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pour prévenir de tels attentats, et décréta que désormais, sous quelque prétexte que ce fût, aucune réunion de citoyens armés ne pourrait se présenter à la barre, défiler dans la salle de ses séances, ni avoir accès auprès des autorités constituées. Mais ce qui produisit l'effet le plus favorable dans la circonstance, fut la belle proclamation du roi, où il était dit : « Le roi ignore quel sera le terme où « voudront s'arrêter les factieux; mais il a besoin de dire « à la nation française que la violence, à quelque excès «< qu'on veuille la porter, ne lui arrachera jamais un con<< sentement à tout ce qu'il croira contraire à l'intérêt public. Dans l'état de crise où la monarchie se trouve, « le roi ordonne à tous les corps administratifs et munici

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palités, de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés (1). » Il était de la dignité du monarque de passer sous silence les outrages dont il fut abreuvé dans cette journée du 20 juin.

Déjà une forte réaction se manifestait dans les esprits en faveur de la royauté. Le dimanche 24 juin, le roi passa en revue la sixième division des gardes nationales de Paris: il portait un panache tricolore; la reine y assista accompagnée de son fils, revêtu de l'uniforme national. Un journal, hostile même à cette monarchie agonisante, rapporte que le cri de vive le roi! et même celui de vive la reine! se firent entendre de toutes parts (2). »

En même temps, dans des adresses des directoires de plusieurs départements à l'assemblée, on s'indignait de l'insulte faite aux représentants, de la violation de la loi

(1) Moniteur, t. XII, p. 739.

(2) Burette, t. II, p. 131.

et de l'avilissement du trône. Tous ceux des gardes nationaux qui voulaient sincèrement le maintien du régime constitutionnel témoignaient leur horreur des excès impunis de cette fatale journée. Ce fut un concert d'indignation unanime de la part des royalistes constitutionnels ou non. -- Une pétition à l'assemblée, qui se couvrit rapidement de vingt mille signatures environ, et qui circulait de Paris à Rouen, exprimait les mêmes sentiments (1).

Les événements du 20 juin occupaient la France tout entière. Des dispositions répressives contre les factieux de Paris se manifestaient surtout dans les troupes commandées par la Fayette; les chefs étaient indignés de l'inaction des autorités de la capitale au milieu de cette effervescence de la multitude. Le dévouement de ce général aux principes constitutionnels, les doutes soulevés par les représentants du côté gauche sur l'authenticité de la lettre qu'il avait écrite au président de l'assemblée, tout lui fit un devoir de manifester de vive voix ses sentiments en cette grave circonstance : il promit à son armée de se faire lui-même l'organe de la réprobation dont elle frappait les fauteurs de ces mouvements insurrectionnels. Il était urgent que le général se rendît à l'assemblée, car plusieurs corps de troupes auraient voulu déjà marcher sur Paris. La Fayette fit des dispositions à l'effet de préserver le corps qu'il commandait de toute attaque imprévue, et partit pour Paris. Arrivé le 28, il écrivit au président de l'assemblée pour lui demander l'agrément de paraître à la barre. Il y fut admis, et parla en ces termes :

(1) Burette, t. II, p. 132.

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Cette adresse est consignée dans le Moniteur, t. XIII, p. 4-5.

« Je dois d'abord, Messieurs, vous assurer que, d'après les dispositions concertées entre M. le maréchal Luckner « et moi, ma présence ici ne compromet aucunement ni le « succès de nos armes ni la sûreté de l'armée que je com<< mande. — Voici maintenant les motifs qui m'amènent. « On a dit que ma lettre du 16 à l'assemblée nationale <«< n'était pas de moi; on m'a reproché même de l'avoir <«< écrite au milieu du camp. Une raison plus puissante «< m'a forcé, Messieurs, à me rendre auprès de vous. Les « violences commises le 20 aux Tuileries ont excité l'indignation et les alarmes de tous les bons citoyens, et particulièrement de l'armée. Dans celle que je commande, « où les officiers, sous-officiers et soldats ne font qu'un, << j'ai reçu des différents corps des adresses pleines de leur <«< amour pour la constitution, de leur respect pour les «'autorités qu'elle a établies, et de leur patriotique haine <«< contre les factieux de tous les partis. J'ai cru devoir ar

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« rêter sur-le-champ les adresses par l'ordre que je dé

<< pose sur le bureau. Vous y verrez que j'ai pris avec << mes braves compagnons d'armes, l'engagement d'expri«< mer seul nos sentiments communs, et le second ordre « que je joins également ici, les a confirmés dans cette at<< tente. En arrêtant l'expression de leur vou, je ne puis qu'approuver les motifs qui les animent. Plusieurs d'en<< tre eux se demandent si c'est vraiment la cause de la <«< liberté et de la constitution qu'ils défendent. Mes«sieurs, c'est comme citoyen que j'ai l'honneur de vous << parler; mais l'opinion que j'exprime est celle de tous <«<les Français qui aiment leur pays, sa liberté, son repos, <«< les lois qu'il s'est données, et je ne crains pas d'être dé

« savoué par auctin d'eux: Il est temps de garantir la « constitution des atteintes qu'on s'efforce de lui porter, « d'assurer la liberté de l'assemblée nationale, celle du « rol, son indépendance, sa dignité; il est temps enfin de << tromper les espérances des mauvais citoyens qui n'at« tendent que des étrangers lé rétablissement de ce qu'ils appellent la tranquillité publique, et qui ne serait pour « des hommes libres qu'un honteux et intolérable escla« vage. Je supplie l'assemblée nationale :

« 1o D'ordonner que les instigateurs et les chefs des « violences commises le 20 juin, aux Tuileries, soient « poursuivis et punis comme criminels de lèse-nation;

« 2o De détruire une secte qui envahit la souveraineté « nationale, tyrannise les citoyens, et dont les débats pu<«<blics ne laissent aucun doute sur l'atrocité de ceux qui << la dirigent ;

« 3° J'ose enflit vous supplier, en mon nom et au nom « de tous les honnêtes gens du royaume, de prendre des << mesures efficaces pour faire respecter toutes les autorités « constituées, particulièrement la vôtre et celle du roi, « et de donner à l'armée l'assurance que la constitution « në recevra aucune atteinté dans l'intérieur, tandis que « de braves Français vont prodiguer leur sang pour la dé« fendre aux frontières (1). »

Ge discours fut d'abord fort applaudi par une partie de l'assemblée: on accorda au général les honneurs de la

(1) Moniteur, t. XIII, p. 3.

Quelques ordres du jour de l'armée commandée par le maréchal Luckner, manifestant des sentiments royalistes, furent lus aussi au sein de l'assemblée.

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séance; mais le moment d'après sa démarche fut blâmée, notamment par Vergniaud et Guadet. Isnard alla plus loin, il sembla s'étonner qu'on n'eût pas encore traduit à la haute cour d'Orléans ce soldat téméraire. - Guadet reprend du ton de la plus amère ironie : « Quand la « présence de M. de la Fayette à Paris m'a été annon« cée, je me suis dit enfin nous n'avons plus d'ennemis extérieurs; les Autrichiens sont vaincus ou en retraite. « Cette illusion n'a pas duré longtemps. Nos ennemis gar« dent toujours leur position, et cependant le général « d'une de nos armées est à Paris! Quels puissants motifs « l'amènent? » Et il conclut par demander que le ministre de la guerre soit interrogé pour savoir s'il a autorisé M. de la Fayette à quitter son corps pour arriver et se présenter à l'assemblée. Ramond réplique de suite: « Ja«< mais on n'a été si scrupuleux sur le droit de pétition. « Récemment encore, une foule armée parut au sein « de l'assemblée, on ne lui demanda pas quelle était sa « mission... et lorsque M. de la Fayette, qui, durant sa <«< vie entière, a donné des gages de son amour pour la « liberté, lorsqu'il se présente, les soupçons s'éveillent. » Ramond opine alors pour le renvoi de la pétition à la commission extraordinaire (1) chargée d'examiner, non la conduite du général, mais l'objet de sa pétition. A la suite d'un grand tumulte, la motion de Ramond est décrétée (2).

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La Fayette parut comme pétrifié en entendant s'élever au sein de l'assemblée de tels débats; il ne put articuler

(1) Thiers, t. II, p. 121-122.

(2) Ibid., même vol., p. 121-122.

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