Page images
PDF
EPUB

toutes de grandes calamités; les factieux se voyaient en petit nombre, sans véritable consistance; les agitateurs dispersés, sans aucun point de ralliement. Le bon sens public se soulevait contre eux. Tous les hommes de bien s'attendaient à voir l'assemblée prendre le lendemain les mesures les plus énergiques pour comprimer, une fois pour toutes, l'anarchie démagogique, qui menaçait toutes les existences. Que fit l'assemblée nationale? — Rien. Les clubs avaient été les principaux leviers dont se servaient les agitateurs pour ébranler l'ordre social; on n'osa les supprimer. Un projet pour arrêter la licence de la presse fut proposé à l'assemblée ; il n'en résulta qu'une disposition à peu près insignifiante. Le nouveau règlement stipula que ces écrivains seuls seraient traduits en justice, qui provoqueraient formellement la révolte contre l'ordre public.

L'assemblée reçut bientôt, de la plupart des autorités départementales, des adresses de félicitation du combat qu'elle avait livré aux factieux et de la victoire qui l'avait couronné. On lui exprimait en même temps des vœux pour qu'elle persévérât dans cette conduite courageuse. Mais comme un bon nombre de ces adresses énonçaient aussi des sentiments royalistes, l'assemblée n'eût pas s'en faire un point d'appui. On discutait, on n'agissait point, et le temps s'écoulait (1). Le vide immense causé par la mort de Mirabeau se faisait apercevoir plus que jamais. Le seul acte de vigueur que l'assemblée se permit, fut d'ordonner aux tribunaux de punir les auteurs de la ré

osé

Droz.

volte du Champ de Mars; mais la prétendue sévérité du décret ne fut appliquée qu'à quelques misérables qui s'étaient trouvés mêlés aux séditieux par simple curiosité; će n'était au fait qu'une peine infligée à leur badauderie; aucun chef ne fut ni poursuivi, ni jugé, ils en furent tous quittes pour la peur (1).

Les jacobins étaient tombés si bas que, pendant plusieurs jours, à peine apercevait-on dans leur club quelques membres de l'assemblée. Mais dès qu'ils virent l’incertitude et la faiblesse de leurs adversaires, le courage leur revint, et ils s'empressèrent d'envoyer aux représentants une adresse pour leur témoigner à quel point ils étaient affectés de voir leurs intentions et leurs principes méconnus. Ce n'étaient plus ces mêmes hommes que, peu de jours auparavant, on entendait proférer l'injure et la menace contre les députés constitutionnels, et qui employaient leurs manoeuvres accoutumées pour faire mettre Louis XVI en état d'accusation. Présentement, ils s'imposaient des égards. Pétion fit insérer dans une feuille périodique une lettre remplie des expressions les plus caressantes sur la scission qui l'affligeait. Il avoue quelques fautes de la société qu'il défend, mais élève aussi aux nues les immenses services qu'elle a rendus à la liberté : « Main<<< tenant il ne peut s'en séparer, » dit-il, « lorsqu'elle est << en butte à la calomnie; il se range du côté du faible! » Ces sentiments de générosité dans Pétion ont de quoi étonner. Quant aux Lameth et à leurs amis, revenus en partie de leurs illusions, ils perdirent, comme modérés, la popu̟

(1) Beaulieu, t. II, p. 543,

larité qu'ils avaient acquise comme factieux (1). C'est ainsi que des hommes que des révolutions placent au timon des affaires, se trouvent impuissants pour reconstruire, quand par leurs antécédents ils ont été des instruments de destruction; et quelque sincère que soit leur conversion, ils ne peuvent inspirer la moindre confiance.

La situation de la France, la fermentation des esprits, le choc incessant des opinions les plus contradictoires réclamaient plus qu'en tout autre temps une prompte promulgation de l'acte constitutionnel; tous les hommes sages la souhaitaient comme devant faire cesser toutes les incertitudes, garantir au pays quelque stabilité. On ne pouvait plus se flatter d'avoir une constitution telle que la France l'aurait obtenue à l'ouverture des états généraux, si l'assemblée se fût tenue à la lettre des mandats des députés, aux vœux de la grande majorité de la nation exprimés dans ces cahiers; ils contenaient en germe la plupart des dispositions des chartes que la France acquit après les orgies sanglantes de 93 et 94 et les gloires de l'empire. Cependant, la révision de l'acte constitutionnel par les représentants pouvait y opérer des modifications salutaires, que l'expérience des deux années écoulées faisait considé

(1) Labaume.

rer comme de toute urgence. Un comité au sein de l'assemblée était chargé de préparer cette révision. Son travail consistait ostensiblement à chercher, dans la multitude des décrets rendus, ceux qui devaient faire partie de la constitution, à les classer méthodiquement, à faire disparaître les contradictions qui pouvaient s'y trouver, les lacunes qu'il s'agissait de remplir. Mais il avait été tacitement convenu entre les constitutionnels, que l'assemblée ferait à la constitution les changements qu'elle jugerait essentiels.

Rarement Pétion et Buzot, membres du comité de révision, assistaient aux discussions, n'espérant pas y faire adopter leurs idées franchement démocratiques. Sieyès, silencieux oracle, laissait à peine tomber quelques paroles énigmatiques et dédaigneuses; Talleyrand était froid et affectait la distraction. Tronchet, Rabaut Saint-Etienne, Target, principaux rédacteurs de cet acte, étaient trop épris de leur œuvre pour souffrir qu'on y apportât de notables changements. Quant à l'assemblée, la plupart de ses membres paraissaient plus pressés de se séparer que disposés à entreprendre un travail sérieux et de longue haleine, tandis que les clubs ne cessaient de leur crier : « Sé<< parez-vous, il en est temps; faites place à vos successeurs, qui ne réprimeront pas comme vous l'ardeur de notre patriotisme, de notre dévouement. >>

Déchirée chaque jour dans des brochures qui se colportaient jusqu'au lieu de ses séances, l'assemblée était encore menacée par les tourbes du Palais-Royal. Après tant d'illustrations, tant d'éclat dont elle avait joui, elle ne donnait plus que des signes de lassitude, d'incertitude même

sur la rectitude de son œuvre constitutionnelle, et ce même peuple qui l'avait tant applaudie, ne voyant pas arriver l'ère du bonheur qu'elle lui promettait sans cesse, s'attendait à l'obtenir de la législature qui allait succèder à celle-ci.

Dans le côté gauche, Barnave était peut-être le seul qui cherchât de bonne foi quelque salutaire issue pour sortir de ce dédale où l'assemblée s'était engagée et sauver la chose publique. Dans un entretien confidentiel, il dit à Malouet : « J'ai dû souvent vous paraître bien jeune ; mais << soyez certain qu'en peu de mois j'ai beaucoup vieilli. » Il lui assura qu'à l'exception d'une douzaine de fanatiques ambitieux, la plupart des députés de la gauche désiraient voir la révolution terminée; on sentait qu'on ne pouvait y parvenir qu'en donnant de plus solides bases à l'autorité exécutive; il était facile à Barnave de démontrer que si le côté droit, au lieu d'irriter le côté gauche par un silence obstiné, systématique, conforme à sa déclaration, voulait participer à la révision, on pourrait encore donner des institutions sages à la France. Malouet répliqua que le côté droit était trop exaspéré de la conduite odieuse que dans maintes occasions la gauche avait tenue à son égard, trop irrité de la violation des vrais principes de liberté et des attributions de l'autorité royale, expressément stipulés dans les cahiers, pour espérer que ce parti voulût jamais se rétracter; mais que les torts des hommes qui avaient donné une si violente impulsion au mouvement révolutionnaire, n'empêcheraient jamais ni lui ni ses amis de voter lorsqu'ils le jugeraient utile à la chose publique,

Le lendemain, 5 août, Thouret, rapporteur des comi

« PreviousContinue »