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Les députés royalistes, désespérés de l'arrestation de Louis XVI, indignés de l'espèce de réclusion dans laquelle on retenait le monarque, n'ayant pas non plus grande foi dans la persévérance des sentiments monarchiques que la majorité de l'assemblée manifestait, considérant en outre les nombreuses adresses qui arrivaient de toutes parts pour demander la déchéance du roi, et connaissant la puissante influence que ces adresses exerçaient sur les représentants du côté gauche, ces députés royalistes, disons-nous, résolurent de ne plus prendre part aux délibérations de l'assemblée, se réservant néanmoins les cas où la discussion aurait trait à la personne du roi et de sa famille. Les motifs de cette détermination furent consignés dans une déclaration remise au président. Dans cet acte ils protestaient contre les décrets par lesquels l'assemblée avait réuni en elle seule tous les pouvoirs de l'État; ils y déclaraient, en outre, que l'unique motif qui pouvait les forcer à siéger auprès des députés qui avaient élevé une république informe sur les débris de la monarchie consistait à ne point abandonner les intérêts de la personne du roi et de sa famille; mais ne pouvant ni avouer les principes, ni reconnaître la légalité des décrets de l'assemblée nationale (1), ils cesseraient

(1) Bertrand de Moleville, t. V, p. 136-139.

désormais de prendre part à toute délibération de cette assemblée, qui n'aurait pas pour objet les seuls intérêts qui leur restaient à défendre. Deux cent quatre-vingt-dix députés signèrent d'abord cette déclaration (1). Quelquesuns des représentants se retirèrent tout à fait de l'assemblée, entre autres Cazalès, Bonnai, le vicomte de Mirabeau.

Le nombre des représentants qui signèrent la déclaration s'éleva bientôt à trois cent quinze; une trentaine seulement, à la tête desquels on remarquait Malouet, firent une restriction importante; tout en improuvant les décrets arbitraires contre lesquels leurs collègues s'étaient élevés, ils se réservèrent la faculté de prendre la parole et de voter toutes les fois que l'intérêt de la chose publique le réclamerait. Les députés qui donnèrent la première idée de cette protestation furent d'autant plus empressés à recueillir des signatures, qu'ils voyaient un certain nombre de modérés du côté gauche effrayés des trames des Jacobins, déjà enclins à se rapprocher des modérés du côté droit, rapprochement que décidément ils ne voulaient plus. Dans ce conflit on vit des députés signer la protestation tout en blâmant cette démarche, entraînés comme tant d'autres par cette maxime déplorable, si souvent pratiquée dans les luttes de partis, et dont on se fait un point d'honneur, une religion: Qu'il faut rester fidèle à son parti, qu'on ne doit jamais s'en séparer (2). Cette pro

(1) On la trouve tout entière dans Conny, t. II, p. 436, et dans Buchez, t. V, p. 359

(2) Lorsque le moment sera arrivé où les représentants auront à réviser les actes constitutionnels; quand malheureusement, fidèles à leur enga

testation contraria d'autant plus le parti constitutionnel, qu'il avait besoin du concours des royalistes de toutes nuances pour défendre la royauté contre les jacobins. Un des membres les plus estimables du côté droit, Ferrières, signa aussi bien que les autres cet acte singulier. Cependant lorsqu'il eut à écrire ses mémoires, à tête reposée, loin du tumulte et du choc des opinions passionnées, il avoua naïvement que les rédacteurs de la déclaration consultèrent moins les vrais intérêts de la monarchie que leur ressentiment contre les constitutionnels. Les grands seigneurs d'autrefois, le haut clergé, les ci-devant parlementaires, les financiers, ne voulaient plus de constitution, quelques modifications qu'on pût apporter à cet acte; il leur fallait, coûte que coûte, revenir à l'ancien régime, tant leur était devenue odieuse la révolution et les ruines de toute espèce qu'elle accomplissait ; et à partir de cette journée, les partis devinrent irréconciliables, il ne pouvait plus exister entre eux aucun centre de rallicment (1).

gement intempestif, ces royalistes refuseront de prendre part à cette révision de la charte, dont nombre d'articles réclamaient des correctifs très-essentiels, dans l'intérêt même de la monarchie constitutionnelle, c'est alors qu'on verra à quel point cette protestation avait été impolitique.

(1) Reste à voir à quel motif il faut reporter principalement cette fatale scission. Ferrières semble être d'avis que le principal but de la déclaration rédigée, dit-il, par Maury et d'Éprémesnil consistait à fournir un motif en quelque sorte légal aux princes émigrés et aux puissances de l'’Europe qui allaient se concerter sur les mesures les plus efficaces pour porter un coup décisif à la révolution et rétablir la royauté en France; que cette espèce de manifeste serait une preuve patente, une pièce officielle, en quelque sorte, que la saine partie de l'assemblée d'après les idées des royalistes purs s'était constamment opposée aux décrets destructifs des institutions monarchiques.

Il semble toutefois que la majeure partie des représentants qui cut

Sans se déclarer hautement contre la royauté, un grand nombre d'individus répandaient dans le public des idées qui, de fait, sapaient les bases de l'édifice monarchique. Les députés mêmes qui, par leurs motions, avaient le plus ébranlé le trône, croyaient se prononcer en faveur de la monarchie; mais séduits par les utopies du jour et avides

concouru à cet acte n'était point admise dans le secret de cette opération soi-disant diplomatique. Quel pouvait être alors le principal ressort qui les avait fait agir dans ce sens ? Mais ne voyons-nous pas dans le nombre des signataires de la protestation figurer les députés qui, dès l'ouverture presque des états généraux, s'étaient fait remarquer par-dessus les autres par leurs principes populaires, dont plusieurs avaient été les premiers de leur ordre à se réunir aux députés du tiers dans la journée du 25 juin 1789, tels que les marquis de Blacons et de Langon, le comte de Virieu, Lancosme, etc., etc. (Moniteur, t. 1, p. 98). Qu'on se figure dès lors l'exaspération que ces députés durent éprouver en se reportant à cette autre journée où ils avaient passé aux communes, démarche qui n'a pas peu contribué à précipiter les événements qui amenèrent la ruine totale des institutions monarchiques, et menacent présentement toutes les existences, à commencer par celles du chef de l'État. Ce fut donc, selon toute apparence, l'amer dépit qu'ils en ressentirent qui les aurait poussés à signer la déclaration que nous venons de rapporter. Tels furent aussi les motifs qui déterminèrent Mounier, Lally-Tollendal et autres à quitter l'assemblée après les journées des 5 et 6 octobre, démarches tout aussi inconsidérées, quoique de la part de citoyens dévoués aux intérêts de leur patrie. La passion politique, comme toute passion, ne vit que dans le moment présent, ne songe qu'à se satisfaire, sans prévoir les conséquences qu'elle devra amener.

Les historiens royalistes, tels que Bertrand de Moleville, Papon, M. de Conny, élèvent aux nues cette déclaration énergique. Lacretelle et M. Pou. joulat ont cru à propos de la passer sous silence. M. Buchez signale les noms de tous les représentants signataires de cet acte.

Que celui qui condamne présentement et à très-juste titre cette résolution imprudente des royalistes, se transporte lui-même au temps où cet acte fut accompli; qu'il se suppose élevé, comme la plupart de ces signataires, dans cette espèce de culte pour la royauté de race, et qu'il s'interroge dans toute la candeur de son âme, eût-il eu assez de force de caractère pour dompter la douleur qu'il aurait ressentie de voir son premier dévouement à la chose publique porter des fruits si amers? n'aurait-il pas pris part à celte protestation?

surtout de popularité, ils avaient, sans s'en apercevoir, introduit dans les institutions un bon nombre d'idées républicaines. Ces jeunes législateurs s'étaient constamment occupés de rendre le corps social libre, jamais de lui garantir une force centrale supérieure, formant à la lettre la clef de voûte de l'édifice politique. La plupart des députés du côté gauche, ne parlant jamais de république, ne l'avaient que trop servie. Camille Desmoulins, hautement démocrate, inséra dans son journal quelques lignes frappantes de vérité, quoique conçues en termes grossiers : « On a laissé à la France, » écrivait-il, « le nom de mo<«< narchie pour ne pas effaroucher ce qui est cagot, idiot, « rampant, animal d'habitude; mais à part cinq ou six « décrets contradictoires les uns avec les autres, on nous « a constitués en république.»

Le plus intrépide ennemi de la licence, la Fayette, avait contribué comme tant d'autres à répandre des opinions inconciliables avec l'existence de la monarchie. Dans la crise où la France se voyait, tandis que les démagogues ne songeaient qu'à soulever la multitude, à dessein de faire subir à l'État une transformation des plus complètes, cet élève de l'Amérique et ses amis examinèrent avec calme, dans une réunion chez le duc de la Rochefoucauld où se trouvaient des députés représentant les différentes nuances d'opinions, s'il convenait ou non d'établir le régime républicain. Dupont de Nemours exprima le doute que Louis XVI, après son évasion, pût jamais recouvrer la popularité sans laquelle le roi, disait-il, serait en butte à de perpétuelles attaques; il ajoutait que la faiblesse de son caractère laissait peu d'espoir qu'il pût donner à l'exé

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