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nitive de cette négociation, et le message du roi à l'assemblée leur parut également une mesure intempestive. Quand la reine parut le soir à l'Opéra, elle fut reçue par de nombreux applaudissements. Marie-Antoinette revint, tout émue, dire à son époux qu'on l'avait accueillie comme par le passé; mais ce fut la dernière fois. Le démocratisme allait bientôt étouffer le reste de ces sentiments, dans une nation si facile à recevoir les impressions les plus contraires.

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La guerre sembla devenir pour la Révolution une question vitale dans toute l'étendue de ce mot. « Nos ennemis « les plus acharnés s'étant tous portés au dehors, saient les plus exaltés, « c'était là qu'il fallait les chercher << et les vaincre. » Cette question s'agitait aussi aux Jacobins, comme tant d'autres, et c'était de cette société que déjà allaient dépendre les destinées futures de la France. « La guerre, et tout ce qu'elle devait entraîner après elle, « va donner, » disait-on, « une plus forte agitation aux peuples, et offrir aux ambitions privées de nouvelles «< chances de fortune. » La plupart des jacobins pensaient si, par quelques fausses mesures du pouvoir exécutif, les armées éprouvaient quelque échec passager, il leur serait plus facile de déposer le chef de l'État et de se constituer en république. Cependant Robespierre ne voulait pas de guerre; ce coryphée des jacobins, si hardi à la tribune, n'était rien moins qu'homme d'action; on l'a toujours vu couard dans toutes les occasions où il lui aurait fallu payer de sa personne. Cet homme suait l'ambition, l'orgueil le dévorait; il aurait souhaité dominer partout; il aurait voulu enfin que les destinées de l'État fussent sans cesse

que

entre ses mains, et il ne se sentait aucune aptitude pour le métier des armes. Il craignait aussi les chances toujours incertaines de la guerre, et redoutait, par-dessus tout, la dictature militaire dans les mains de la Fayette, qui possédait l'amour des troupes. On le voyait sans cesse, dans les discussions, combattre avec acharnement en faveur de la paix. « La guerre,» disait-il sans cesse, « étant dans les « vœux des royalistes et des monarques de l'Europe, il fal<< lait à tout prix l'éviter (1). »

Brissot, alors à la tête du parti girondin, qui allait devenir une puissance, se fit remarquer parmi les plus ardents partisans de la guerre. « Le roi seul, » dit-il entre autres, « a le droit, selon la constitution, de diriger les « armées; mais le roi n'est que le bras de l'empire dont « nous sommes la téte, et c'est à la tête à diriger le bras. » (On ne pouvait pas plus distinctement formuler la suprématie du peuple souverain, mieux démontrer à quelle nullité du pouvoir on voulait réduire l'autorité royale.) Il poursuit en ces termes : « Il se forme une sainte coalition << entre les peuples pour conjurer celle des tyrans.... La ligne de démarcation est déjà tracée entre les sociétés et « les gouvernants. Il n'est aucun peuple qui ne commence a à reconnaître ses droits..... S'il se trouve des princes

étrangers qui veulent nous faire la guerre, il faut les pré« venir..... La guerre est nécessaire; la France doit l'en« treprendre; c'est elle qui maintiendra la révolution; et « la seule calamité que nous aurions à redouter, c'est de << n'avoir pas de guerre.... La politique d'un grand peuple

(1) Buchez, Assemblée législative, t. 1, p. 323.

<< ne doit point descendre à de petites considérations diplomatiques; sa politique est franche. La souveraineté « des peuples n'est pas liée par des traités entre les tyrans.»> Cependant l'orateur crut devoir invoquer les traités de 1756, conclus entre le chef de l'Empire et la France, par lesquels les parties contractantes « se garantissaient réci« proquement leurs possessions, en s'assurant, en cas que « l'une ou l'autre d'entre elles vint à être attaquée, un « secours de vingt-quatre mille hommes (1). » Il conclut « que le roi réclamerait auprès de l'Empereur l'exécution « du traité de 1756, et interposerait non-seulement ses << bons offices, mais la force armée auprès des princes de l'Empire, pour empêcher tout rassemblement d'émigrés, etc. » Le côté gauche et les tribunes prodiguèrent des applaudissements à Brissot.

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«

Hérault de Séchelles parla dans le même sens que le préopinant, et poursuivit en ces termes : « La réponse que << le roi vous a faite peut être regardée comme une notifi« cation ; mais pour ne pas laisser de doute dans les cons«ciences scrupuleuses, je demande que le roi soit prié de « faire la notification dans les formes constitutionnelles... « C'est chez vous qu'il faut faire la guerre aux rebelles, << avant de la porter au dehors; elle légitimera les décrets « d'accusation et de séquestre que vous avez ajournés. « Toutes les mesures que vous prendrez pour le salut de l'État seront justes. Le moment est venu de jeter un voile

«

« sur la statue de la liberté. »

(1) Flassan, Histoire de la diplomatie française, t. V, p. 222.

On trouve ce traité dans l'Encyclopédie méthodique, partie Economic politique, Diplomatie, t. IV, p. 500.

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Condorcet parla dans le même sens : « La nation française, » dit-il, «< renonce à entreprendre aucune guerre « dans la vue de faire des conquêtes, et n'emploiera ja<< mais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. Tel est « le texte de la constitution, tel est le vœu sacré par lequel <«<< nous avons lié notre bonheur au bonheur de tous les peuples, et nous y serons fidèles... La nation française, « fière d'avoir reconquis les droits de la nature, ne les ou«< tragera pas dans les autres hommes; jalouse de son indépendance, elle ne portera point atteinte à l'indépen<< dance des autres nations. Ses soldats se conduiront sur « un territoire étranger comme ils se conduiraient sur un <«< territoire français s'ils étaient forcés d'y combattre; les <«< maux involontaires que ses troupes auront fait éprouver << aux citoyens seront réparés... Elle saura montrer à l'Eu« rope le spectacle d'une nation vraiment libre, fidèle aux règles de la justice, et respectant partout, en tout temps, « à l'égard de tous les hommes, les droits qui sont les mê« mes pour tous. Lorsque, en demandant aux nations de « respecter son repos, elle a pris l'engagement éternel de <«< ne jamais troubler le leur... elle sera juste envers ceux «< même qui ne l'ont pas été pour elle; partout elle respec<«< tera la paix comme la liberté. Victorieuse, elle ne cher<«< chera ni dédommagement ni vengeance, etc. »

Ce discours fut souvent interrompu par les applaudissements les plus vifs; l'assemblée, le public, semblaient sympathiser avec les opinions, les sentiments de l'orateur. La suite de ces Études nous apprendra la conduite des armées françaises et de leurs chefs lorsqu'ils auront à porter la guerre hors de France, et quelle fut la manière d'agir

du gouvernement français lui-même à l'égard de tous ces peuples, dont il proclamait la délivrance, la liberté.

Durant les discussions que la question de la guerrė avait soulevées, les membres du département de Paris se présentèrent à l'assemblée pour offrir leurs hommages et leurs vœux aux représentants à l'occasion du renouvellement de l'année; mais on refusa de les recevoir. La pétition qu'ils avaient présentée au roi, pour lui demander de refuser sa sanction au décret concernant les ecclésiastiques non assermentés, leur attira cette disgrâce. L'assemblée profita de la circonstance pour abroger, à l'unanimité, l'usage vicieux de félicitations au sujet du renouvellement de l'année (1); et il fut décidé que les hommages portés au roi dans ce jour solennel (1er janvier) ne le seraient plus à l'avenir.

Le même jour où les représentants proscrivaient ce cérémonial comme ne pouvant plus s'accorder avec le progrès des lumières et le sentiment d'égalité qui animait tous les esprits, une députation de l'assemblée, qui avait été envoyée au roi, se plaignit amèrement, à son retour, de ce qu'on ne lui avait pas ouvert les deux battants de la porte du conseil. La discussion, parfois ridicule sur cet incident, s'établit à l'assemblée, et dans le premier message qu'elle eut à communiquer à Louis XVI elle fit supprimer, dans sa colère, les titres de Sire et de Majesté.

La séance du soir du dernier jour de l'an fut marquée par un grand acte de clémence révolutionnaire. La Suisse, en vertu de sa juridiction souveraine sur les militaires aux

(1) Moniteur, t. XI, p. 5.

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