touchants se manifestent encore dans cette troupe, hors les canonniers, qui n'y répondent que par le cri de vive la nation! A peine le roi est-il rentré au château, que plusieurs bataillons passent du côté des insurgés (2).

(1) Moniteur, t. XIII, p. 378. Bertrand de Moleville, t. IX, p. 96. Peltier, Dernier Tableau de Paris, t. I, p. 84.

(2) Bertrand de Moleville, t. IX, p 93-96.

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Cependant les faubourgs se mettaient en mouvement. Les Marseillais marchaient en tête de toutes ces tourbes. Une multitude immense, curieuse du résultat de cette levée en masse, suivait, de manière que le nombre des insurgés paraissait beaucoup plus considérable qu'il ne l'était effectivement; et cette troupe manquait réellement d'un chef, d'une direction centrale. On pouvait l'évaluer à vingt mille individus environ. Les ministres assemblés recevaient les avis, et délibéraient, avec Roederer, sur les moyens de préserver le roi et sa famille du fer des

assassins.

Pendant que ce conseil se tenait, la reine se présente à son époux : « Sire! » lui dit-elle d'un ton résolu, « c'est le <«< moment de vous montrer. » Les yeux de Marie-Antoinette étaient encore rouges des larmes qu'elle avait répandues; mais son front élevé, ses narines gonflées, témoignaient des émotions qu'elle ressentait dans ce moment suprême; c'étaient celles de l'indignation et de la fierté. Quant à Louis, il ne craignait rien pour sa personne; il n'était alarmé que pour sa famille; mais l'anxiété qu'il en éprouvait avait altéré ses traits. Il se présenta néanmoins calme sur le balcon; il aperçut, sans en être ému, une longue rangée de canons pointés sur le château. Son air résolu excita encore quelques restes de sentiments royalistes; les bonnets des grenadiers furent tout à coup élevés sur la pointe des baïonnettes : l'antique cri de vive le roi! retentit encore dans les airs. Il y eut encore un moment de confiance et d'espoir. Mais de nouveaux bataillons de la garde nationale arrivent ; ils entendent ce cri de ralliement des anciens militaires français. Les uns se joignent

à ceux qui saluaient le monarque de ce cri; les autres, ne partageant pas ce sentiment, parurent croire qu'ils allaient être livrés aux chevaliers du poignard, fantômes dont on effrayait les imaginations. Il y eut même un moment de désordre; mais quand le roi descendit et parut au milieu de cette force armée, chaque soldat reprit son rang dans la ligne, et le monarque les passa en revue avec une contenance assurée. De là il se rendit au jardin, et au même instant il entendit le cri : A bas le veto! poussé par un des bataillons qui ne faisaient que d'arriver. Néanmoins il continua de marcher et alla faire la revue du poste qui se trouvait à l'autre bout du jardin. Durant ce trajet il aperçut des bataillons sortir du jardin et aller grossir les troupes mutinées sur la place du Carrousel. Ces défections successives, les cris: A bas le veto! qu'il entendit partir du milieu des masses garnissant le haut de la terrasse, lui ôtèrent toute espérance. En même temps, des différents postes de gendarmes, les uns se dispersent, les autres se réunissent au peuple insurgé. D'une autre part, les gardes nationaux qui occupaient les appartements, et qui, de prime abord, montraient les meilleures dispositions, paraissent mécontents de se trouver avec d'anciens militaires, avec des aristocrates. La reine, pour mettre la bonne harmonie entre ces deux troupes, s'adressa aux gardes nationaux : « Grenadiers, » dit-elle avec âme et en montrant ces gentilshommes, « ce sont vos compagnons; ils sont prêts à mourir, s'il le faut, à vos côtés. » Malgré cette assurance factice, le désespoir était dans son âme, surtout depuis cette dernière revue malencontreuse. Tous les contemporains néanmoins ont été d'avis que si Louis XVI fût

monté dans ce moment à cheval, et qu'il eût chargé, à la tête des troupes qui lui restaient fidèles, les soldats mutinés, l'insurrection aurait été étouffée.

Quant à Roederer, il sort, et, au nom de la loi, somme les troupes rangées dans les cours de maintenir leurs postes, et, en cas d'attaque, de repousser la force par la force. Une faible partie de la garde nationale semblait disposée à obéir à cette injonction du magistrat; mais à peine les canonniers l'ont-ils entendue, qu'ils déchargent leurs pièces (1). Considérant cette déplorable disposition du soldat, le procureur de la commune crut que l'unique planche de salut qui restait à Louis XVI, c'était de se rendre de suite avec sa famille à l'assemblée nationale, et sans plus différer il le proposa au monarque.

(( Mais, Mon« sieur, » répliqua la reine, « nous avons des forces. >>

«

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Madame, tout Paris marche; » — et aussitôt reprenant la parole: << Sire, le temps presse, » dit-il ; « ce n'est pas « un conseil que nous prenons la liberté de vous donner » (il était censé parler au nom de tous ses collègues), «et << nous vous demandons la permission de vous entraí« ner (2). » — Le roi lève la tête, regarde fixement Rœderer, puis se retournant vers la reine : « Marchons, » ditil, >> «< il n'y a rien à faire ici. » Alors madame Élisabeth

demande au procureur général du département s'il répond de la vie du roi. — « Oui, Madame, sur la mienne; «< je marcherai immédiatement devant lui. » — Louis XVI quitte ses appartements avec sa famille et les membres du département. Roederer exigea qu'il n'y eût

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(1) Bertrand de Moleville, t. IX.
(2) Chronique de cinquante jours.

pas

d'autre

suite, et se dirigea vers la salle de l'assemblée, entre deux files de gardes nationaux. Avant d'y entrer, la famille royale vit une députation du corps législatif venir au-devant du monarque. « Sire, » dit le président, « l'assem« blée s'empresse de concourir à votre sûreté, elle vous « offre à vous et à votre famille un asile dans son sein. >>>> Quelques hommes voulaient s'opposer à l'entrée du roi dans la salle; mais, sur les remontrances que leur fit Rœderer, ils laissèrent le passage libre. On pénétra ainsi dans la salle de l'assemblée. Un grenadier prit le prince royal dans ses bras: la reine jeta un cri; mais un moment après, elle vit poser cet enfant sur le bureau des secrétaires, ce qui excita des applaudissements. Le roi dit à l'assemblée : « Je suis venu ici pour éviter un grand crime, << et je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu'au <«< milieu de vous, Messieurs. » Le président Vergniaud répondit : « Vous pouvez, Sire, compter sur la fermeté « de l'assemblée nationale. Ses membres ont juré de mou«<rir en soutenant les droits du peuple et les autorités « constituées (1). » Le roi s'assit à côté du président. Chabot observa alors que la constitution défendait de délibérer en présence du roi. On désigna la loge du Logographe pour le recevoir (2); il s'y plaça avec sa famille (3), et c'est de cette loge qu'il fut forcé d'entendre les discussions les plus outrageantes pour sa personne

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(1) Nous prions le lecteur de prendre note de ces dernières paroles de Vergniaud.

(2) C'était là que se tenaient les sténographes, afin de recueillir les discussions de l'assemblée pour un journal appelé le Logographe.

(3) Ræderer, Chronique, p. 368-374.

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