Page images
PDF
EPUB

chef de l'État, dans un imminent danger, et en faire ressortir la conséquence de la suppression totale de cette charte, la déchéance même de Louis XVI: l'effet devait en être d'autant plus infaillible que cette mesure extrême était déjà dans le fond de la pensée du parti dominant de l'assemblée. Ne doutant pas de l'impression que cette partie de son discours devait faire sur l'assemblée et les tribunes, et après avoir ainsi disposé la majorité des représentants en faveur de son opinion, Vergniaud conclut en ces termes : « Je ne suis point tourmenté par la crainte « de voir se réaliser les horribles suppositions que j'ai faites; cependant, comme les dangers dont nous som« mes investis nous imposent l'obligation de tout prévoir, <«< et comme les faits que j'ai supposés ne sont pas dénués de rapports frappants avec plusieurs actes et plusieurs « discours du roi; comme il est certain que les faux amis qui l'environnent sont vendus aux conjurés de Co« blentz... Une fois là, l'orateur demande qu'il soit envoyé à Louis XVI un message ferme, mais respectueux, qui l'oblige à opter (pour ainsi dire) entre la France et l'étranger.-Voici en somme ce qu'il proposa de décréter: 1o Que la patrie est en danger;

"

2° Que les ministres sont responsables des troubles intérieurs qui auraient la religion pour prétexte, et de toute invasion du territoire français, faute de précautions pour remplacer à temps le camp dont l'assemblée avait décrété la formation;

3o Un message au roi, les inviter à prendre les rendent indispensables;

une adresse aux Français, pour mesures que les circonstances

4o Enfin, que la copie du message au roi, l'adresse aux Français, et le décret que l'assemblée aura rendu à la suite de cette discussion, devront être portés dans les départements par des courriers extraordinaires. Il demanda surtout un prompt rapport sur la conduite du général la Fayette. -De nombreux applaudissements, cela s'entend, avaient souvent interrompu ce discours; mais rien n'est comparable à l'enthousiasme qui éclata de toutes parts au moment où Vergniaud descendit de la tribune. Le côté gauche, les galeries applaudissaient avec transport; la plupart des députés, même du côté droit, oubliant pour le moment leurs anciens griefs, et entraînés, subjugués, par le prestige de l'éloquence de l'orateur, joignirent leurs applaudissements à ceux de la majorité. A peine Vergniaud se vit-il au milieu de ses collègues, qu'il fut entouré par la foule, empressée de le féliciter. Seul encore il avait hasardé devant l'assemblée quelques paroles se rapportant à la déchéance, dont le public s'entretenait depuis longtemps (1).

(1) A en juger par ce discours du député de la Gironde, on croirait Vergniaud doué du caractère le plus énergique, d'une trempe d'âme à toute épreuve; eh bien! dans son intérieur, c'était l'homme le plus insouciant, le plus indolent; il sommeillait dans l'intervalle de ses discours. Porté naturellement à la paresse, l'amour des plaisirs l'absorbait tout entier, du moment qu'il n'était pas poussé à la tribune par ses amis. Il n'existait pas d'homme public moins propre à remplir le principal rôle dans le grand drame de la révolution. D'ailleurs, il était totalement dénué du talent de l'improvisation; il avait besoin de se recueillir, de préparer ses discours, qui la plupart semblaient forts de logique, brûlants de chaleur, soutenus par un débit très-noble. C'était un personnage éminemment dramatique, pour ne pas dire excellent comédien, mais rien moins qu'un homme d'État. Lors de la proscription de la Gironde, nous le verrons plus disposé à attendre la mort qu'à la porter, pour son salut et celui de

L'impression de ce discours et l'envoi aux quatre-vingttrois départements et à l'armée furent décrétés presque à l'unanimité. Cambon, en appuyant l'impression et l'envoi, s'écria « Nous devons la vérité au peuple, et toutes les « suppositions de Vergniaud sont des vérités. » Il voulait même que l'assemblée établît d'une manière affirmative tout ce que Vergniaud avait dit par supposition dans ce discours. Cette motion n'eut point de suite; mais le coup était porté. La déchéance de Louis XVI devint la pensée dominante dans le public. Mathieu Dumas improvisa une allocution pour répondre au discours (1) préparé de longue main de Vergniaud. Il s'efforça de rétablir la vérité sur plusieurs points que l'orateur girondin avait réellement dénaturés. Afin d'atténuer l'effet prodigieux de cette longue et foudroyante harangue, l'orateur fit voir que partout où l'on avait agi dans le véritable esprit du christianisme, qui recommande une sage tolérance, il n'y avait point eu de troubles alarmants. Il crut devoir justifier aussi, au milieu des murmures, le pouvoir exécutif, à qui l'on imputait la retraite de Luckner et l'évacuation de la Belgique, et obtint un décret qui constatait que le maréchal avait conservé toute la confiance de la nation (2). Quant à la responsabilité des ministres, telle que l'ardent orateur voulait l'établir, l'assemblée passa à l'ordre du jour.

son parti, dans les rangs de ses nombreux adversaires. (Mémoires de madame Roland, t. II, p. 182.)

Voir dans le Moniteur le discours de Vergniaud, t. XIII, p. 332-343. - Bertrand de Moleville l'a consigné tout entier dans son Histoire de la révolution, t. VIII, p. 399 à 419.

(1) Chronique de cinquante jours, p. 160.

(2) Moniteur.

[ocr errors]

A la séance du lendemain on régla les formes dans lesquelles le corps législatif pourrait déclarer la patrie en danger. Cette déclaration une fois promulguée, les conseils de département et de district devaient se rassembler et rester, ainsi que les municipalités et les conseils généraux des communes, en surveillance permanente; dès ce moment aucun fonctionnaire public ne pouvait s'éloigner de son poste. Tous les citoyens étaient obligés de faire connaître à leurs municipalités respectives le nombre et la nature des armes dont ils étaient pourvus. « Tous les Français étaient tenus de porter la cocarde nationale; toute << autre cocarde serait considérée comme un signe de rébellion; et tout individu convaincu de l'avoir portée se<< rait puni de mort. Chaque citoyen était tenu de l'arrêter << ou de le dénoncer sur-le-champ, à peine d'être réputé complice. » C'était déjà préluder à l'odieuse loi des suspects de la Convention (1). Ce décret était qualifié d'acte du corps législatif, et, comme tel, selon la lettre de la constitution, il n'avait pas besoin de sanction; mais loin de calmer les esprits, il y amena une recrudescence d'agitation. Néanmoins deux jours après on vit surgir au sein de l'assemblée un de ces incidents étranges, revirement peut-être unique, au milieu des dissidences les plus extrêmes auxquelles les corps délibérants sont souvent entraînés.

[ocr errors]

En dépit de toutes ces dissensions intestines, le mot d'union depuis quelque temps, on ne sait trop pourquoi, se faisait entendre de toutes parts. Robespierre l'articulait aux Jacobins, Vergniaud en parlait dans le salon de ma

(1) Moniteur, t. XIII, p. 54-56.

dame Roland, et, comme les Français d'alors avaient la prétention de se modeler sur les peuples anciens, Vergniaud demandait, à la tribune même de l'assemblée, s'il n'était pas temps de réunir ceux qui étaient dans Rome à ceux qui étaient sur le mont Aventin (1). Carnot déclarait que depuis longtemps la nation était fatiguée des opinions divergentes qui partageaient les représentants. Lamourette, évêque constitutionnel de Lyon, considérant cette disposition des esprits, demanda à l'improviste la parole dans la séance du 7 juillet : « On vous a proposé, » dit-il, << on vous proposera encore des mesures extraordinaires « pour arrêter les divisions qui déchirent la France... «< Mais de ces mesures il n'en est aucune qui ait atteint le « but, parce que jamais on n'est remonté à la véritable << source de nos maux. Cette source, qu'il faut tarir à quel« que prix que ce soit, c'est la division de l'assemblée na<«<tionale... J'ai souvent entendu dire que tout rapproche<«<ment était impraticable... Pour les gens honnêtes, ils <«< ont beau être divisés d'opinion: éclairés par une discus<«<sion franche, ils se rencontrent toujours au point de la « probité et de l'honneur. » (De nombreux applaudissements s'élèvent.) Encouragé par ces manifestations de l'assemblée, il poursuit : « A quoi se réduisent toutes nos dé<«< fiances? Une partie de l'assemblée attribue à l'autre le << dessein séditieux de vouloir détruire la monarchie; les <<< autres attribuent à leurs collègues le dessein de vouloir « la destruction de l'égalité constitutionnelle, et d'établir « le gouvernement aristocratique connu sous le nom des

(1) Voir Tite-Live, t. II, chap. 32.

« PreviousContinue »