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les communications diplomatiques du ministre des relations extérieures avec le cabinet de Vienne. L'espèce de rapport de Brissot n'était au fait qu'un virulent réquisitoire. Dans un long commentaire des pièces officielles, tissé avec autant de subtilité que de perfidie, Brissot, détournant le sens propre des motifs et des expressions, avait fabriqué un système de complots et de déceptions, comme arrêtés d'avance entre les deux cabinets. Il présentait ses suppositions odieuses comme autant de faits accomplis, et n'en apportait d'autres preuves que de simples conjectures; il reprochait surtout au ministre d'avoir dirigé la négociation avec l'Empereur de manière à se réserver quelques chances pour le maintien de la paix (délit irrémissible aux yeux de la Gironde), et de n'avoir pas soutenu les intérêts de la nation avec l'énergie dont les députés de la gauche lui donnaient l'exemple: il taxait tout cela de crime de haute trahison (1).

Les orateurs qui prirent la parole après Brissot s'adressèrent plus directement encore aux passions de la gauche de l'assemblée. Le tumulte allait croissant : « Tandis que « nous délibérons,» s'écria enfin Isnard, « le ministre «< fuit peut-être. » Le même député, quelques jours auparavant, avait dit en parlant de la responsabilité des ministres « Cette responsabilité, c'est la mort. » Au sein de cette agitation, Guadet frappa d'étonnement l'assemblée, en demandant la parole pour parler, disait-il, en faveur du ministre ; voici l'atroce ironie qu'il jeta du haut de la tribune « C'est pour l'honneur, dit-il, dans l'intérêt

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(1) Moniteur, t. XI, p. 597-604. Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 99-100.

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«< même de M. de Lessart, que je demande contre lui un « décret d'accusation; il n'a que ce seul moyen de faire « éclater son innocence. » Vergniaud lui succède et paraît d'abord vouloir se renfermer dans l'impartialité d'un juré; mais le moment d'après la passion du tribun l'emporte; des paroles, des expressions atroces lui échappent : « De cette tribune, dit-il, où je vous parle, on aperçoit le palais où l'on trame la contre-révolution. L'épouvante « et la terreur sont souvent sorties de ce palais fameux, « dans des temps antiques et au nom du despotisme (1); « qu'elles y rentrent aujourd'hui au nom de la loi ; que << tous ceux qui l'habitent sachent que notre constitution « n'accorde l'inviolabilité qu'au roi; qu'ils sachent que « la loi y atteindra tous les autres coupables. » Vergniaud descend de la tribune au milieu d'un tonnerre d'applaudissements du côté gauche et des tribunes. L'assemblée rend à une très-grande majorité le déeret d'accusation contre de Lessart. (Nouveaux applaudissements) (2).

Quelques amis du ministre arrivent en toute hâte chez lui, pour lui annoncer ce qui vient de se passer à l'assemblée, et le conjurent de se dérober par la fuite à l'effet du décret d'accusation. « Gardez-vous de compter, lui di

sent-ils, sur la protection des lois; votre perte est réso«<lue et certaine. » Non, répondit-il, je dois à mon « pays, au roi et à moi-même, de faire éclater au tribunal << de la haute cour l'innocence et la régularité de ma con« duite. » Quelques jours après on le fit partir póur Or

(1) L'orateur faisait ici le rapprochement du temps présent au règne de Charles IX.

(2) Moniteur, t. XI, p. 607.

léans. Quant aux girondins, ils regardèrent le décret d'accusation porté contre de Lessart comme un triomphe si complet, que Brissot prit avec orgueil le titre de l'homme du 10 mars, jour où ce décret fut rendu (1). Deux autres ministres, effrayés de cette sévérité, s'empressèrent de donner leur démission. Le monarque dut songer à former un nouveau ministère.

Louis XVI, la reine, tous leurs entours, étaient en proie à de vives anxiétés; la plupart des personnages qui composaient leurs conseils quittèrent tout à fait la cour. L'exemple de l'Angleterre, où le roi trouve souvent à propos de choisir ses ministres parmi les membres de l'opposition parlementaire, fut présenté à Louis XVI comme règle de conduite pour le roi des Français, dans les circonstances où il se voyait. Il n'était plus temps de fronder la toute-puissante Gironde, disait-on; il fallait que le roi, pour se concilier la faveur de ses fougueux orateurs, donnât une large part dans les affaires à leurs amis, à leurs partisans. Le roi céda, comme de coutume; on lui donna, pour remplacer les anciens ministres, Dumouriez pour le département des relations extérieures, Servan pour celui de la guerre; le ministère de l'inté rieur échut à Roland; les deux ministères restants furent donnés à Clavière et à Duranton; ils étaient, à chose près, dévoués à la Gironde.

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Dumouriez n'était au fait qu'un brillant aventurier. L'extrême mobilité de son caractère, de ses idées, lui faisait prendre des allures différentes, selon la situation où il

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se voyait. Il lui fallait à tout prix percer la foule et se faire une position dans le monde politique. Assez indifférent au fond à l'égard des opinions qui divisaient les partis, il s'abandonnait à celle qui, de prime abord, lui offrait le plus de chances de succès. Pour le moment il semblait dévoué aux girondins, sans aimer au fond ni eux ni leurs doctrines. En somme, la légèreté de son caractère dérobait aux plus clairvoyants la haute position où les circonstances extraordinaires allaient le porter. Avec de véritables talents, il était destiné à ne remplir, dans le drame politique, que des rôles à peu près secondaires, bien que la fortune lui eût souvent offert les premiers. Il n'avait jamais eu ni la dignité d'une conviction profonde, ni la fierté d'un caractère fortement prononcé ; il ne pouvait réellement commander que des soldats.

Roland, naguère encore simple inspecteur des manufactures dans la généralité de Lyon, joignait à quelques connaissances en administration un caractère plutôt opiniâtre que ferme; il affectait l'austérité, il semblait blessé du peu d'étiquette qu'il voyait encore à la cour (1). Il portait dans les conseils du roi l'humeur chagrine d'un censeur morose. Il eût cru trahir la sévérité de ses principes et de son caractère en montrant quelque affection à Louis XVI. Cet homme, d'un caractère inflexible, était sous l'ascendant complet de sa femme. Son rôle politique aurait été nul, sans cette compagne de ses jours; elle seule

(1) Cette âme républicaine n'avait pas été toujours insensible aux distinctions des rangs. Madame Roland rapporte dans ses Mémoires qu'en 1784, Roland avait fait présenter au roi ses titres pour obtenir des lettres de reconnaisance de sa noblesse.

avait conduit dans la carrière de l'ambition un homme

qui n'était né que pour exercer avec probité et quelque intelligence des emplois subalternes,

Les voies diplomatiques n'amenant aucun résultat qui pût faire espérer un arrangement amiable, Léopold et Frédéric-Guillaume résolurent de déployer à tout événement une force armée imposante le long du Rhin. Mais un événement inattendu, d'une très-haute portée dans la situation politique où l'on se voyait, devait traverser, ou du moins arrêter pour quelque temps ces immenses préparatifs de guerre : ce fut la mort subite de Léopold dans la force de son âge, arrivée le 1er mars. Cette catastrophe parut inexplicable, même aux hommes de l'art; l'autopsie du corps de l'empereur défunt eut lieu le lendemain; des bruits d'empoisonnement se répandirent, s'accréditèrent même, sans que l'histoire de ces temps les ait depuis confirmés, ni victorieusement réfutés. Quelques-uns n'hésitèrent pas à attribuer cette mort au poison; mais à qui fallait-il imputer ce crime? Telles étaient alors les animosités des partis, que les royalistes français

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