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rent une dénonciation au comité de recherches de l'hôtel de ville contre Favras, et le comité le fit arrêter sur-lechamp, ainsi que sa femme. Le lendemain un imprimé fut répandu dans Paris, annonçant l'arrestation du marquis de Favras, et on y avait ajouté les paroles suivantes : « Le plan était de faire soulever trente mille hommes pour « faire assassiner M. de la Fayette et M. le maire, et en<< suite nous couper les vivres. Monsieur, frère du roi, « était à la tête du complot. » La position du prince était critique. Favras, pour se sauver, pouvait tout révéler : l'opinion universelle serait qu'on n'avait pu agir à l'insu du roi; de terribles conséquences étaient à redouter. On conseilla à Monsieur de se présenter de suite à l'hôtel de ville pour déclarer qu'il était totalement étranger à l'accusation dirigée contre Favras dans toute cette affaire; que depuis 1775, année où Favras avait donné sa démission de lieutenant de ses gardes, il n'avait eu aucune communication avec lui, qu'il ne lui avait point écrit, et que ce qu'il avait pu faire lui était totalement étranger.

Un mémoire justificatif, que le prince envoya en même temps à l'assemblée nationale, auquel il annexa l'état sommaire de ses dettes, qu'il se proposait, disait-il, de payer avec les deux millions qu'il avait empruntés chez les banquiers de Paris, acheva d'effacer les soupçons qui s'étaient élevés contre lui, et qui, dès lors, se réunissaient tous contre l'ancien lieutenant de ses gardes. En spécifiant dans ce mémoire qu'il avait chargé son trésorier de suivre l'affaire de l'emprunt, le prince éluda aussi l'aveu qu'il eût eu jamais quelques rapports avec Favras relatifs à cette négociation, et celui-ci fut transféré incontinent dans les

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prisons du Châtelet. Les circonstances ne lui étaient point favorables. Besenval et le fermier général Augeard venaient d'être acquittés d'une accusation toute semblable. Des gens inconnus ne cessaient d'exciter la multitude contre ces actes d'indulgence : « Il faut maintenant, disaientils, une victime au peuple ! » et par ces vociférations la plèbe demandait à grands cris la tête de Favras. Ce ramas de forcenés assiégeait sans cesse les portes du Châtelet; des hurlements atroces s'élevaient du milieu de ces tourbes. La Fayette eut bien de la peine pour les dissiper; un particulier arrêté fut fort étonné de cette rigueur et il s'en plaignit «< Ne suis-je pas un bon citoyen? dit-il, c'est « moi qui ai coupé la tête à Foulon et à Launay, et leur «< ai arraché le cœur!»>

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L'ancien lieutenant des gardes du comte de Provence avait entre les mains des preuves patentes des projets concertés avec Monsieur pour l'évasion du roi, et de tout ce qui devait s'ensuivre. Un entretien confidentiel eut lieu entre lui et Talon, lieutenant du Châtelet. Favras lui lut le plan projeté. La lecture achevée, Talon dit à l'inculpé : « Vous êtes pieux, M. de Favras, acceptez la palme du martyre; les cieux vous seront ouverts. La terre... sera légère pour vos enfants. Monsieur devra la vie à votre «< silence; la famille royale, son repos. » Favras finit par céder, remit à Talon le mémoire où se trouvait spécifiée toute cette malheureuse affaire, et engagea sa parole de ne point révéler le mystère. Les juges eurent peur des rugissements de la multitude qui encombrait les entours du palais, et condamnèrent Favras à la peine capitale. Il fut exécuté le lendemain, tout en invoquant, dans ce mo

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ment suprême, Dieu, témoin de son innocence. Des acclamations de la joie la plus féroce éclataient du milieu de ces tourbes satisfaites, toutes joyeuses de voir pendre un noble.

C'est ainsi que périt cet intrépide héros de fidélité envers ses souverains; les adversaires mêmes de Favras rendirent hommage à sa magnanime fermeté, à son généreux dévouement (1).

Pendant que l'affaire de Favras se poursuivait, qu'elle occupait Paris, Louis XVI était en proie à de mortelles angoisses. Il ignorait les plans que plusieurs personnages marquants méditaient pour asseoir l'État sur des bases plus solides, pour paralyser les trames des factieux, mesures que ces derniers faisaient considérer comme autant de plans de contre-révolution. Le roi voyait aussi avec douleur que tant de sacrifices auxquels il s'était déterminé ne produisaient qu'une suite de troubles et de calamités. Il avait été surtout vivement affecté de l'acharnement qui s'était manifesté dans le peuple contre l'infortuné Favras. D'ailleurs, il se sentait peu disposé à devoir le rétablisse

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On croit qu'après la Restauration madame de Caylus, fille de Talon, remit le susdit mémoire à Louis XVIII.

ment de l'ordre à la coalition des puissances de l'Europe, surtout à l'émigration armée, indépendamment même de . son horreur pour la guerre civile. La reine partageait ses sentiments à cet égard. On lui entendit souvent répéter dans ses réunions privées : « Si les émigrés réussissent, « ce parti, à son retour en France, voudra faire la loi, et « il sera impossible de lui rien refuser; c'est contracter « avec les royalistes de trop grandes obligations que de « leur devoir la couronne (1).

Tout pas rétrograde étant impossible dans la position où l'on se trouvait, Louis XVI résolut, sur l'avis même de ses conseillers, d'accepter franchement la situation que lui avaient faite les antécédents, et de s'associer d'une manière tout à fait directe aux travaux de l'assemblée; il crut même devoir se placer à la tête de la révolution pour en diriger et modérer la marche, si faire se pouvait.

Dans l'intime conviction que la démarche la plus simple, la plus franche, serait aussi la plus digne de la majesté du trône, Louis XVI résolut de se rendre (4 février 1790) sans pompe à l'assemblée, entouré seulement de ses ministres, n'ayant pour escorte que deux officiers de la garde nationale. L'assemblée, prévenue de l'arrivée du monarque, envoya au-devant de lui une députation de vingtquatre de ses membres; à son arrivée la salle retentit d'acclamations; les représentants étaient tous debout, le roi de même, bien que le président lui eût offert son fauteuil. Dans son discours, Louis XVI, après avoir retracé tout ce qu'il avait fait pour la liberté publique, pour le rétablis

(1) Madame Campan, t. II, p. 109.

sement des finances, et signalé les obstacles qu'il avait sans cesse rencontrés dans ces diverses améliorations, et les désordres qui affligeaient la France, annonça que le moment était arrivé où il importait à la chose publique qu'il s'associát d'une manière encore plus expresse à l'exécution de tout ce qui aurait été résolu entre lui et les représentants. « Il faut, dit-il, qu'un nouvel ordre de choses s'é<tablisse avec calme ou que le royaume soit exposé à « toutes les calamités de l'anarchie; que les vrais citoyens « y réfléchissent, et en fixant uniquement leur attention sur « le bien de l'État, ils verront que même avec des opinions « différentes, un intérêt éminent doit les réunir tous au

jourd'hui. » Ces paroles se rapportaient à quelques artieles constitutionnels que l'assemblée présenta à l'acceptation du roi. « Le temps, poursuit-il, réformera ce qui « pourra rester de déféctueux dans la collection des lois qui auront été l'ouvrage de cette assemblée; mais toute entreprise qui tendrait à ébranler les principes de la «< constitution, tout concert qui aurait pour but de les « renverser ou d'en affaiblir l'heureuse influence, ne ser<< virait qu'à introduire au milieu de nous les maux effrayants de la discorde..... Que partout on sache que << le monarque et les représentants de la nation sont unis « de même intérêt et d'un même vou; que cette opinion, « que cette ferme croyance, répandent dans les provinces « un esprit de paix et de bonne volonté... Un jour, j'aime << à le croire, tous les Français, tous indistinctement, re« connaîtront l'avantage de l'entière suppression des dif« férences d'ordres et d'états; lorsqu'il est question de << travailler en commun au bien public, à cette prospérité

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