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cela n'était pas de nature à satisfaire les exigences démocratiques; et ces dispositions de la loi électorale, que nous venons de rapporter, furent bientôt qualifiées d'aristocratiques par une forte majorité de l'assemblée, par les principaux orateurs des clubs et par la multitude, qui faisait écho. On entendait raisonner dans les groupes; on disait qu'exiger une contribution pour être admis dans les assemblées primaires, c'était déchirer la déclaration des droits, c'était diviser les Français en citoyens et en esclaves (1). Et l'assemblée fut contrainte, par la suite, de faire de notables modifications à cette loi électorale, comme nous le verrons en son lieu.

L'amour de l'humanité, qui doit sans cesse guider la plume de l'historien, non dans l'acception souvent banale de cette expression, mais dans sa signification la plus juste, et surtout la sympathie qu'il doit éprouver pour une nation dont il reproduit les fastes, tous ces motifs le portent naturellement à chercher le bien partout où il le trouve, et nous nous empressons de signaler ici les décrets de l'assemblée relatifs aux salutaires modifications qu'elle crut devoir faire à l'ancienne administration de la justice. On voyait parmi ces représentants un zèle honorable pour diminuer le nombre de procès, pour éteindre l'esprit de chicane, quoique cette assemblée fût composée d'un grand nombre d'avocats, intéressés par leur profession même à prolonger indéfiniment les affaires contentieuses. Elle établit des justices de paix; elle créa des bureaux de conciliation où les personnes, avant d'entamer

(1) Droz, t. III, p. 127-129.

un procès, étaient obligées préalablement d'exposer leurs griefs mutuels. Elle institua de même des tribunaux de famille, auxquels les plus proches parents soumettraient d'abord leurs différends. Ces vues louables de la première assemblée nationale furent plus tard dédaignées, elles déplaisaient aux hommes du progrès; et d'autres dispositions de la loi ouvrirent de nouveau la porte à la chicane (1). La France doit encore à cette assemblée l'institution du jury en matière criminelle, tel qu'il existe en Angleterre et comme l'entendent un grand nombre de publicistes (cette principale garantie de la sûreté des citoyens), et la création de la cour de cassation.

Lors de la discussion sur le Code pénal, on entendit Robespierre (chose que la postérité aura peine à comprendre) se déclarer et parler avec chaleur en faveur de l'abolition de la peine de mort (2).

La passion de la popularité, qui anéantit souvent dans l'homme toute indépendance de pensée et d'opinion, et surtout la crainte sans cesse renaissante parmi les députés de la gauche notamment, de renforcer trop le pouvoir royal, influèrent sur la plupart des arrêtés de l'assemblée. On voulut, à peu de choses près, que toutes les nominations procédassent du peuple souverain.

L'ordre judiciaire, enfin, devait être mis en rapport avec la nouvelle division du royaume. Par ce motif ou par d'autres, la destruction des parlements fut résolue in petto; de ces mêmes cours souveraines dont l'opposition constante aux édits du roi avait amené précisément l'état pré

(1) Droz, t. III, p. 155-156.

(2) Moniteur, t. VIII, p. 546.

sent des choses. Les vacances annuelles des parlements touchaient à leur fin: on jugea qu'il fallait en prolonger la durée, et l'assemblée décréta que ces cours ne se rassembleraient pas jusqu'à nouvel ordre, que leurs fonctions continueraient d'être remplies par les chambres de vacation.—Lameth, en sortant de la salle, dit : « Nous « les avons enterrés tout vivants. »

Le temps des éclatantes oppositions du parlement de Paris aux résolutions du roi était passé; l'autorité, de fait, gisait dans l'assemblée; et la magistrature, sans se permettre le moindre, murmure, avec la plus entière soumission à l'injonction qui lui en fut faite, enregistra l'arrêt qui prolongeait indéfiniment sa chambre de vacation, prélude de la suppression totale de ces cours souveraines. Cependant quelques magistrats protestèrent en secret; mais cet acte était un mystère pour la plupart d'entre eux, il ne fut rendu public que longtemps après (1).

L'assemblée porta des peines très-sévères contre les autres parlements qui refusèrent d'enregistrer le décret défendant leurs réunions complètes aux termes accoutumés.

Le jour où comparurent à la barre plusieurs membres du parlement de Bretagne pour répondre à l'inculpation qui leur avait été faite du refus de se soumettre aux décrets de l'assemblée, parut une journée de funérailles pour ces corps, jadis si puissants, qui balançaient souvent l'autorité des rois de France. D'Éprémesnil, le héros parlementaire de 1787, assistait à cette lugubre séance. Quel

(1) Les magistrats qui l'avaient signé furent traduits au tribunal révolutionnaire de 1793 et condamnés à la peine capitale; ils montèrent tous à l'échafaud avec un courage héroïque.

douloureux retour ne devait-il pas faire sur lui-même en songeant que c'était lui, lui en particulier qui avait contribué par-dessus les autres à la convocation d'un corps politique qui allait supprimer sa compagnie. Et quelle était aussi la puissance de cette assemblée, puisque, pour anéantir ces corps jadis si fiers, elle n'eut besoin que de prolonger leurs vacances. De ce jour date réellement la destruction de la magistrature, quoique l'arrêt de son abolition définitive n'ait été prononcé que le 6 septembre suivant (1).

Mirabeau s'aperçut enfin qu'il était urgent d'arrêter le progrès de l'anarchie. De longue main il nourrissait la pensée de se rapprocher du trône, et il paraît évident que l'opposition éclatante qu'il avait manifestée dans nombre d'occasions au gouvernement du roi avait pour principal mobile le désir de s'élever au poste de ministre, tactique souvent employée au parlement anglais. Déjà, au mois de septembre dernier, il avait choisi pour intermédiaire dans cette négociation le comte de Lamarck, un de ses plus fervents admirateurs, et en même temps tout dévoué aux vrais intérêts de la monarchie. Avant d'entamer cette négociation, Lamarck jugea indispensable de pressentir l'o

(1) Si le lecteur juge à propos de chercher des détails plus circonstanciés touchant la suppression des parlements, il les trouvera dans Droz, t. III, p. 139 et suivantes.

pinion de Marie-Antoinette seule, par l'intermédiaire de la comtesse d'Ossun, dame d'atour de la reine; mais aux premières ouvertures qu'elle lui en fit, Marie-Antoinette répondit: « Nous ne serons jamais assez malheureux, je « pense, pour être réduits à la pénible extrémité de re« courir à M. de Mirabeau (1). » Et la négociation en resta là.

Par la suite, le député d'Aix, considérant à quel point il était urgent de donner une face nouvelle à l'État, conçut un tout autre plan. Il le communiqua à Monsieur, frère du roi. Le comte de Provence ne pouvait l'agréer. Le prince en avait formé un autre, semblable pour le fond à celui de Mirabeau; très-opposé sur plusieurs points, il consistait principalement à entraîner Louis XVI à Péronne, où le roi déclarerait l'assemblée dissoute et tous ses actes annulés. Le principal agent de cette machination fut le marquis de Favras, ancien lieutenant des gardes de Monsieur, qui s'était fait une certaine position dans le monde en épousant, en Allemagne, une princesse d'Anhalt. A l'aide de deux recruteurs, il parvint à enrôler cinq cents hommes sous prétexte de former un régiment destiné à passer dans le Brabant, alors en pleine révolte contre l'empereur, et à porter secours aux insurgés. En même temps il négociait avec des banquiers de Paris une obligation de deux millions souscrite par Monsieur lui-même. Les recruteurs eurent bientôt vent du véritable dessein de leur chef: instruits des gratifications que la commune de Paris distribuait à tout révélateur de complots, ils portè

(1) Correspondance de Mirabeau avec de Lamarck. Introduction, t. I, p. 107.

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