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est impossible au gouvernement d'entretenir la vie et le mouvement d'un vaste corps politique paralysé dans toutes ses parties, que cet état d'inconsistance menace de tout engloutir; et il finit par annoncer que le ministère en masse a donné, le matin, sa démission au roi. Quelques députés et toutes les tribunes applaudissent; les ministres indignés se retirent brusquement. Mais la grande majorité de l'assemblée accueille cette annonce dans un silence plein d'anxiété qui témoigne de son découragement (1).

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Dans cet intervalle, des députations de citoyens de Paris se succédaient sans cesse à l'assemblée, demandant que la patrie fût déclarée en danger. L'orateur d'une d'elles, Collot d'Herbois, criait d'une voix de stentor, que le seul moyen de sauver la patrie, c'était de mettre d'abord la Fayette en accusation. La députation fut admise aux honneurs de la séance, et traversa la salle aux acclamations des tribunes et d'une partie de l'assemblée (2).

Enfin, dans la séance du 1 juillet, l'assemblée, par un acte spécial, proclama la patrie en danger (3). Le danger était réel les émigrés redoublaient d'efforts pour rentrer en France. L'Autriche et la Prusse avaient mis sur pied de nombreuses armées. Pendant que les corps des émigrés s'échelonnaient le long du Rhin, les ennemis secrets de la Révolution s'agitaient à l'intérieur.

(1) Moniteur, t. XIII, p. 102-105.

(2) Moniteur, t. XIII, p. 115.

(3) Voir cet acte dans la Chronique de cinquante jours, p. 183. -- Bertrand de Moleville, t. VIII, p. 266.

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Le lendemain de la scène qui avait si vivement ému les représentants, Billaud-Varennes traita le rapprochement de la veille d'acte de machiavélisme. « Voir tel député, » « dit-il, « se jeter dans les bras de tel autre, c'est voir « Néron embrasser Britannicus, c'est voir Charles IX ten<< dant la main à Coligny (1). » Brissot, reprenant la discussion sur les mesures de sûreté générales, disait en vrai casuiste qu'il n'avait pas engagé sa conscience par son serment de fraternité; et poursuivait ses accusations contre le roi sur sa sincérité, son bon vouloir dans les mesures de salut public auxquelles Vergniaud avait seulement donné la forme dubitative. - Les journaux républicains traitèrent la séance du 7 juillet de coup de théâtre, et le peuple appela le baiser de Lamourette les embrassements déjà oubliés, la réconciliation normande de ces députés. Ainsi l'union de pouvoirs constitutionnels n'avait duré qu'un jour, elle n'était plus qu'un souvenir sans aucune portée. Il en résulta même de nouvelles récriminations des partis, qui parurent se résumer dans cette seule idée, que « le plus grand danger de la patrie était le trône lui

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même; » idée qu'on entendait depuis longtemps circuler dans la foule. Cependant le ministre de la guerre se présente à l'assemblée, lit un long exposé de la situation de la France relativement à la sûreté intérieure et extérieure ; il en résultait que l'on ne pouvait disposer que de deux cent quarante-huit mille hommes, distribués en quatre armées. Il conclut en annonçant que dans l'état de désorganisation où se trouvaient tous les ministères, il

(1) Burette, t. II, p. 152.

est impossible au gouvernement d'entretenir la vie et le mouvement d'un vaste corps politique paralysé dans toutes ses parties, que cet état d'inconsistance menace de tout engloutir; et il finit par annoncer que le ministère en masse a donné, le matin, sa démission au roi. Quelques députés et toutes les tribunes applaudissent; les ministres indignés se retirent brusquement, Mais la grande majorité de l'assemblée accueille cette annonce dans un silence plein d'anxiété qui témoigne de son découragement (1).

Dans cet intervalle, des députations de citoyens de Paris se succédaient sans cesse à l'assemblée, demandant que la patrie fût déclarée en danger. L'orateur d'une d'elles, Collot d'Herbois, criait d'une voix de stentor, que le seul moyen de sauver la patrie, c'était de mettre d'abord la Fayette en accusation. La députation fut admise aux honneurs de la séance, et traversa la salle aux acclamations des tribunes et d'une partie de l'assemblée (2).

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Enfin, dans la séance du 11 juillet, l'assemblée, par un acte spécial, proclama la patrie en danger (3). Le danger était réel: les émigrés redoublaient d'efforts pour rentrer en France. L'Autriche et la Prusse avaient mis sur pied de nombreuses armées. Pendant que les corps des émigrés s'échelonnaient le long du Rhin, les · ennemis secrets de la Révolution s'agitaient à l'intérieur.

(1) Moniteur, t. XIII, p. 102-105.

(2) Moniteur, t. XIII, p. 115.

(3) Voir cet acte dans la Chronique de cinquante jours, p. 183. -- Bertrand de Moleville, t. VIII, p. 266.

Du Saillant, à la tête d'un petit corps de royalistes, avait pris le titre de lieutenant général de l'armée des Princes, se disant investi de leurs pleins pouvoirs, appelant à lui les anciens fonctionnaires; il annonçait aussi la prochaine levée de soixante mille hommes en faveur de la cause royale. En même temps, on apprenait qu'un juge de paix du Finisterre avait fait prendre les armes à quatre ou cinq cents paysans, et qu'une rencontre des troupes patriotes avec les rebelles avait coûté beaucoup de sang. — Ces nouvelles produisirent à Paris une agitation extrême. L'inquiétude des esprits était universelle, et une crise décisive paraissait imminente. L'assemblée avait décrété la formation de deux divisions de gendarmerie, composées des ci-devant gardes françaises; c'était une force armée naturellement acquise au parti du mouvement (1). La situation du pays s'aggravait de jour en jour : le 12 juillet, on lut déjà à l'assemblée une adresse du conseil général de la commune de Marseille, qui déclarait que temps était venu pour la nation de se gouverner elle-méme. Jamais l'audace des agitateurs n'était parvenue à ce point; on demandait déjà en toutes lettres l'abolition de l'hérédité de la couronne et de l'inviolabilité royale, la suppression du veto; enfin, des principaux articles qui servaient de bases à la constitution de 1791. La très-grande majorité de l'assemblée se leva pour protester, et demanda la nition du conseil général de Marseille. Les fédérés, qui occupaient une place particulière dans les tribunes, se firent remarquer par leur bruyante approbation. Cette

(1) Burette, t. II, p. 156-168.

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motion téméraire n'eut pas de suites, mais on laissa Lacroix parler, s'étonner de ce qu'on osait braver les fédérés qui assistaient à la séance; le président enfin prit la liberté grande d'annoncer à ceux-ci qu'un décret interdisait aux citoyens des tribunes tout signe d'approbation ou d'improbation (1). Vains avertissements, jamais écoutés !

Les esprits incandescents étaient en travail : les haines réciproques des partis grandissaient dans cette mêlée confuse de pétitions audacieuses et de bruits de trahisons. Aux yeux des hommes du mouvement, effrayés des conséquences de l'invasion étrangère, l'insuffisance des moyens de défense paraissait démontrée, et la Révolution perdue, si elle n'avait pas recours aux mesures extraordinaires et en dehors des pouvoirs constitués. Pendant que la Gironde songeait à faire du Midi le dernier asile de la liberté, qui lui paraissait compromise au cœur de l'État, les autres, beaucoup plus hardis, ruminaient l'idée d'organiser dans Paris même une puissante réaction.

La cour, qui avait compris toute la gravité du danger, mettant toutes ses espérances de salut dans l'effet que devait produire la proclamation du généralissime des armées

(1) Moniteur, t. XIII, p. 126.

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