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« de la patrie, qui intéresse également tous les citoyens, << chacun doit voir sans peine que pour être appelé doré« navant à servir l'État de quelque manière, il suffira de « s'être rendu remarquable par ses talents ou ses vertus. « En même temps, néanmoins, tout ce qui rappelle à une << nation l'ancienneté et la continuité des services d'une « race honorée est une distinction que rien ne peut dé<«< truire, et comme elle s'unit aux devoirs de la recon<< naissance, ceux qui dans toutes les classes de la société << aspirent à servir efficacement leur patrie, et ceux qui « ont eu déjà le bonheur de réussir, ont intérêt à respecter <«< cette transmission de titres et de souvenirs, le plus beau « de tous les héritages qu'on puisse faire passer à ses en<< fants. Le respect dû aux ministres de la religion ne « pourra non plus s'effacer, et lorsque leur considération << sera principalement unie aux saintes vérités, qui sont la « sauvegarde de l'ordre et de la morale, tous les citoyens « honnêtes, éclairés, auront un égal intérêt à la maintenir « et à la défendre. Je défendrai, je maintiendrai la liberté «< constitutionnelle, dont le vœu général, d'accord avec le << mien, a consacré les principes. Je ferai davantage, et « de concert avec la reine qui partage tous mes sentiments, « je préparerai de bonne heure l'esprit et le cœur de mon << fils au nouvel ordre de choses que les circonstances ont << amené. Je l'habituerai dès ses premiers ans à être heu« reux du bonheur des Français, et à reconnaître tou« jours, malgré le langage des flatteurs, qu'une sage «< constitution le préservera des dangers de l'inexpérience, « et qu'une juste liberté ajoute un nouveau prix au senti<< ment d'amour et de fidélité, dont la nation, depuis tant

« de siècles, donne à ses rois des preuves si touchantes. Par quelle fatalité, quand le calme commençait à renaître, « de nouvelles inquiétudes se sont-elles répandues dans les

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provinces? Par quelle fatalité s'y livre-t-on à de nou<< veaux excès! Joignez-vous à moi pour les arrêter, et em«< pêchons, par nos efforts, que des violences criminelles ne « viennent souiller ces jours où le bonheur de la nation « se prépare. Vous qui pouvez influer par tant de moyens <«< sur la confiance publique, éclairez le peuple sur ses vé<«< ritables intérêts, ce peuple qu'on égare, ce bon peuple qui m'est si cher, et dont on m'assure que je suis aimé « quand on veut me consoler de mes peines. » Ici l'émotion, l'attendrissement d'une bonne partie de l'assemblée arrêtèrent un moment le roi. Dans ces seules paroles se peignit toute l'âme de Louis.

« Ah! s'il savait, reprit le monarque, à quel point je « suis malheureux d'un injuste attentat contre les posses<«<seurs, ou d'un acte de violence contre les personnes,

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peut-être il m'épargnerait cette douloureuse amertume... << Puisse cette journée, où votre monarque vient s'unir << avec vous de la manière la plus franche et la plus intime, « être une époque remarquable dans l'histoire de cet empire. Elle le sera, j'espère, si mes vœux ardents, si mes «< exhortations peuvent être un signe de paix et de rap« prochement entre vous. Que ceux qui s'éloigneraient « encore de l'esprit de concorde, devenu si nécessaire, me « fassent le sacrifice de tous les souvenirs qui les affligent, je les payerai par ma reconnaissance et mon affection. « Ne professons tous, je vous en donne l'exemple, qu'une scule opinion, qu'un seul intérêt, qu'une seule volonté :

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« l'attachement à la constitution nouvelle, et le désir ar« dent de la paix, du bonheur et de la prospérité de la « France (1). »

De longs applaudissements, des expressions de la plus tendre gratitude interrompaient souvent les paroles de Louis, et pour le moment elles paraissaient partir du plus profond du cœur des représentants, même de la part de ceux qui étaient connus par leur opposition à la cour.

Quand on examine attentivement le discours du roi, « dit à ce propos M. Poujoulat (2), ce discours empreint « d'un sentiment si profond et si vrai, et qui excita tant « d'enthousiasme, on s'étonne que l'alliance de Louis XVI « et du peuple français ne se soit pas accomplie sur les « débris des projets infernaux de quelques hommes. >> Cette alliance n'était pas possible, le souffle révolutionnaire devait dissiper, anéantir toute tendance à l'union du monarque avec son peuple. Les jacobins étaient tous trop intéressés à entretenir des éléments de troubles pour souffrir que jamais cette union pût s'établir entre le roi et sa nation.

La séance se termina par le serment civique, répété en ces termes par tous les assistants : « Je jure d'être fidèle à « la nation, à la loi, au roi, et de maintenir de tout mon

pouvoir la constitution décrétée par l'assemblée natio« nale et acceptée par le roi. » (Constitution qui, pour lors, n'était pas même terminée.) Le soir, le même ser

(1) Moniteur, t. III, p. 297-299.

On trouve dans les archives de l'empire, à Paris, tout ce discours écrit de la main de Louis XVI.

(2) Poujoulat, t. I, p. 210.

ment fut prêté par la commune de Paris, et la France tout entière le répéta dans ses municipalités les plus reculées.

Tels n'étaient pas les sentiments des ultra-royalistes, de tous ceux enfin qui méditaient une contre-révolution, bien que leur nombre, comme l'on sait, ne fût point considérable à cette époque. Ceux-ci regardaient la démarche que venait de faire Louis XVI auprès de l'assemblée comme devant porter atteinte à la majesté du trône; plusieurs de ces royalistes sortirent précipitamment de la salle, et le vicomte de Mirabeau, frère du grand orateur, rompit son épée. « Lorsque le roi, dit-il, a brisé son sceptre, un gen« tilhomme doit briser son épée. » Au fait, Louis XVI n'était-il pas le roi le plus sincèrement révolutionnaire de tous ceux qui ont occupé un trône, selon la remarque parfaitement juste de M. Poujoulat; mais il crut sentir l'urgence de satisfaire aux vœux du plus grand nombre, et la sincérité de ses démarches, dictées par l'amour qu'il portait à son peuple, devrait tempérer la sévérité du jugement de la postérité à son égard. La grande majorité des membres de l'assemblée, appartenant à la caste nobiliaire, se montrèrent plus modérés que ceux que nous venons de signaler, et quoique le côté gauche ne voulût admettre ni restrictions ni explications, ils répondirent à l'appel nominal et prononcèrent le serment tel que l'assemblée l'avait décrété.

A peine le public fut-il informé des incidents de la séance royale, que le plus vif enthousiasme éclata dans tous les quartiers de Paris. Les espérances les plus douces remplissaient les cœurs de tous les bons Français. Chacun répétait avec attendrissement les passages les plus touchants

du discours du roi; de ce jour un meilleur avenir semblait s'offrir à leurs espérances. Une foule immense remplissait la place de l'hôtel de ville. Le maire, Bailly, descendit, et, au milieu d'un profond silence, prononça le serment d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, répété le moment d'après par toute cette multitude. Un Te Deum fut chanté dans les soixante districts de Paris. La ville fut illuminée, et pendant plusieurs jours on rencontrait dans les rues de longues files de citoyens de tout rang, de tout sexe, lant aussi prêter leur serment civique, et s'engager de très-bonne foi à maintenir l'heureux accord qui venait d'être scellé entre le roi et les représentants de la nation.

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Mais depuis la première séance de cette assemblée, combien de fois n'avait-on pas vu un attendrissement réciproque paraissant rapprocher les cœurs; on se croyait pour le moment parfaitement unis, mais ce moment passé, le premier sujet de dissension renouvelait les ressentiments, et la révolution gagnait toujours du terrain au bruit des applaudissements prodigués à Louis XVI, à l'occasion du discours qu'il venait de prononcer à l'assemblée.

Tel était alors l'état de la société en France, le mouvement, la disposition des esprits. It émanait de la situation tout excentrique où se trouvait la nation. Pouvait-on compter beaucoup de Français, dans la classe nobiliaire et dans la haute bourgeoisie, qui fussent parfaitement satisfaits de la nouvelle position que la révolution leur avait faite? Que pouvait-on attendre d'eux, sinon de la résignation à ce nouvel ordre de choses, dans l'espoir d'un meilleur avenir pour la France; quand les citoyens les plus

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