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prouva, aussi bien que le roi de Prusse. Il n'en fut pas de même du généralissime cette déclaration déplut souverainement au duc de Brunswick; mais ce prince, malgré la haute position qu'il occupait, ne pouvait se dégager de son rôle habituel de courtisan : il ne crut pas à propos de témoigner son opinion tout entière, et hasarda à peine devant les souverains quelques observations de détail sur la rudesse de plusieurs expressions du manifeste projeté. On lui permit de s'entendre sur cet objet avec les ministres. Tous adhérèrent aux vues mitigées du duc; on effaça plusieurs passages trop acerbes, et un conseiller du cabinet fut chargé de coudre les parties disjointes de cette pièce. Ainsi modifiée, le généralissime crut en avoir assez dit. Cependant il ne sentit pas de prime abord tout ce que cette déclaration solennelle pouvait avoir d'impolitique. Quelques personnes de la suite du duc de Brunswick ont affirmé que ce ne fut qu'après la signature qu'on y avait introduit la phrase par laquelle le duc menaçait, en cas d'attentat contre le roi de France, « de tirer une ven<< geance éclatante de Paris, en livrant cette capitale à une << exécution militaire et à une totale destruction. » Le généralissime, prenant alors l'exemplaire qu'on lui présentait ainsi interpolé, l'aurait déchiré, dit-on, avec indignation, sans toutefois oser le désavouer devant les souverains. Le duc, après l'événement, appela toujours cette déclaration le déplorable manifeste, bien que les puissances alliées y eussent protesté, par l'organe de leur généralissime, qu'elles ne feraient point de conquêtes sur la France, et qu'elles

et devint le royaliste le plus ardent. (Biographie universelle, t. XXVI, p. 503.)

ne voulaient point s'immiscer dans son gouvernement intérieur. Les publicistes sans passion ne cessaient de condamner cette démarche des souverains. Ils disaient que c'était seulement lorsque les armées seraient arrivées presque sous les murs de Paris qu'on pouvait hasarder une telle déclaration; dès lors on était d'avis qu'il fallait presser la marche des armées alliées sur la capitale, et c'est précisément ce qu'on ne fit pas. Sous le point de vue politique, voilà l'erreur principale: cette expédition échoua par une série de fautes, et surtout par le mauvais vouloir des chefs, pour trancher le mot, comme nous le verrons lorsqu'il nous faudra rendre compte de la malheureuse expédition en Champagne du mois de septembre suivant (1).

Cependant les armées des souverains alliés avaient forcé les troupes françaises à évacuer entièrement les Pays-Bas et à se retirer au camp de Famars sous Valenciennes. Cette retraite et l'arrivée à Coblentz du roi de Prusse à la tête d'un corps considérable jetèrent l'alarme dans l'assemblée. Les députations des sections de Paris se succédaient à la barre : une d'elles, dans une adresse dirigée en partie contre la Fayette, demanda que la patric fût

(1) Mémoires d'un homme d'État, t. 1, p. 384-411.

déclarée en danger. Le 2 juillet, Thuriot proposa au corps législatif de faire cette déclaration dans toute la France (1); l'objet en était grave, il touchait à des questions brûlantes, dont le public s'occupait déjà fortement, mais qui n'avaient pas encore été abordées à la tribune. Enfin, le 3 juillet, Vergniaud prit la parole et prononça son fameux discours sur la question qui agitait pour le moment tous les esprits.

Son éloquence perfide, mais entraînante, s'adressait à toutes les passions qui agitaient les chauds partisans de la Révolution; il s'y proposait deux buts : d'enthousiasmer d'abord les esprits en faveur des mesures de salut public qu'il allait proposer à l'approche des armées alliées, puis de discréditer totalement le pouvoir royal. Il se garda de fronder d'emblée cette autorité, mais, pour lui porter des coups plus sûrs, il adopta les formes d'hypothèse, de suppositions la plupart gratuites, sur le défaut de bonne volonté de la part de Louis XVI et de son gouvernement, dans l'adoption et l'exécution des mesures que réclamait le danger du moment, soupçons dont on n'entretenait que trop le public. Il semblait s'étonner qu'on eût renvoyé des ministres patriotes, juste au moment où les armées françaises du Nord se repliaient, et où les Prussiens arrivaient sur le Rhin. « Si on connaissait moins, » dit-il, «< l'amour impérissable du peuple pour la liberté, on se<< rait tenté de douter si la Révolution arrive à son terme, <«< ou si elle rétrograde. Serait-il vrai que l'on redoute << nos triomphes? Est-ce du sang de Coblentz ou du nôtre

(1) Moniteur, t. XIII, p. 31.

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qu'on est avare?... Si le fanatisme excitait des désor« dres, quelle était l'intention de ceux qui ont fait rejeter << avec opiniâtreté les mesures de répression présentées « par l'assemblée nationale» (le veto du roi apposé sur les décrets contre les prêtres réfractaires)? L'orateur, sans cesse à l'affût de cajoleries envers les hommes du mouvement, trouve à propos de récapituler les époques glorieuses de la Révolution : le serment du Jeu de paume, prise de la Bastille, etc. Cependant, pour se montrer équitable, il s'élève avec force contre les dissensions de partis, qu'il supplie d'ajourner jusqu'à la paix. Après avoir reproduit, et toujours par supposition, les divers griefs qu'on avait contre Louis XVI, il se ravise et dit : « Il n'est cependant pas permis d'accuser le roi d'être << ennemi de son peuple sans lui faire injure; il se refuse << à l'adoption des mesures répressives contre le fana<«< tisme, d'où je conclus que, s'il a résisté à votre vœu, << il se regarde comme assez puissant par les lois déjà exis<«<tantes pour faire succéder la paix aux troubles. Si « donc il arrive que les espérances de la nation soient trompées, il est évident que la faute devra en être imputée à la négligence seule des agents employés par le roi, et qu'il est urgent de déclarer que, désormais, les <«< ministres répondront sur leurs têtes de tous les désoradres dont la religion sera le prétexte. » — L'urgence de la responsabilité des ministres sur leurs tétes une fois établie, l'orateur passe aux mesures que le roi adopterait dans le cas d'un pressant danger pour l'État : « C'est au « nom du roi, » dit-il, « que les princes français ont << tenté de soulever contre la nation toutes les cours de

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l'Europe. Or, je lis dans la constitution: Si le roi ne s'oppose pas par un acte formel à telle entreprise qui « s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté. Maintenant je vous demande ce qu'il faut en<< tendre par un acte formel d'opposition? La raison me « dit que c'est l'acte d'une résistance proportionnée au<< tant qu'il est possible au danger. Par exemple: si le « roi, chargé par la constitution de veiller à la sûreté ex« térieure de l'État, était instruit des mouvements de l'ar«<mée ennemie, et qu'un camp de réserve était évidemment « nécessaire, pour arrêter ou prévenir ces progrès, s'il « existait un décret du corps législatif qui eût réclamé ce << camp, et que le roi eût rejeté ce décret, pourrait-on dire qu'il a fait l'acte formel de résistance que la consti<«< tution lui prescrit? et que pour sa justification, il dise : << Il est vrai que des camps de réserve auraient pu soutenir <«< nos armées, mais la constitution ne m'oblige pas de « former des camps de réserve; il est vrai que l'assemblée << nationale a rendu deux décrets nécessaires, que j'ai re«< fusé de sanctionner; mais j'en avais le droit, je le tiens <<< de la constitution même. Je fais ce qu'elle me prescrit; «< il n'est émané aucun acte que la constitution condamne: <«< il n'en est donc pas permis de douter de ma fidélité << pour elle... >>

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Jamais sophiste n'a su mieux colorer ses arguments captieux que ne l'a fait, dans cette occurrence, le grand orateur de la Gironde, pour ranger son nombreux auditoire à l'opinion qu'il voulait lui faire adopter. - Certes on ne pouvait pas mieux formuler aussi l'insuffisance des mesures de salut public que la constitution conférait au

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