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«< n'ayez pas peur! »

roi,

» — « Je n'ai pas peur, » répondit le

--

<«< mettez la main sur mon cœur, il est pur et tran<< quille. >> Et prenant la main du grenadier, il l'appuie fortement sur sa poitrine.— Madame Élisabeth était près de son frère; un moment elle fut prise pour la reine. « Voilà l'Autrichienne! » crièrent ces forcenés. Quelques individus voulurent les détromper. « Laissez-les, » dit à mi-voix l'auguste fille; « laissez-les dans l'erreur. »>

Les hommes des faubourgs ne discontinuaient pas de se précipiter dans les appartements. Le boucher Legendre s'approche du monarque : un moment de calme s'établit, et l'on entend les paroles suivantes qu'il adresse au roi : « Monsieur... » A ce mot, Louis XVI fait un mouvement. de surprise. « Oui, Monsieur, » reprend Legendre, « écou«< tez-nous, vous êtes fait pour nous écouter... Vous êtes << un perfide; vous nous avez toujours trompés, vous nous « trompez encore. Mais prenez garde à vous: la mesure <«< est à son comble, et le peuple est las de se voir votre

jouet. » Et des centaines de voix de s'élever et de vociférer: « Il nous trompe, il nous trompe à bas le veto! «<le rappel des ministres, la sanction des décrets! » La plèbe ne faisait que vociférer les mots qu'on lui avait appris d'avance, sans y attacher le moindre sens. Et Legendre lut de suite une pétition dans laquelle les mêmes réclamations étaient reproduites dans les termes les plus grossiers et les plus menaçants (calquée à peu près sur la lettre de Roland au roi): au fait, l'idée mère, la tendance de ces deux pièces, étaient à peu près les mêmes. Le roi écouta cette lecture sans s'émouvoir, et regardait avec calme l'étrange spectacle qui se présentait à

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sa vue. Jamais, » dit M. Mignet, « Louis XVI ne montra plus de courage et de véritable grandeur que dans « cette déplorable journée (1). » L'air calme et la sécurité qu'on voyait répandus sur les traits du roi déconcertaient les plus audacieux brigands. N'entendant pas faire droit à ces réclamations de l'émeute, il répondit seulement : « Je ferai ce que la constitution me prescrit. Les cris, le tumulte redoublent, ainsi que la foule; la presse était extrême : alors un de ces furieux armé d'un long bâton à l'extrémité duquel on voyait attachée une lame d'épée, voulut atteindre le roi avec ce fer; les grenadiers parèrent le coup avec leurs baïonnettes. Un autre, armé d'un sabre, perça la foule, et dirigeait déjà le fer contre le roi; il fut encore écarté par les grenadiers volontaires. Dans cet intervalle, un homme du peuple voyant le roi accablé de chaleur, verse un verre de vin de la bouteille qu'il tenait, et le lui présente. Louis pouvait croire que ce breuvage était empoisonné; cependant il but sans hésiter, aux grands applaudissements de la multitude. Plusieurs fois il voulut parler, mais sa voix se perdait dans le tumulte. Cette situation horrible dura plus d'une heure, sans que la fermeté et le calme du roi parussent s'altérer un moment.

Enfin, un homme du peuple s'avance, et présente à l'extrémité d'une longue perche un bonnet rouge au monarque ; le roi étend la main, prend le bonnet et le place sur sa tête. Aussitôt les plus vifs applaudissements se font entendre, même des cris de Vive le roi! On entendit en

(1) Histoire de la révolution, p. 243.

même temps un de ces malheureux dire : « Il a bien fait « de le prendre, car vous auriez vu ce qui en serait ad<< venu. » Arrive enfin Santerre, suivi d'une foule toujours croissante; et à sa vue on crie de nouveau : A bas « le veto! le rappel des ministres! la sanction des dé«< crets! » Santerre, dominant de sa voix ces vociférations: « Je réponds, » dit-il, « de la famille royale ; qu'on <«< me laisse faire. » Mais il est interrompu par des acclamations qui annoncent le maire de Paris; Pétion s'approche du roi : « Sire,» dit-il, « je viens d'apprendre dans le *«< moment même la situation dans laquelle vous êtes. » Louis répondit : « Cela est bien étonnant, il y a deux heures que tout cela dure. » — En même temps, un jeune homme ne cessait de crier : « Sire, je vous demande, au nom de cent mille âmes qui m'entourent, le rappel des ministres patriotes, la sanction des décrets, « ou vous périrez. >> Et Pétion, qui se trouvait tout à côté, ne songeait même pas à lui imposer silence. — Un officier municipal, qui voyait Pétion impassible à ce point : << Ordonnez donc au peuple, » dit-il, « de se retirer, c'est << par l'événement qu'on jugera votre conduite; prenez«y garde!» Le maire dit alors tout haut: « Que le << monarque n'avait rien à craindre pour sa personne, que << le peuple voulait le respecter, et qu'il en répondait. » Les meneurs, en effet, Pétion, Santerre et tous les chauds partisans jusqu'alors de la Gironde, n'avaient réellement voulu faire qu'une démonstration, intimider le roi et lui arracher la sanction des deux décrets. Mais voyant Louis inébranlable dans sa résolution, ils sentirent qu'il fallait terminer le drame insurrectionnel; il avait assez duré.

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Alors Pétion, élevé sur les épaules de deux grenadiers, se tourne vers la foule, et parvient à grand' peine à se faire entendre. « Citoyens, » dit-il, « vous ne pouvez pour le « moment exiger rien de plus; retournez dans vos foyers. «En restant plus longtemps vous donneriez occasion aux <«< ennemis du bien public d'envenimer vos respectables «< intentions. Vous avez agi avec la fierté et la dignité « d'hommes libres. Mais en voilà assez; que chacun se re« tire!» Le plus grand nombre se montra assez docile à la voix du magistrat ; mais il s'élevait toujours de différents points de la salle des cris: A bas le veto! le rappel « des ministres! On entendit même les propos les plus atroces. Cependant la foule quittait peu à peu les appartements du roi : la file, en passant devant le maire, criait: Vive Pétion! et Pétion s'inclinait. - Pendant que cette plèbe sortait d'un côté, des grenadiers volontaires empêchaient d'entrer de l'autre. En quittant le château, quelques hommes du peuple se plaignaient hautement de la nullité de la journée. « On nous a amenés, disaient-ils, << pour rien; mais nous y reviendrons! » Les appartements du roi commençaient à se vider, tout était fini, quand une députation de vingt-quatre membres de l'assemblée se présente au monarque, pour partager les dangers de Sa Majesté, dit le député qui portait la parole, et protéger sa liberté constitutionnelle. Ils assurèrent en même temps à Louis que l'assemblée n'avait rien négligé pour prévenir tout manque de respect à l'égard de sa personne royale. -« Vous le voyez, Messieurs,» répondit Louis avec calme, en leur montrant le reste de cette populace qui sortait, les piques, les fusils restés à terres, les portes

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brisées, tout le mobilier de ses appartements sens dessus dessous.

Le reste de la famille royale avait eu aussi sa bonne part des humiliations et des angoisses de cette sinistre journée; elle avait vu de près, tout comme le monarque, le débordement des faubourgs. Le peuple, en se retirant, traversa la chambre du conseil, où se tenait la reine, avec le Dauphin et Madame Royale. Un homme du peuple présenta à Marie-Antoinette un bonnet rouge, pour qu'elle le plaçât sur la tête du jeune prince; on n'osa le repousser, et l'enfant royal demeura comme étouffé sous le poids de cette étrange coiffure, jusqu'à ce qu'il en fût débarrassé par Santerre. Celui-ci, voyant une femme qui régardait la reine et sanglotait : « Qu'a-t-elle donc? » dit-il, « elle est soûle. » Et, la poussant par l'épaule, il la fit sortir.

Le lendemain, 21, il y eut une nouvelle alerte. La reine, effrayée, courut auprès de son fils. L'enfant, voyant du trouble dans les traits de sa mère, lui tendit les bras en disant : << Maman, est-ce qu'hier n'est pas encore fini? » Paroles d'un enfant, mais qui expriment au juste la sinistre impression de la veille.

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Tandis que les flots de la plus vile populace inondaient les appartements du roi, et lui faisaient subir les grossiè retés les plus ignominieuses, que faisait l'assemblée nationale? A peine son président avait-il accepté de Santerre le drapeau que le chef de cette plèbe mutinée lui offrit en signe de la reconnaissance du peuple et de la sympathie des représentants à l'égard de ces pétitionnaires, qu'il leva la séance.

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