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une seule parole, et par son silence laissa annihiler, pourrait-on dire, l'effet que sa présence et son allocution avaient d'abord produit. Il franchissait déjà le Rubicon, il n'osa aller au delà. Il sortit entouré d'un cortége nombreux de députés et de militaires de la garde nationale, de tous ses amis et anciens compagnons d'armes. Rentré chez lui, le général ne se découragea pas, et s'occupa activement des moyens d'utiliser son court séjour dans la capitale, de répondre aux vœux des constitutionnels et de l'armée qu'il commandait. — Il se rend d'abord au château. Les propos injurieux des courtisans circulent comme par le passé autour de celui qui venait de jeter le gant aux factieux. Le roi et la reine accueillent froidement le général, le seul personnage qui, dans ce conflit des autorités insurrectionnelles, pouvait leur offrir une planche de salut. La raison d'État, leur propre sûreté même, auraient dû leur commander de faire trève à leur ressentiment (1). La Fayette se retira navré de douleur des dispositions malveillantes à son égard qu'il trouva à la cour. A sa sortie des Tuileries, une foule nombreuse l'accompagna jusqu'à son logis; et pour lui faire honneur, on planta l'arbre de la liberté devant sa porte. Mais la cour ne voulut décidément pas profiter de l'enthousiasme qu'excitait dans une partie de la capitale cet ancien ami

(1) Madame Campan rapporte, dans ses Mémoires, qu'à l'arrivée de la Fayette à Paris, on avait présenté à la reine un plan dans lequel on lui proposait, par la réunion de l'armée de la Fayette au parti du roi, de sauver la famille royale et de la conduire à Rouen, mais que Marie-Antoinette répondit : « Qu'il valait mieux périr que de devoir son salut à l'homme <«< qui leur avait fait le plus de mal, et de se mettre dans la nécessité de << traiter avec lui. » (T. II, p. 224-225.)

de la liberté. Une revue de la première division de la garde nationale était indiquée pour le lendemain. Le roi devait la passer, après quoi le général se proposait de haranguer cette troupe. La reine, résolue à ne rien lui devoir, fit avertir de ce projet de revue Pétion, qui, redoutant par-dessus tout l'ascendant de la Fayette sur cette force armée, contremanda, en sa qualité de maire de Paris, cette revue, et elle n'eut pas lieu.

Désespéré de ce contre-temps, mais ne se décourageant pas, la Fayette réunit chez lui tous ses amis et partisans de la garde nationale, pour aviser aux moyens de porter un coup décisif aux jacobins, dont une partie avait déjà déserté le lieu de leurs assemblées. On promit de se réunir le soir, aux Champs-Élysées; à peine cent hommes s'y trouvèrent. On s'ajourna au lendemain, pour marcher Ide suite sur le club des Jacobins si l'on se trouvait au nombre de trois cents : à peine trente individus y arrivèrent (1). C'étaient des gardes nationaux qui devaient se trouver à cette réunion; mais, depuis près d'une année, la garde nationale n'était plus ce qu'elle avait été à son origine; on y avait introduit un grand nombre de gens sans aveu, d'hommes qui n'avaient pour toute arme qu'une pique, et pris dans les rangs de la plus vile populace. Le dévouement civique, la subordination, en avaient disparu. - Un assez grand nombre de ces anciens soldats-citoyens s'empressèrent de circonvenir leur ci-devant général; mais ce n'étaient que des individualités; le corps de troupes ne partageait pas cet enthousiasme : tout était

(1) Toulongeon, Hist. de la révol.,t. II, p. 179-180.

changé (i). C'est ainsi que le plan de détruire le principal foyer des insurrections fut complétement ruiné. Une panique semblait terrifier toutes les âmes. Les jacobins la ressentirent tout autant; ils accoururent chez Dumouriez, qui n'était pas encore parti pour l'armée, et le pressèrent de se mettre à leur tête et de marcher contre la Fayette; mais il s'y refusa. La Fayette resta encore un jour à Paris en butte aux dénonciations; aux menaces même d'assassinat, et repartit désespéré de son intitile dévouement à la chose publique et du funeste et constant ressentiment de la cour à son égard (2).

A peine le général était-il parti, que les jacobins firent brûler son effigie en grand appareil.

(1) La reine avait pu apprendre cette fâcheuse disposition de la garde nationale envers son ancien commandant; c'est ce qui l'a pu porter à refuser ses offres généreuses. Dès lors, comme épouse, comme mère, ses regards durent se tourner du côté où elle pourrait apercevoir quelque autre chance de salut. Madame Campan rapporte dans ses Mémoires que, vers le milieu d'une de ces nuits où là lune éclairait la chambre de la reine, Marie-Antoinette la contempla et lui dit que, « dans un mois, elle ne verrait plus cette lune sans être dégagée de ses chaînes et sans voir le roi libre. « Alors elle me confia que tout marchait à la fois pour les délivrer; qu'elle <«< avait l'itinéraire de la marche des princes et du roi de Prusse; que tel

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jour ils seraient à Verdun, tel autre dans un autre endroit, etc. Elle « s'attendait à voir arriver ces troupes, non comme une armée ennemie, « mais comme une armée destinée à délivrer la France de la tyrannie démagogique des jacobins et à anéantir à tout jamais cette faction antisociale, selon les vœux du roi et les instructions qu'il avait données à

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« Mallet du Pan, son envoyé secret auprès de l'Empereur et du roi de « Prusse. Infortunée princesse ! elle était loin de prévoir la catastrophe qui devait bientôt emporter toutes ses espérances de salut. » (2) Thiers, t. II, p. 124.

Il nous faut présentement jeter un coup d'œil sur les événements qui vont se dérouler en dehors de la France. La déroute qui avait signalé l'ouverture de la campagne n'avait encore eu d'autres résultats que quelques affaires d'avant-postes. Le maréchal Rochambeau avait définitivement abandonné le commandement de son armée, et sa retraite avait déterminé celle d'une grande partie des anciens officiers. Le nombre de militaires résolus à émigrer devenait de jour en jour plus considérable; on vit même des regiments entiers passer la frontière (1). « Quelque affligeantes que soient ces nouvelles, » dit à cette occasion le ministre de la guerre à l'assemblée, <«< on doit se consoler en pensant que ce ne sont que les « traîtres qui ont quitté leurs drapeaux... Loin de se dé« courager par la perte de ces forces apparentes, les amis <«< de la liberté doivent se roidir contre les obstacles, et ỳ puiser un nouveau courage (2). »

Le roi ne partageait pas cette sécurité patriotique; il voyait avec douleur la France engagée dans une guerre où la désorganisation des troupes exposait plus que jamais les provinces frontières à être envahiies. Ce que Louis XVI craignait par-dessus tout, c'était la guerre

(1) Bertrand de Moleville, t. VIII, p. 38.

(2) Moniteur, t. XII, p. 385.

intestine, et il ne doutait pas qu'elle n'éclatât à la nouvelle du premier avantage remporté sur les troupes françaises par le corps d'émigrés faisant partie de l'armée des alliés. Il n'était que trop à craindre, en effet, que les jacobins et le peuple en fureur n'exerçassent alors les plus sanglantes représailles contre les prêtres insermentés et les nobles restés en France. -- C'est ce qui détermina Louis XVI à envoyer un agent secret auprès de l'Empereur et du roi de Prusse, afin d'obtenir de ces deux souverains qu'ils n'agissent offensivement qu'à la dernière extrémité, et qu'ils fissent précéder l'arrivée de leurs armées sur le territoire français, d'un manifeste sage et mesuré. Mallet du Pan, Génevois, observateur éclairé (principal rédacteur du Mercure de France pour la par

tie politique), attaché par principes au système constitutionnel, fut désigné par Malouet au roi, comme le plus capable de remplir cette mission. Mallet du Pan l'accepta, et, pour plus de précaution, prit la route de Genève pour arriver en Allemagne. Il arriva à Francfort durant les solennités qui accompagnèrent le couronnement de François, nouvellement élu empereur.

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Les instructions du roi que Mallet du Pan communiqua aux ministres des puissances alliées portaient en substance : Qu'il fallait que les souverains parussent seulement par<< ties et non arbitres dans ce différend, cet arbitrage de« vant être réservé au roi des Français, du moment que sa liberté lui serait rendue. Toute autre manière d'agir produirait une guerre civile dans l'intérieur, menacerait <«< les jours du roi et de sa famille et de tous les royalistes, <«< rallierait enfin aux jacobins tous les révolutionnaires qui

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