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SUR LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE

DE 1789.

LIVRE III.

Tandis que Louis XVI était amené en triomphe à Paris par la populace et l'armée parisienne, l'assemblée continuait à discuter froidement quelques articles constitutionnels. Ces mandataires directs de la nation souveraine, selon les idées du jour, croyaient qu'il était de leur dignité de se montrer impassibles à la vue de cette dégradation du pouvoir royal, qu'il leur fallait enfin se placer à la hauteur des événements.

Cependant ces énormités excitaient dans quelques provinces la plus vive indignation; des cris de vengeance s'y élevaient déjà. Les états du Dauphiné allaient s'assembler, la noblesse de Bretagne se réunir à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. Un grand nombre de députés modérés s'apprêtaient en même temps à quitter leur poste;

ils voulaient, par cette retraite soudaine, manifester hautement leur indignation contre cette fraction de l'assemblée qui, dans son incurie, avait laissé commettre sous ses yeux mêmes de tels attentats; ne point enfin paraître complices de cette impassibilité. Mounier, en sa qualité de président, fut obligé, dans l'espace de deux jours, de délivrer trois cents passe-ports aux représentants (1). Il crut lui-même que, tant que cette assemblée se verrait à la merci des factieux, secondés dans leurs desseins par les tourbes de la capitale, elle ne pourrait atteindre le noble but qu'elle s'était proposé, et réaliser l'attente de la France, en lui donnant des institutions libres, dans l'acception la plus juste de ce mot; qu'il était même du devoir des députés fidèles à leurs mandats de se porter de suite dans les provinces pour éclairer leurs commettants et aviser aux moyens de réunir une nouvelle assemblée, qui pût délibérer librement et résister à la tyrannie démagogique que les agitateurs de Paris cherchaient à établir (2).

Dans la matinée du 8 octobre, à peine Mounier avait-il envoyé aussi sa démission, que Lally-Tollendal se présente chez lui, et le voyant absorbé dans une profonde rêverie : << A quoi pensez-vous? demanda-t-il à son ami. Je « pense, répliqua Mounier, qu'il faut se battre. Le Dauphiné, le premier, a appelé les Français à établir la « liberté; il faut qu'il les appelle aujourd'hui à défendre « la royauté. J'ai déjà écrit à notre commission extraor<«< dinaire; je lui demande une protestation contre les actes << d'une réunion de députés qui ne peut plus être regardée

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(1) Moniteur.

(2) Biographie universelle, t. XXX, p. 321.

« comme libre; puis, la convocation de nos états; le reste

<< suivra. >>

Tous deux partirent le même jour. Mounier fut reçu à Grenoble de la manière la plus honorable; la commission intermédiaire des états de cette province adopta toutes ses propositions; elle n'avait pas même attendu son arrivée pour publier sa protestation contre les actes d'une assemblée asservie. On s'occupait déjà d'organiser les milices de la province; il était même question de former des corps de volontaires, de marcher sur Paris, et d'arracher le roi et les députés fidèles à leur mandat des mains des factieux. Un mouvement de cette nature pouvait se communiquer aux autres provinces et livrer la France à toutes les calamités d'une guerre civile. C'était précisément ce que Louis XVI redoutait; entouré de conseillers ou timides, ou abusés par des hommes aux opinions extrêmes, il se laissa facilement déterminer à un acte par lequel il défendait formellement toute assemblée des états de province comme illégale, et par le fait de cette déclaration, le roi annulait d'avance toutes les résolutions qui eussent été prises dans ces réunions. Les efforts de Mounier et de ses amis ainsi paralysés, il résolut de quitter la France, et passa bientôt en Suisse (1). Lally-Tollendal l'y suivit de près; et c'est de là que Lally écrivit à un de ses amis une lettre où il crut devoir signaler les motifs qui avaient déterminé sa retraite. On y lisait entre autres : « Ni cette ville coupable, ni cette assemblée, plus coupable encore, ne méri<< tent que je me justifie; mais j'ai à cœur que vous et les

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(1) Biographie universelle, article Mounier, rédigé par Lally-Tollendal.

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«

« personnes de votre trempe ne me condamniez pas. Indépendamment même de l'état de ma santé, il a été << au-dessus de mes forces de supporter plus longtemps « l'horreur que me causaient ce sang, cette reine presque ‹égorgée, ce roi amené esclave, entrant à Paris précédé « des têtes de ses malheureux gardes; ce cri de : Tous les évéques à la lanterne!... un coup de fusil, que j'ai vu « tirer dans le carrosse de la reine; M. Bailly, appelant « cela un beau jour; l'assemblée, ayant déclaré froide« ment qu'il n'était pas de sa dignité d'aller tout entière << environner le roi; M. Mirabeau, disant impunément « dans cette assemblée que le vaisseau de l'État, bien loin « d'être arrêté dans sa course, s'élancerait avec plus de rapidité que jamais vers sa régénération; M. Barnave, « riant avec lui quand des flots de sang coulaient autour << de nous; le vertueux Mounier, échappant comme par « miracle à vingt assassins qui avaient voulu faire de sa « tête un trophée de plus..... C'est à l'indignation, c'est à « l'horreur que le seul aspect du sang me fait éprouver, « que j'ai cédé....... Ils me proscriront, ils confisqueront <«< mes biens; je labourerai la terre et je ne les reverrai « plus... Voilà ma justification, vous pouvez la montrer; « tant pis pour ceux qui ne la comprendront pas; ce sera <«< alors moi qui aurai eu le tort de la leur donner (1). » Lally, comme on l'a vu, avait d'abord été enthousiaste de la révolution et des premiers actes de l'assemblée; bientôt désillusionné, effrayé de la marche des événements, les journées des 5 et 6 octobre mirent le comble à ses regrets,

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(1) Journées mémorables de la révolution.

à sa douleur d'avoir prêté lui-même la main à un mouvement que rien ne pouvait arrêter; et ce fut le dépit amer qu'il en ressentit, dépit si naturel à une âme impressionnable comme la sienne, qui le porta à mettre tant d'éclat à sa rétractation.

La disparition subite d'un si grand nombre de députés encourut toutefois le blâme des bons citoyens. Découragés, ils désespérèrent trop tôt de la chose publique; s'ils fussent restés à leur poste, ils auraient empêché une foule de motions qui surgirent depuis leur retraite, et qui amenèrent les conséquences les plus déplorables. Malouet, Clermont-Tonnerre, Cazalès, avec des principes tout aussi favorables à la royauté, restèrent jusqu'à la clôture de l'assemblée (septembre 1791), luttèrent contre les factieux avec courage et fermeté.

Ces retraites nombreuses et simultanées de députés ne tendaient à rien autre qu'à la dissolution de l'assemblée. Les réunions des états dans quelques provinces, malgré les ordres du roi qui les défendait, pouvaient devenir formidables. Pour prévenir de telles conséquences, l'assemblée résolut, de son chef, par des injonctions beaucoup plus sévères, d'interdire toutes ces assemblées dans les provinces. Elle décréta en même temps qu'il ne serait plus accordé de passe-ports aux députés que pour un temps bref, déterminé; et quant aux passe-ports illimités, pour raison de santé, qu'ils ne seraient délivrés aux représentants qu'après que ceux-ci seraient remplacés par leurs suppléants (1). En dépit de tout l'arbitraire des actes de l'assemblée, et de la conduite qu'elle avait tenue à l'égard du

(1) Moniteur, t. II, p. 92.

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