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«gesse pour maintenir. Tous les citoyens sont armés pour << la liberté; ils ne craignent pas l'ennemi, ils ne l'appel<< lent pas, mais s'il paraît il apprendra ce que peut l'éner

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gie des hommes libres... Vous retournerez dans vos foyers, « vous y obtiendrez les bénédictions du peuple ou du moins « le silence respectueux de la calomnie (1). » Tonnerre d'applaudissements et à plusieurs reprises.

Jamais la raison n'a prêté de plus puissants arguments au prestige de l'éloquence; la sensation que ce discours produisit sur l'assemblée fut si vive, qu'un grand nombre de députés qui s'étaient proposé de voter dans le sens des idées de Robespierre et de son parti furent entraînés : l'assemblée ordonna l'impression du discours de Barnave à la presque unanimité. Le projet des comités fut adopté; on ne compta que sept opposants (2). Mais ce décret, quoique rendu à une immense majorité, était encore marqué du sceau de la faiblesse. On dirait que l'assemblée avait craint d'acquitter pleinement Louis XVI; au lieu de donner une sanction formelle, précise, au principe de l'inviolabilité, elle se borna à décréter les articles suivants proposés déjà par Salles :

1o Un roi qui se mettra à la tête d'une armée pour en diriger les forces contre la nation, sera censé avoir abdiqué.

2o Un roi qui se rétractera après avoir prêté son serment à la constitution, sera censé avoir abdiqué.

(1) Moniteur, t. IX, p. 143-144.

(2) La faction qui, sous peu, allait imposer son joug à toute la France, se souviendra de cet éloquent orateur, dont le discours, ce jour-là, avait principalement dérangé ses plans. En 93, elle l'enverra au tribunal révolutionnaire, et celui-ci le condamnera à la peine capitale.

3o Un roi qui aura abdiqué, deviendra l'égal des simples citoyens, et sera accusable comme eux, pour tous les actes subséquents à son abdication.

Le décret mettait en accusation Bouillé et ses complices.<< Tout est perdu, le roi est sauvé, » dit Robespierre en sortant. Ces paroles devinrent un cri de ralliement pour les agitateurs (1).

A tout prendre, la plupart des députés ne pouvaient ignorer que Louis XVI n'eût songé à dissoudre l'assemblée, à en convoquer une nouvelle, comme Mirabeau le lui avait conseillé; qu'il ne se fût entendu avec Bouillé sur ce point, et avec les puissances étrangères. Mais dans la situation où se trouvait le pays, on considéra moins si, dans les principes de l'assemblée, le roi était coupable ou non, que les conséquences sinistres qui allaient résulter de sa mise en accusation, dont la déchéance, selon toute probabilité, ne serait point le dernier terme. D'une autre part, la déclaration de Louis XVI, au moment de quitter Paris, n'avait-elle pas signalé de trop justes griefs du roi envers l'assemblée? Si le monarque avait failli, la conduite des représentants avait-elle toujours été franche, loyale, dans toute la rigueur de ce mot? Enfin, tout bien considéré, ne valait-il pas mieux, pensaient les constitutionnels, laisser tomber ces mutuels griefs, garder un roi qui serait à l'abri des intrigues des courtisans, les ministres étant responsables de tous les actes du pouvoir exécutif, que de courir les chances d'une république, d'une république qui, de loin, se présentait terrible, me

(1) Moniteur, t. IX, p. 113. Lacretelle, Droz, etc.

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naçante, impitoyable dans ses rigueurs envers tous ses adversaires. Tels sont les principaux motifs qui semblent avoir déterminé la majorité de l'assemblée à prêter une adhésion éclatante à l'avis du comité qui acquittait Louis XVI, indépendamment des vérités d'une immense portée que firent entendre, durant ces débats, les constitutionnels, notamment Barnave.

Les jacobins, furieux de voir réduit au néant leur plan d'accusation contre Louis XVI, s'assemblent le soir même, afin, disaient-ils, d'aviser aux moyens de réparer cette faute capitale de l'assemblée. Laclos présidait la séance. Pour arriver à un changement de dynastie, objet constant de manœuvres du parti Orléans, Laclos agit et parla comme Danton; il représenta l'acquittement du roi sous les couleurs les plus noires, et parvint à faire demander à grands cris le renouvellement d'une assemblée parjure et l'élection d'un autre roi. « Frères et amis, » criait Robespierre avec sa voix aiguë, «ne nous donnons point « de relâche que la déchéance de Louis XVI ne soit pro<< noncée. » Il vociférait encore lorsqu'on annonça que plus de quatre mille citoyens demandaient à entrer dans la salle. Toute cette plèbe avait été soulevée par Danton, Marat et les autres coryphées du club des Cordeliers. La salle est aussitôt envahie par une foule d'hommes et de

femmes pour la plupart en guenilles; un orateur, sorti du sein de cette horde, monte à la tribune, et, sans autre préambule, invite la société à se joindre aux citoyens pour aller le lendemain au Champ de Mars jurer sur l'autel de la Fédération, qui existait encore, de ne plus obéir à Louis XVI. Robespierre était le dieu de cette canaille; quelques voix même s'élevèrent pour le proposer pour roi. -Plusieurs orateurs du club déclarent la demande des citoyens parfaitement juste, mais ils sont d'avis que l'objet de leur réclamation devait être présenté sous la forme d'une pétition universelle, qui serait signée sur l'autel du Champ de Mars. C'était encore Laclos qui donnait l'impulsion à ce mouvement; il espérait s'en rendre maître pour le diriger au profit de la faction à laquelle il appartenait, et, de concert avec Brissot, il rédige la pétition. On déclarait dans cet acte, que le décret rendu par l'assemblée nationale ne contenait aucune disposition relative à Louis XVI, et qu'il importait de statuer promptement sur le compte de cet individu, dont la fuite, le manifeste et tous les actes criminels équivalaient à une abdication formelle; enfin, qu'on ne reconnaissait plus Louis XVI pour roi, à moins que la majorité de la nation n'émît un vœu contraire à cette déclaration. Il était minuit quand les jacobins levèrent la séance. Le lendemain, des émissaires du club portent la pétition dans les cafés, la font signer par des femmes, par des enfants, en menaçant, en caressant tour à tour ceux dont ils veulent obtenir la signature. Des groupes nombreux du peuple arrivent aux portes des salles de spectacle et en font fermer plusieurs. A la porte de l'O

péra la garde nationale ne fait que paraître, et tous ces gens prennent la fuite; rien n'était plus facile que de dissiper ces attroupements. En attendant, les journaux du parti proclamaient que la résistance aux décrets de l'assemblée était le plus saint des devoirs, parodiant ainsi le trop fameux aphorisme de la Fayette.

L'assemblée nationale, considérant le danger de la chose publique, mande les ministres, la municipalité, les corps administratifs; ces autorités reçoivent, de la part du président, l'injonction de déployer tous les moyens que la loi leur prescrit pour maintenir la tranquillité de la capitale. Cependant pour dissiper les propos que les agitateurs répandaient, en soutenant que le décret rendu la veille laissait incertaine la position de Louis XVI, l'assemblée crut devoir décréter que le pouvoir royal resterait suspendu jusqu'au jour où l'acte constitutionnel serait présenté à l'acceptation du roi. Cependant le même jour le club des Jacobins éprouva une défection inattendue et menaçante pour lui. Un grand nombre de députés qui faisaient partie de la société se réunirent au couvent des Feuillants; ils annoncèrent qu'ils transportaient dans ce nouveau local le siége de la société dont ils étaient les fondateurs, à dessein de l'épurer (1).

(1) Camille Desmoulins, après avoir exhalé dans son journal sa fureur contre ces déserteurs de la cause du peuple, s'écrie : « Mais Pétion et Robespierre, et le petit nombre de représentants qui sont demeurés fidèles

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« à la nation, restent aux Jacobins, et l'assemblée nationale est toute où « sont Pétion et Robespierre. Le reste n'est qu'un ramas de prêtres, de nobles, d'intrigants, de ministériels, de contre-révolutionnaires ou « d'imbéciles. » Plus loin, il va jusqu'à qualifier l'assemblée de « sabbat « de conjurés contre le peuple. » Ce journal de Camille avait alors la plus

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