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ordonna à Thierry de rendre ce paquet à Bosc et de ne donner aucune suite à cette affaire (1).

Tandis que l'assemblée gardait encore quelque mesure, Paris, les faubourgs notamment, stimulés par d'habiles meneurs, se prononçaient ouvertement contre l'autorité du roi. Sur quarante-huit sections que comprenait la totalité de la population parisienne, quarante-sept s'étaient prononcées pour la déchéance de Louis XVI. Les menaçantes déclarations des puissances devaient amener cette nouvelle irritation des esprits. On ne se cachait plus, on conspirait en plein air; les motions les plus audacieuses, les dénonciations les plus furibondes s'élevaient partout, aux Jacobins, dans les réunions sectionnaires, à la commune, même dans les groupes du côté gauche de l'assemblée. Les fédérés se présentèrent à une séance de l'assemblée, en demandant aux pères de la patrie de suspendre provisoirement le pouvoir exécutif et de mettre la Fayette en accusation. Malgré les cris d'indignation d'un grand nombre de députés, le président n'osa pas blâmer l'audace de ces hommes; il les invita même, comme de coutume, aux honneurs de la séance (2).

La déclaration du duc de Brunswick fit un effet entièrement contraire à celui auquel on s'attendait loin de terrifier les esprits, elle ne fit que les enthousiasmer d'au

(1) Bertrand de Moleville, t. VIII, p. 350.

(2) Moniteur, t. XIII, p. 171.

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tant plus pour la cause que la nation avait à défendre, et redoubler la haine des révolutionnaires contre Louis XVI à qui ils imputaient la première idée de ce manifeste. Tous les partis, à l'exception de quelques royalistes exaltés, s'indignèrent ou se moquèrent des jactances du duc de Brunswick (1).

Le roi désavoua de suite cette déclaration par un message à l'assemblée.

Cependant les moyens d'attaque du château s'organisent avec un ensemble redoutable. Un bureau central de correspondance est établi au sein de la commune entre les quarante-huit sections de Paris: celles-ci déclarent leur permanence; et non-seulement elles vont correspondre entre elles, mais quelques-unes envoient des adresses aux municipalités des autres départements.

Les sections réunies chargent toutefois le maire de proposer en leur nom, à l'assemblée, la déchéance de Louis XVI, et de suite Pétion, à la tête d'une députation, se présente à la barre de l'assemblée. « C'est avec douleur, » dit-il, la patrie vous dénonce, par notre organe, le chef << du pouvoir exécutif. Contraints par Louis XVI à l'ac

« que

«< cuser devant vous et devant la France entière, nous l'ac<«< cuserons sans amertume comme sans ménagements. » Ici l'orateur expose à sa manière la conduite du roi depuis le commencement de la révolution. Il parle de l'arrivée de l'étranger sur le sol de la patrie, de la révolte d'un général contre l'assemblée, et conclut par demander aux représentants la déchéance de Louis XVI.-L'assemblée,

(1) Bertrand de Moleville, t. IX, p. 32.

n'osant pas non plus improuver cette proposition, se contenta, pour le moment, de la renvoyer à un de ses comités, pour lui en faire un rapport (1); mais, le soir, la discussion s'ouvrit sur cette question. L'ardeur révolutionnaire d'une partie des représentants se déploya alors sans nul ménagement: les uns voulaient qu'on la discutât séance tenante, les autres étaient d'un avis contraire; bref, la discussion en fut ajournée (2). Mais dans la séance du 8 août, et en dépit d'un discours d'une virulence extrême de Brissot qui demandait que l'assemblée décrétât qu'il y avait lieu à accusation contre la Fayette, cette proposition, mise aux voix, fut rejetée à une majorité de 406 voix contre 224. Aussitôt des cris de rage et des imprécations partirent des tribunes et furent répétés par la foule ameutée qui encombrait les couloirs. Les députés qui s'étaient prononcés en faveur du général furent insultés, poursuivis à leur sortie de la salle; à peine purent-ils se soustraire à la fureur de la populace (3).

L'acquittement de la Fayette accrut encore le danger du roi : le parti jacobin craignit ou plutôt affecta de craindre de voir le général arriver à l'improviste avec son armée pour se placer entre le trône et les droits imprescriptibles du peuple. -Tout cela ne fit que précipiter la catastrophe. « Qu'il vienne, » criait-on partout, « et il << trouvera le trône à bas! » — Et pour s'assurer la coopération de l'assemblée à leurs desseins, les députés jacobins firent déclarer le corps législatif permanent.

(1) Moniteur, t. XIII, p. 325.

(2) Thiers, t. II, p. 185.

(3) Dumas, t. II, p. 451.

Une agitation extraordinaire régnait dans l'assemblée durant la séance du 9 août. La plupart des députés témoignaient leur indignation des insultes que plusieurs d'entre eux avaient essuyées la veille à leur sortie de la salle. Girardin déclare que lui-même a été frappé. « En quel endroit ?» demande ironiquement un membre de l'extrême gauche. - « Par derrière, » réplique Girardin, « les as«sassins ne font jamais autrement. » Des murmures, des cris s'élèvent de toutes parts. Tout cela attestait que l'assemblée redoutait le moment décisif : les girondins euxmêmes auraient préféré obtenir la déchéance à la suite d'une simple délibération du corps législatif. Roederer arrive au milieu de cette agitation, et annonce qu'une section a résolu de faire sonner le tocsin à minuit et de marcher sur l'assemblée et les Tuileries si la déchéance n'est pas prononcée dans la journée même (1). A peine Roederer a-t-il terminé son rapport qu'on voit entrer Pétion. Celui-ci ne s'explique pas d'une manière tout à fait nette, mais on voit qu'il ne peut pas dissimuler des projets sinistres; il s'engage néanmoins à se concerter avec les autorités de la ville à l'effet de prévenir toute explosion violente.

Les chefs du complot considéraient les Marseillais comme les gens les plus aptes à seconder leurs desseins. (1) Moniteur, t. XIII, p. 374.

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Mais qu'était-ce que ces Marseillais? Nous trouvons dans les Mémoires de Barbaroux, jeune Marseillais entièrement dévoué au parti girondin, quelques lignes qui nous paraissent très-propres à faire connaître cette espèce d'hommes. « La ville de Marseille, » est-il dit, «< assise sur la Méditerranée, doit être considérée comme la sentine «< d'une portion considérable du globe, où affluent toutes « les impuretés du genre humain : les repris de justice, « les échappés des bagnes, des prisons de Gênes, de la Sicile, de l'Espagne, des îles de l'Archipel, etc.; tous ces brigands, enfin, qui vont chercher fortune ailleurs, se « voyant perdus au sein du pays qui les a vus naître. On «< a vu depuis un mois plusieurs milliers de ces brigands <«< se dirigeant sur Paris; un très-grand nombre était en«< core en route (1) » et tous ces gens se qualifiaient de Marseillais. Telles étaient les phalanges dont se servirent les factieux pour assurer leur triomphe; ils ne cessaient de les appeler à Paris, et ceux-ci prenaient pour la plupart le surnom de fédérés. Dans la nuit du 8 au 9 août, un gros de ces gens vinrent se loger dans le bâtiment des Cordeliers. L'assemblée d'une section de la capitale, qui y tenait ses séances, célébra leur arrivée par une fête en leur honneur. Ce fut là qu'on entendit chanter pour la première fois l'hymne des Marseillais (2),

(1) Mémoires de Barbaroux, p. 41.

(2) Journées mémorables de la révolution, t. I, p. 359-361.

M. de Lamartine a rapporté, dans ses Girondins, plusieurs stances de cet hymne patriotique. Rouget de Lisle, officier du génie, fut auteur des paroles et de la musique de ce chant de guerre, c'est ainsi qu'il le nomma; il le destinait pour l'armée du Rhin, dont il faisait partie. L'expression vive et entraînante des paroles et de la musique devait bientôt enthou

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