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alliées, s'efforçait d'éloigner la crise par des demi-mesures sans portée réelle. On faisait espionner ses ennemis ; on soldait des écrivains, des motionnaires, Danton en particulier. Mais ces mesures étaient impuissantes pour changer l'esprit général du peuple, préparé de longue main à ne voir dans la royauté et dans tout ce qui en émanait que des entraves à l'établissement de sa liberté.

L'unique ressource qui se présentait encore pour soustraire le roi et sa famille au coup mortel qui les menaçait, eût été de quitter brusquement Paris à l'insu de leurs geôliers. Plusieurs plans d'évasion furent encore proposés à Louis XVI. Le monarque ayant déclaré qu'il ne voulait pas s'éloigner de la capitale de plus de vingt lieues, parce que c'était là le seul éloignement de Paris que permettait au roi la constitution, on proposa le château de Gaillon, en Normandie, comme le lieu le plus propre à lui servir de retraite momentanée, et qui se trouvait juste à la distance de vingt lieues du centre du gouvernement; d'autant plus qu'on savait cette partie de la Normandie trèsfavorable à la cause royale, notamment depuis la journée du 20 juin. Et dans le cas où les jacobins y enverraient une force armée pour arrêter le roi, il lui serait facile de se dérober à cette poursuite en gagnant les côtes de la mer qui n'en sont éloignées que de trente-six lieues, et où un officier de marine, Mistrel, connu par son dévouement à Louis XVI, tiendrait nuit et jour un bâtiment prêt à le recevoir. On avait même tout prévu pour faciliter la sortie de la famille royale des Tuileries entre onze heures et minuit, et désigné la troupe qui devait l'escorter jusqu'au château de Gaillon. Aussitôt qu'elle y serait

arrivée, le roi écrirait à l'assemblée, à la municipalité de Paris et à tous les départements, pour leur faire connaître les motifs qui l'avaient forcé de s'éloigner de Paris, foyer de toutes les insurrections.

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D'autres plans de fuite furent encore présentés à l'infortuné monarque.— Quelque rebuté par la cour que fût. la Fayette, il voulait à tout prix sauver le roi et arracher la France à la tyrannie démagogique des jacobins. Le général s'était déjà assuré du maréchal Luckner, et avait obtenu de lui une quasi-promesse de marcher avec son armée sur Paris s'il le fallait. Il était d'avis que le roi les fit mander tous deux sous prétexte d'assister à l'anniversaire de la Fédération, afin que la présence de ces hommes de guerre imposât au peuple. Le lendemain de la fête, la Fayette voulait que Louis XVI se rendît publiquement à Compiègne, sous prétexte de faire preuve de sa pleine liberté aux yeux de l'Europe. Arrivé dans cette résidence royale, des détachements de cavalerie seraient préparés d'avance pour le conduire au milieu des armées qui se trouvaient sous le commandement de la Fayette luimême le général s'en remettait entièrement à la loyauté du monarque pour le maintien des institutions nouvelles.

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Soit que ce plan parût trop hardi à Louis XVI, soit que l'aversion de Marie-Antoinette pour le général fût plus forte que l'espoir de se voir délivrée par lui, bref, on se refusa à y prêter la main (1). Louis XVI dut sentir aussi que les plans qu'on lui présentait devaient amener une guerre civile, sujet incessant de ses alarmes (2).

(1) Thiers, t. II, p. 149.

(2) Le lecteur qui désirerait connaître des détails plus circonstanciés

Cependant la crise devenait imminente. Le roi crut devoir faire une nouvelle proclamation sur les événements du 20 juin, dans laquelle il confirmait l'arrêté du département de Paris touchant la suspension du maire et du procureur de la commune; et donna connaissance à l'assemblée de cette résolution par une lettre au président.

sur le plan d'évasion du roi proposé par la Fayette les trouvera dans l'Histoire de la révolution de M. Thiers, t. II, p. 271-278.

Voici encore un personnage très-marquant du drame, qui fait volteface à cette révolution dont naguère il se proclamait avec orgueil le principal promoteur; présentement il voudrait remonter le torrent et ne peut y réussir. Le parlement de Paris donna le premier l'exemple de ces défections. Nous l'avons vu provoquer la convocation des états généraux ; et quelques semaines après que cette assemblée a été réunie, cette même cour souveraine, effrayée de la marche plus que hardie que prenaient les députés du tiers, et du danger qui devait en résulter pour la monarchie, fait négocier secrètement auprès du roi la dissolution des états. Immédiatement après les sinistres journées du 5 et du 6 octobre, l'assemblée nationale vit plusieurs de ses membres les plus distingués, entre autres Mounier, Lally-Tollendal, quitter avec indignation leur poste, et protester contre leur propre ouvrage, pourrait-on dire; n'étaient-ce point quelques-uns des arrêtés qu'ils avaient provoqués eux-mêmes qui avaient amené cette crise? Que dire encore du puissant Mirabeau qui voulait, tout en jetant le gant aux factieux, remonter la machine politique de l'État, et qui échoua dans cette noble entreprise ? Dans la suite de ces Études, nous allons voir apparaître sur la scène politique plus d'un de ces apostats (Dumouriez, Pichegru), qui eussent voulu aussi enrayer le char révolutionnaire et procurer à l'État quelque stabilité. Enfin, vers 1800, à l'époque de la promulgation de la constitution consulaire, nous verrons l'immense majorité de la nation applaudir à ce changement de scène inattendu, et accepter avec enthousiasme cette nouvelle forme de gouvernement qui, à la lettre, remettait la puissance publique dans les mains d'un seul homme. N'était-ce point tout juste renier la république, ce fruit avorté de la révolution ?

Tel fut le cercle fatal que la France eut à parcourir dans la période de 1789 à 1800. Quand nous disons fatal, ce n'est point certes à la fatalité que nous entendons rapporter la série de tous ces graves incidents; nous avons vu la main, la pensée de l'homme, s'y produire partout et in

cessamment.

Elle causa de longs murmures. Bazire avait déjà déclaré la veille, aux grands applaudissements de ses collègues, que la suspension de Pétion, de ce magistrat vertueux, de ce génie tutélaire de Paris, devait être mise au nombre des dangers de la patrie (1). A peine la lecture de la lettre de Louis XVI était-elle terminée, que Pétion fut admis à la barre. Sûr de la majorité en sa faveur, il vint réclamer justice sévère pour lui et pour ses persécuteurs. L'assemblée finit par lever de son chef la suspension provisoire du maire de Paris, et quelques jours après celle du procureur général de la commune, Manuel.

Le 14 juillet arrivait, anniversaire du jour mémorable où les députés des départements s'étaient juré, sur l'autel de la patrie, union et constante fraternité en face du monarque qu'ils proclamaient, avec le plus vif enthousiasme, le restaurateur de la liberté française. Maintenant c'est Pétion qui va se présenter sur le premier plan du tableau, ce sera sur lui que tous les regards de la foule iront se porter. Son nom est déjà dans toutes les bouches. On crie de toutes parts: Vive Pétion! Pétion ou la mort! Son nom se reflétera sur toutes les bannières. C'est lui qui sera le roi de la fête.

Vers onze heures du matin, une députation du corps

(1) Moniteur, t. XIII, p. 123.

législatif se rendit d'abord sur la place de la Bastille pour y poser la première pierre de la colonne dite de la Liberté. Le cortége se mit ensuite en marche pour le Champ de Mars au milieu des acclamations réitérées vive Pétion! Pétion ou la mort! Mais des paroles injurieuses partirent du milieu de cette multitude au passage du directoire du département de Paris. Pétion s'avançait glorieux de son triomphe à la tête de la municipalité; il souriait gracieusement à toutes ces masses, et il était loin de prévoir quelle destinée lui était réservée par la suite; tandis que Louis XVI, escorté à peine d'un détachement de la garde nationale, gardant une sorte d'incognito, se rendait au Champ de Mars par des rues détournées. Le programme de la fête portait que le roi et le président de l'assemblée monteraient seuls les degrés de l'autel pour y prêter serment; mais les fédérés s'étaient déjà emparés du plateau, n'entendant pas se ranger pour laisser passer le roi et le président, de manière que ceux-ci furent contraints d'accomplir cet acte au bas de l'autel. Telle fut la dernière solennité de la monarchie constitutionnelle : l'aspect général en avait été sombre et menaçant; néanmoins aucun désordre ne surgit durant cette prétendue fête.

Cependant les alarmes, l'agitation, croissaient à mesure que les nouvelles arrivaient des frontières. La déclaration de la patrie en danger avait mis toutes les popula

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