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cret d'accusation, et envoya l'infortuné Larivière aux prisons d'Orléans (1). A l'entrée de ces prisons, chaque accusé aurait pu entendre la voix du Dante :

Larciate ogni speranza voi ch' entrate (2).

Cette tentative sans résultat effectif ne fit qu'accroître l'irritation contre tout ce qui tenait à la famille royale, et la Gironde revint à son rôle de violente opposition. Déjà elle avait fait rendre un nouveau décret contre les prêtres insermentés, beaucoup plus sévère que celui auquel le roi avait refusé la sanction.

Cependant les rapports se succédaient sans interruption sur les troubles que causaient dans les provinces les dissensions religieuses, que le côté gauche traitait de fanatisme, et les constitutionnels, dont le nombre diminuait à vue d'œil, de persévérance, de zèle ardent en faveur de la religion de leurs pères.

Durant tous ces débats, Français de Nantes rédigea sur les ecclésiastiques insermentés un rapport qui restera comme un des plus curieux monuments des amplifications de quelques-uns des orateurs de ces temps. Il y parla du schisme, de Charles IX, des rives des Amazones, du Groenland, du Pérou, du mont Aventin, de Télémaque, d'Eucharis, de Barnevelt, du vent de la liberté qui de

(1) Moniteur, t. XII, p. 418-463 et suiv. Thiers, t. II, p. 67-68. (2) A propos de cette affaire, on lisait, dans un journal du temps, l'épigramme :

Connaissez-vous rien de plus sot

Que Merlin, Bazire et Chabot?
- Non, je ne connais rien de pire
Que Merlin, Chabot et Bazire;
Et personne n'est plus coquin
Que Chabot, Bazire et Merlin.

vait enfler les voiles du vaisseau de la patrie, prêt à emporter les prêtres artisans de discorde, des foudres pontificales. Comme il y avait, en définitive, peu d'héroïsme à braver ces foudres à cette époque, l'orateur finit en s'écriant: « Qu'on apporte ici le réchaud de Scævola, et, les « mains tendues sur le brasier, nous prouverons qu'il n'est « sorte de tourments ni de supplices qui puissent faire fron« cer le sourcil de celui que l'amour de la patrie élève au« dessus de l'humanité (1). » On n'apporta pas le réchaud, mais l'assemblée ajourna la discussion sur le décret présenté à cette occasion par Français de Nantes; cependant sans plus différer, elle frappa de la peine de la déportation les ecclésiastiques insermentés.

Ce décret portait en substance : « Sur la dénonciation << de vingt citoyens actifs, et sur l'approbation du direca toire de district, le directoire du département pronon« cera la déportation : le prêtre condamné doit sortir du << canton en vingt-quatre heures, du département en trois « jours, et du royaume dans un mois... » — -La rigueur de cette loi donnait la mesure des passions haineuses qui agitaient plus que jamais le corps législatif, et qui croissaient de jour en jour. La Gironde poursuivait sans cesse ses attaques contre la royauté, sûre de la majorité dans l'assemblée, maîtresse de Paris par son maire, qui lui était entièrement dévoué, et qui était devenu luimême l'idole du peuple; mais, redoutant toujours une réaction royaliste, cette terrible fraction de l'assemblée voulut avoir à ses ordres une force armée imposante,

(1) Moniteur, t. XII, | p. 305-306.

pour peser, à tout événement, de tout son poids sur le trône désarmé (1). A cette fin, elle fit proposer par Servan, qui venait de remplacer de Graves au ministère de la guerre, à l'insu de ses autres collègues et même du monarque, la formation d'un camp de vingt mille volontaires nationaux, envoyés de tous les départements à l'occasion de la seconde fête de la Fédération qu'on allait célébrer le 14 juillet force armée destinée à protéger, disait-on, l'assemblée et la capitale.

Bien que Dumouriez fit voir en plein conseil tout le danger qu'il y aurait à établir un pareil camp, ramas de gens de toute espèce, à portée de Paris et du siége du gouvernement, et, selon toute apparence, aux ordres du parti dominant, il crut devoir signaler un péril bien plus grand dans le refus du roi de sanctionner ce décret. A la rigueur, disait-il, on pourrait soumettre à quelque discipline militaire ces vingt mille fédérés appelés par l'assemblée, tandis que si la sanction n'était point accordée, le décret précité n'en aurait pas moins son effet : une multitude beaucoup plus nombreuse, levée sous le patronage des clubs de provinces, et tous affiliés à la société mère, pourrait envahir la capitale, prétendant vouloir assister à la nouvelle fête de la Fédération.

L'anxiété du roi redoubla du moment qu'on vint luiapporter le décret concernant la déportation des prêtres réfractaires; jamais sa patience n'avait été soumise à une telle épreuve : il exprima à ceux qui assistaient au conseil toute l'horreur que lui faisait éprouver la rigueur de

(1) Burette, Histoire de la révolution, t. II, p. 94.

cette loi. Dumouriez répliqua, que, s'il eût fait partie du ministère lors de l'adoption du décret qui imposait aux ecclésiastiques le serment à la constitution civile du clergé, il aurait engagé le roi à en refuser la sanction, qui attaquait réellement la liberté en matière de foi; mais que celui-ci, d'après son avis, n'était qu'un règlement politique, de nature à préserver par l'exil les ecclésiastiques des fureurs de la persécution; il ajoutait encore quelques motifs spécieux pour engager le monarque à ne pas refuser la sanction: Louis ne se rendit pas. C'est le seul jour où Dumouriez ait vu « le caractère de cette âme si «< douce et si pure un peu altéré (1). »

Au fait, ce second décret contre les ecclésiastiques non assermentés n'était que la conséquence forcée et déplorable du premier, qui prescrivait à ces fonctionnaires du culte de prêter le serment à la constitution civile du clergé, sous peine de se voir dépossédés de leurs siéges épiscopaux ou de leurs presbytères. Selon toute probabilité, un bon nombre d'ennemis de la révolution avaient réellement eu l'intention de profiter de l'exaspération des ecclésiastiques attachés à la religion de leurs pères, pour organiser des mouvements réactionnaires contre l'assemblée ; mais il s'en est trouvé un bien plus grand qui, sans aucune arrière-pensée, sans le moindre dessein de troubler le pays, étaient outrés de cette loi atroce, même par la crainte qu'elle n'amenât un surcroît de malheurs pour leur patrie. Mais le parti dominant dans l'assemblée (la Gironde) n'entendait pas faire ces distinctions; il lui fallait

(1) Propres paroles de Dumouriez. — Burette, Histoire de la révolution, t. II, p. 96.

placer dans la même catégorie, ranger sur la même ligne, tous les ecclésiastiques insermentés, et les faire considérer indistinctement comme autant d'ennemis des institutions que la révolution avait créées, conséquemment elle regardait comme urgent de s'en défaire, de les expulser tous du territoire français, et par cela même d'aplanir tout obstacle à l'accomplissement de ses projets ultérieurs. C'est précisément ce qui donna lieu au décret de l'assemblée soumis présentement à la sanction du roi (1).

La situation se compliquait; les exigences des Girondins croissaient en raison de la résistance qu'on leur opposait, et, pour comble de périls, le chef de l'État allait être privé des seules troupes préposées immédiatement à la défense de sa personne royale.

La nouvelle garde constitutionnelle du roi avait été récemment formée et composée d'un tiers des troupes de la ligne et de deux tiers de citoyens choisis dans les gardes nationales. Cette composition ne devait point inquiéter l'assemblée. Mais des dissentiments ne tardèrent pas à éclater entre les soldats choisis dans la ligne et ceux qui avaient fait partie de la garde nationale; l'effectif de cette garde royale avait même été porté plus haut que la constitution ne l'avait prescrit, ce qui occa

(1) Et, comme nous l'avons déjà fait observer à notre lecteur, une fois le décret sur le serment des ecclésiastiques sanctionné, la force des événements devait faire passer de conséquence en conséquence aux plus grandes rigueurs. La faute capitale, dans cette question politique ou sociale, doit ètre rapportée à la sanction que Louis XVI accorda à ce premier décret que le côté gauche de l'assemblée lui arracha. La postérité impartiale prononcera sur qui doit peser toute la responsabilité des maux qui vont résulter de ces deux décrets de l'assemblée, le premier déjà sanctionné, le second auquel le roi refusait la sanction.

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