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<< de la populace de Paris, sans plus dissimuler leurs préparatifs hostiles (1). »

Ces articles du Journal de Paris ne restèrent cependant pas sans influence: bientôt les sociétés populaires devinrent l'objet de débats très-animés à l'assemblée. Ce fut une députation de la commune de Marseille qui y donna lieu. L'orateur ne rougit point de dénoncer le maire d'Arles, son propre frère, accusé de connivences avec les contre-révolutionnaires (dénonciation qu'une partie de l'assemblée applaudit) (2). La chaleur avec laquelle les futurs républicains l'appuyèrent donna à entendre qu'elle avait été préparée et concertée avec une de ces sociétés populaires.

Dans cette discussion brûlante, Vaublanc se fit remarquer parmi les orateurs les plus véhéments. «Le plus grand malheur, » dit-il, « qui puisse menacer la chose publique, « c'est le défaut d'unité dans l'administration de l'État, <«< et nous ne l'aurons pas, tant que des sociétés populaires << entraveront sans cesse la marche du gouvernement; et << sans un gouvernement fortement constitué, une société « de 25 millions d'hommes peut-elle subsister? »

Des débats violents s'élevèrent sur cette question vitale, sans amener toutefois aucune décision.

Le jour suivant, la même question reparut, et donna lieu à des débats beaucoup plus animés : le centre plia, abandonna les constitutionnels, et l'assemblée passa à l'ordre du jour, aux applaudissements frénétiques des tribuAinsi furent perdues sans retour et l'espérance et

nes.

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(1) Vivien, Histoire de la révolution, t. I, p. 324.

(2) Moniteur, t. XI, p. 428.

l'occasion d'arrêter les progrès effrayants des sociétés populaires et de soutenir le gouvernement sur le penchant de sa ruine. Les députés du centre, qui se qualifiaient d'indépendants, en se ralliant aux constitutionnels, auraient pu modifier au moins la marche désordonnée de l'assemblée. Ils se laissèrent imposer par le côté gauche, et l'impartiale postérité pourra à bon droit les rendre responsables des maux que leur faiblesse, pour nous servir d'un terme moyen, fit surgir par la suite.

Cependant le traité définitif d'alliance et de concert entre l'Autriche et la Prusse venait d'être signé. -- Vienne et Berlin faisaient toujours considérer aux princes de la confédération l'invasion de la Révolution comme devant menacer l'ordre public et l'indépendance de l'Allemagne ; mais la plupart de ces petits souverains ne voulaient voir dans la Révolution qu'un danger éloigné, chimérique même. Les seuls princes ecclésiastiques, redoutant la perte de leurs possessions, désiraient la guerre comme l'unique chance qui pouvait encore maintenir pour eux le statu quo. L'électeur de Mayence dit à cette occasion au géné

ral Bouillé : « Vous êtes bien heureux que les Français << soient les agresseurs, car sans cela la guerre n'aurait « pas lieu. » Il n'ignorait pas que la guerre ne fût l'objet constant des vœux de toute l'émigration (1).

A peine le traité de l'Autriche avec la Prusse eut-il été signé, que le prince de Kaunitz adressa, le 17 février, au chargé d'affaires de l'Empereur à Paris sa réponse aux explications demandées par le ministre de Lessart dans sa note du 21 janvier. Il y récapitule les motifs qui ont porté les souverains à publier la déclaration de Pilnitz et à conclure une alliance définitive entre les cours de Vienne et de Berlin. Cette récapitulation de griefs donna lieu au ministre de l'Empereur de faire un tableau hideux, mais trop véritable, de l'anarchie qui dévorait la France, qui sapait même les fondements de la constitution jurée par les députés de toute la nation, et qui menaçait le trône de Louis XVI. Dans cette pièce soi-disant diplomatique, le ministre de l'Empereur anathématisait les sociétés populaires, s'adressait à la partie saine de la nation, et ne voulait voir de garantie pour une paix durable que dans la destruction du parti jacobin. En fallaitil autant pour exciter la colère, la rage de cette fraction redoutable de l'assemblée, et la joie secrète de tous les partisans de la guerre? Ceux-ci ne pouvaient pas douter que cette sortie intempestive du ministre de l'Empereur contre le régime intérieur du pays ne blessât profondément tous les Français, quelles que fussent leurs opinions respectives. —- La prudence consommée du prince de

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(1) Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 220.

rer que

Kaunitz se trouva ici en défaut. Comment pouvait-il ignoles corps politiques sont, par la nature même de leur composition, beaucoup plus susceptibles que monarques et cabinets dans leurs relations diplomatiques? La fierté nationale se sentit justement choquée de cette prétention d'un cabinet étranger à vouloir intervenir dans le régime intérieur du pays; ceux-là même qui partageaient complétement l'opinion exprimée dans l'office du cabinet de Vienne, au sujet des jacobins, sentirent le rouge leur monter au front.

Immédiatement après, le ministre des relations extérieures rendit compte à l'assemblée de l'ordre envoyé à l'ambassadeur de France à Vienne, de déclarer à l'Empereur que le roi ne pensait pas qu'il convînt à la dignité, ni à l'indépendance de la nation, d'entrer en discussion sur des objets qui ne regardaient que la situation intérieure du royaume. Et quant aux autres articles de l'office du prince de Kaunitz, le roi demande de faire cesser tout concert des puissances contre la France; il offre à l'Empereur, ou plutôt il lui renouvelle l'assurance de l'union et de la paix; il réclame en retour, du chef de l'Empire, l'assurance des mêmes intentions; mais cette assurance doit être prompte, franche et catégorique, comme garantie de la fidélité à tenir ces engagements réciproques. Le roi promet, qu'aussitôt que l'Empereur aura fait cesser tous ces préparatifs de guerre dans ses États, et remis ses troupes disséminées le long de la frontière sur le pied où elles étaient en février 1791, Sa Majesté fera également cesser tous ses préparatifs hostiles, et réduira les troupes françaises, dans les dépar

tements frontières, à l'état ordinaire de garnisons (1).

Comme l'anarchie était dans l'assemblée et dans la plupart des pouvoirs constitués, de même un défaut total d'union avait pénétré dans les conseils du roi. Bertrand de Moleville censurait la courtoisie du ministre de la guerre auprès des représentants, et Narbonne condamnait ouvertement, dans le ministre de la marine, des dispositions peu favorables à l'état présent des choses. Cahier de Gerville s'efforça longtemps de tenir la balance entre eux. La Gironde prêtait appui à Narbonne, et attaquait ses collègues, notamment de Lessart. Il semblait qu'on voulût effrayer le roi de la popularité et de l'ambition du ministre de la guerre. On inséra dans quelques journaux une lettre écrite à Narbonne par les trois généraux commandant l'armée de l'Est, où ils lui exprimaient leur crainte sur sa disgrâce présumée et prochaine. Louis XVI, irrité de cette publication, où il croyait entrevoir quelque dessein caché, destitua Narbonne. Cependant, pour amortir l'effet de cette disgrâce, il fit annoncer le renvoi de Bertrand de Moleville (2). L'assemblée apprit ce changement dans le ministère le 10 mars. Un violent orage éclata. La proposition de déclarer que Narbonne emportait les regrets de la nation fut accueillie par la majorité. Mais cela ne suffisait point au parti dominant, et Guadet s'élança à la tribune pour inculper tout le ministère, qu'il accusa de perfidie, de tous les genres de complots. Cette sortie n'était qu'un préambule au rapport de Brissot sur

(1) Moniteur, t. XI, p. 522-28. Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 219-240. Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 89 et suiv. (2) Thiers, t. II, p. 43.

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