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quels elle permettait de servir en France, avait fait juger, par des officiers de sa nation, quarante et un des soldats du régiment de Châteauvieux, qui avaient fait partie de l'insurrection de la garnison de Nancy; ils avaient été condamnés aux galères pour trente ans, et envoyés à Brest. L'amnistie prononcée le 14 septembre, en faveur de tous les délits relatifs à la Révolution, ne pouvait être appliquée à ces soldats, qui n'étaient point d'origine française. Une partie de la première assemblée, bien qu'elle fût portée à une grande indulgence pour ces soldats, s'était bornée à prier le roi de négocier leur grâce auprès du corps helvétique. Les nouveaux législateurs trouvèrent ces ménagements puérils. « La nation française, » dit le rapporteur sur cette affaire, « n'est pas faite pour être geôlière de << toute l'Europe; le décret d'amnistie doit avoir son exé« cution dans tout le royaume; les soldats de Château« vieux ont été mal jugés : ils ont été les victimes du traí« tre, du féroce Bouillé (1); la France, la constitution, la <«< liberté étaient leur idole; leur courage héroïque a servi « la révolution dès son berceau, voilà leur crime. » Il fut décrété, en conséquence, que les quarante et un soldats de Châteauvieux étaient compris dans l'amnistie du 14 septembre, et qu'ils seraient mis en liberté.

L'assemblée, non contente d'avoir aboli l'usage antique d'offrir au monarque, au renouvellement de l'année, l'hommage de ses voeux, semblait choisir précisément le 1er janvier 1792 pour décréter d'accusation les princes frères du roi, le prince de Condé, et quelques autres roya

(1) Cette assemblée pouvait elle ignorer que la constituante avait comblé d'éloges la conduite de Bouillé lors des événements de Nancy?

listes marquants qui s'étaient transportés au delà du Rhin. « La nation, » dit le rapporteur sur cette affaire, « atten« dait ce décret pour ses étrennes, » et l'assemblée en témoigna sa satisfaction par les applaudissements les plus éclatants. Quinze jours après l'assemblée déclara que Monsieur était censé avoir abdiqué son droit éventuel à la couronne (1).

Dans cet intervalle, Bailly ayant donné sa démission, on procéda à l'élection du nouveau maire de Paris. Sur environ 97,000 citoyens actifs de la capitale, il ne se présenta que 10,632 votants pour le choix de ce fonctionnaire. On avait proposé plusieurs candidats, entre autres Pétion : la cour faisait des voeux en faveur de ce dernier, bien que la famille royale n'eût pas lieu de se louer de ses procédés envers elle durant le voyage de Varennes; mais, tout jacobin qu'il était, on le croyait au fond bonhomme. Au fait, on n'a jamais su les véritables motifs de cette préférence, et Pétion l'emporta de quelques milliers de votes sur la Fayette; mais ce qui parut beaucoup plus étonnant, c'est que Robespierre n'en obtint que 158 (2).

Cependant la question de la guerre était toujours le principal sujet des discussions de l'assemblée. Le 13 janvier Gensonné présenta à l'assemblée, au nom du comité diplomatique, son rapport sur les derniers offices de l'Empereur. Il soutint que la France, depuis le traité de 1756, avait toujours sacrifié ses intérêts à l'Autriche ; que ce traité avait été violé par la déclaration de Pilnitz et les

(1) Moniteur, t. XI, p. 133.

(2) Bertrand de Moleville, t. VI, p. 232. · Buchez, Assemblée législative, t. I, p. 248.

suivantes; que, quoique des ordres eussent été donnés pour la dispersion des royalistes armés, ces ordres n'avaient pas été exécutés; qu'en conséquence, il fallait demander une dernière explication à l'Empereur, et qu'à défaut d'une réponse satisfaisante avant le 10 février prochain, son refus serait considéré comme une rupture du traité de 1756 et comme un acte d'hostilité à l'égard de la France; que le roi serait, dès lors, invité à donner des ordres pour continuer et accélérer les préparatifs de la guerre. Toutes ces propositions du rapporteur furent de suite converties en décrets, aux applaudissements réitérés de l'assemblée et des tribunes.

Les bravos retentissaient encore, quand Guadet, qui présidait ce jour-là l'assemblée, quitte son fauteuil, s'élance à la tribune, et exhale d'abord toute son indignation contre le plan présumé d'un congrès proposé par l'Empereur, dont l'objet serait d'obtenir quelques modifications à la constitution française. « S'il est vrai, » dit-il, « que quelques-uns des agents du pouvoir exécutif secon<< dent cet abominable complot; s'il est vrai qu'on veut « nous amener à accepter cette honteuse médiation, l'as<< semblée nationale pourrait-elle fermer les yeux sur un «tel danger? » Et de suite il propose de décréter que la nation française regardera comme infâme, traître à la patrie, coupable du crime de lèse-nation, tout agent du pouvoir exécutif, tout Français (plusieurs voix de la gauche : tout législateur!) qui prendrait part à un congrès dont l'objet serait d'obtenir une modification à la constitution, par quelque voie que ce fût, et que cette déclaration sera à l'instant portée au roi, avec invitation d'en donner con

naissance à tous les princes de l'Europe. Tous les députés se lèvent spontanément; tous expriment, par des acclamations réitérées, l'adhésion la plus complète au projet de la déclaration de Guadet. L'enthousiasme se communique aux tribunes, et, au milieu des plus vifs applaudissements on entend des cris : « Oui, oui, la constitution ou la « mort! » L'assemblée adopte à l'unanimité la proposition de Guadet (1).

Le lendemain les deux ministres plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse expédièrent à leurs cours respectives des dépêches contenant le compte rendu de la séance de la veille. Ces deux pièces firent dans les deux cours, et surtout dans le conseil de l'Empereur, une sensation profonde. On ne pouvait plus douter que le parti dominant, la Gironde, voulant la guerre, on ne cherchât le premier prétexte venu pour la faire déclarer. Il paraissait tout aussi évident pour les cabinets que le parti constitutionnel, regardé par Léopold comme le dernier asile de la royauté, perdait toute son influence. L'Empereur dit alors en plein conseil : « Les Français veulent la guerre, ils l'auront ; et <«< ils verront que Léopold le Pacifique sait faire la guerre « quand il le faut. »

Vers le même temps, l'envoyé de France près de l'électeur de Trèves mandait au ministre des relations extérieures que ce prince, effrayé de l'insistance du cabinet français, avait donné de nouveaux ordres pour la dispersion des rassemblements de royalistes, et. qu'elle était aussi réelle et aussi complète qu'on pouvait le désirer. Dans

(1) Cependant, selon la lettre de la constitution qu'on invoquait sans cesse, toute proposition touchant la guerre émanait de l'autorité royale.

l'état d'effervescence où se trouvait alors la majorité de l'assemblée, de pareils avis, communiqués aux représentants par de Lessart, furent froidement accueillis. Cela se conçoit; l'humeur martiale s'était emparée du plus grand nombre. Le jour suivant, le ministre adressa au corps législatif de vives représentations de la part et par ordre du roi, pour que les députés se tinssent en garde contre toute détermination qui ne serait pas dictée par la justice et la prudence.

Ces représentations produisirent tout aussi peu d'effet que le compte rendu des dépêches du ministre de France près l'électeur de Trèves. La raison en était toute simple, très-naturelle. Le parti dominant était la Gironde; et elle voulait à tout prix la guerre comme devant consolider la Révolution, dont eux, les girondins, se donnaient pour les plus fermes appuis, et ils frémissaient à l'idée seule d'un arrangement amiable quelconque avec le chef de l'Empire; ils y voyaient leurs vues d'avenir totalement compromises.

Brissot monte le premier à la tribune, et fait prévaloir, dans un très-long discours, une politique diamétralement opposée à celle que le ministre avait présentée au nom du roi. « Le masque est enfin tombé, » dit-il; dit-il; « votre en« nemi véritable est connu : c'est l'Empereur (1). » Nous n'essayerons pas d'analyser ce discours, où la mauvaise foi rivalise avec les doctrines de la démocratie la plus extrême. Il était évident que l'Empereur ne voulait pas de guerre, qu'il s'attachait à prévenir toute agression de la part de la France. Effectivement, le cabinet autrichien, pour le mo

(1) On trouve le discours de Brissot, ainsi que tous ceux qui ont été prononcés en cette occasion, dans le Moniteur, t. XI, p. 147 et suivantes.

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