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déclaration de la guerre; mais voyant la motion mal accueillie par les jacobins et les tribunes, un député de la Gironde demanda et obtint que la discussion s'ouvrît sur-lechamp.

Comme les constitutionnels avaient prévu que les ardents partisans de la guerre ne laisseraient point un libre cours à la discussion, ils convinrent qu'un seul de leurs orateurs se présenterait à la tribune. Becquey s'offrit pour soutenir dans cette lutte inégale, et par cela même d'autant plus honorable, la cause du bien public, le système pacifique. Cet orateur remplit sa tâche avec autant de courage que de talent. En rappelant les documents successivement produits par les deux ministres, de Lessart et Dumouriez, il rétablit dans toute leur vérité les faits qu'on avait dénaturés pour multiplier les obstacles au maintien de la paix. On essaya de l'arrêter, dans ce développement, par des motions d'ordre : le président lui maintint toutefois la parole; mais les interruptions devinrent plus fréquentes quand l'orateur examina les intérêts et la situation respective des puissances par rapport à la France; il fit voir les dangers et les calamités d'une guerre qui allait embraser l'Europe et causer la ruine des institutions encore mal affermies de la France. « Enfin, » dit-il en terminant, «< cette guerre qu'on vous propose est l'espérance << de tous les ennemis de la constitution; c'est après la « guerre qu'ils soupirent, et vous combleriez leurs vœux «< en attaquant l'Autriche. Les émigrés sont présentement « sans appui réel; ils vont en trouver un dans ceux que << nous voulons combattre. Les ennemis de l'intérieur appellent aussi la guerre à grands cris; en la décidant,

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«< vous répondrez à leur plus cher désir. Je demande que « l'assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la «< proposition du roi, que le pouvoir exécutif soit toujours chargé de défendre la nation contre toute hostilité, et qu'il continue toutes les négociations avec les différen<< tes puissances de l'Europe, contre tout concert attenta<< toire à l'indépendance nationale, et pour prévenir toute << rupture avec les autres nations.. » Durant ce discours de nombreux murmures s'élevèrent du côté gauche et des galeries, même des rappels à l'ordre.

Quelques girondins, dédaignant ou ne pouvant pas répliquer d'une manière péremptoire aux arguments si solides de Becquey, ne firent que répéter des déclamations rebattues déjà en faveur de cette prise d'armes contre l'Autriche. Des cris: Aux voix! la guerre! la guerre! fermez la discussion! éclataient sur les bancs de la gauche et dans les tribunes. Au milieu de ce tumulte, les uns demandaient la question préalable, d'autres le renvoi au comité diplomatique. Brissot et Guadet appuyèrent cette dernière proposition, à condition que le rapport serait fait et présenté à l'assemblée séance tenante. La discussion fermée, la proposition du roi fut envoyée au comité diplomatique, avec injonction de présenter la rédaction du décret dans le plus court délai possible. — Dans cet intervalle, Condorcet prononça un discours qui n'était, pour le fond, qu'une paraphrase de celui qu'il avait déjà débité dans la séance du 18 janvier en faveur de la guerre. Il n'avait, au fait, d'autre but que d'occuper le public, de lui offrir une sorte d'intermède dans le grand drame qui se déroulait présentement en face de nombreux specta

teurs garnissant les tribunes, et dans l'attente du projet de décret dont le comité s'occupait présentement.

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Enfin, Gensonné rentre et présente, au nom du comité, le projet du décret touchant la proposition du roi : « L'as« semblée nationale, considérant que la cour de Vienne, «< au mépris des traités, n'a cessé d'accorder une protec« tion ouverte aux Français rebelles; qu'elle a provoqué « à faire un concert avec plusieurs puissances de l'Eu<< rope contre l'indépendance de la nation française; que François II, roi de Hongrie et de Bohême, par ses notes « des 18 mars et 7 avril derniers, a refusé de renoncer « à ce concert; que, malgré la proposition qui lui a été << faite par la note du 11 mars 1792, de réduire, de part « et d'autre, à l'état de paix, les troupes sur les fron<«< tières, il a continué et augmenté les préparatifs hos<< tiles; qu'il a formellement attenté à la souveraineté de la <«< nation française, en déclarant vouloir soutenir les préa tentions des princes allemands possessionnés en France; « qu'il a cherché à diviser les citoyens français, à les ar<< mer les uns contre les autres, en offrant aux mécontents « un appui dans le concert des puissances; considérant << enfin que le refus de répondre aux dernières dépêches « du roi des Français ne laisse plus d'espoir d'obtenir « par une négociation amicale le redressement de ces dif« férents griefs, et qu'il équivaut à une déclaration de « guerre; décrète qu'il y a urgence. » — Second décret. « L'assemblée nationale déclare que la nation française, « fidèle aux principes consacrés par sa constitution, de << n'entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des «< conquêtes, et de n'employer jamais ses forces contre la

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<«< liberté d'aucun peuple, ne prend les armes que pour la « défense de sa liberté et de son indépendance; que la « guerre qu'elle est obligée de soutenir n'est point une << guerre de nation à nation, mais la juste défense d'un peuple libre contre l'injuste agression d'un roi; que les Français ne confondront jamais leurs frères avec leurs « véritables ennemis; qu'ils ne négligeront rien pour adou« cir le fléau de la guerre, pour ménager et conserver les propriétés, et pour faire retomber sur ceux-là seuls qui « se ligueront contre sa liberté tous les malheurs insépa«rables de la guerre; qu'elle adopte d'avance tous les « étrangers qui, abjurant la cause de ses ennemis, « viendront se ranger sous ses drapeaux et consacrer « leurs efforts à la défense de la liberté ; qu'elle favorisera a par tous les moyens qui sont en son pouvoir leur éta<< blissement en France; délibérant sur la proposition for« melle du roi, et après avoir décrété l'urgence, dé« crète la guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie. »>

Le décret fut adopté à la presque unanimité, aux acclamations frénétiques des tribunes. Il fut présenté à Louis XVI le même jour, à onze heures du soir, par une députation de vingt-quatre membres, et sanctionné le lendemain (1).

C'en était fait de la paix pour de longues années; les épées allaient sortir des fourreaux, et la Révolution, telle qu'elle se déroulait au moment présent, allait tracer à main armée un long sillon ensanglanté dans le monde.

(1) Moniteur.

Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 120-126.

L'œuvre était terminée, accomplie la Gironde triomphait. Elle avait fait déclarer la guerre, nommer ses amis, ses adhérents, aux différents ministères; elle avait dicté la plupart des résolutions dans le conseil du roi. L'éloquence chaleureuse, entraînante des coryphées de ce parti faisait prévaloir la plupart de ses propositions. Elle se flattait de pouvoir, au moyen de la faveur publique, qu'elle se croyait acquise à jamais, modifier selon ses idées la forme du gouvernement, diriger seule le vaisseau de l'État, et enrayer le char de la Révolution, juste au point où elle aurait consolidé son pouvoir. Cependant cette brillante Gironde, qui paraissait dominer tous les autres pouvoirs à cette époque, n'avait réellement aucune idée d'avenir arrêtée. Elle vivait au jour le jour dans cette atmosphère d'encens populaire, et paraissait s'en contenter; au fait elle était totalement dépourvue de véritables hommes d'État. Ses orateurs croiront quelque temps encore diriger le mouvement, quand eux-mêmes seront emportés par le flot. Ils vont s'apercevoir bientôt qu'ils n'étaient en définitive que les instruments dociles, les sentinelles avancées d'un parti tout autrement puissant dans la voie de tous les nivellements, de tous les déblayements de ce qui restait encore d'anciennes institutions, que la Constituante avait laissées pour la forme. Ce parti était celui de la Montagne, des plus effrénés jacobins.... Ceux-ci avaient

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